1991 – L'Illusoire Absolu
Lundi 12 août
Anniversaire de Heïm. Les cadeaux sont remis tôt ce matin.
Hier, Heïm nous fixe les contours de ce qui
nous attend : un dur combat contre mille et une adversités, la poursuite
de la grande œuvre, la constitution d'une fortune et l'épanouissement de nos
idées.
Pour se protéger de
l'adversaire social et, le cas échéant, l'attaquer, nous devons maîtriser son
arme, le juridisme.
Triste rôle du droit dans la
société démocratique et républicaine : non pas régir les rapports entre
les hommes, non pas la Justice, mais donner à ceux qui le connaissent, et bien
plus à ceux qui le sentent, le moyen
de manipuler les autres.
Voilà qui doit nous fixer
dans nos objectifs.
Je pratique depuis peu le
droit au quotidien, au gré des nécessités. Très vite, je mesure l'inefficacité
de l'enseignement universitaire français. A trop commettre ses concepts avec
les tics idéologiques de l'époque, même dans le si sujet à caution domaine
commercial, il s'évapore comme buée au soleil dès que germe un problème
primaire et qu'une solution concrète s'impose.
Malgré cela, se transcender
toujours doit être le fil d'Ariane, l'énergie du pèlerin quêteur d'absolu.
Mercredi 14 août
Le déjeuner d'anniversaire
se prolonge huit heures. Grandiose pour l'intelligence. Les repas-catharsis de Heïm révèlent les êtres au tréfonds
d'eux-mêmes. « La vérité de la vie en face » conclut Magdeleine Déoles [l'une de ses ex maîtresses]. Générosité de la langue, l'enivrement sert de révélateur.
J'écris ces lignes à
quelques mètres de Notre-Dame. La rue d'Arcole chauffe son asphalte au rythme des chairs
cuivrées qui la foulent.
J'attends mon pater, de retour de Grèce.
Nuit dernière avec Kate dans la maison de ses parents
partis quelques semaines en vacances. Enchanté de ce bref passage, malgré quelques
comportements et paroles qui m'agacent.
Je suis souvent tiraillé
entre mon attirance charnelle pour elle et mes réticences morales, mais j'aime
profondément cette demoiselle.
Jeudi 15 août
Je roule vers Kate, du moins j'essaie. Je viens de me tromper de train, tête en l'air que
je suis. J'espère trouver une correspondance à Chelles pour Lagny-Thorigny.
Quelques jours de farniente
avant le commencement du travail.
Ce qui se passe dans le
monde depuis la fin de la Guerre du Golfe ne me passionne guère. Occupé
par la prise de responsabilité comme gérant de la seru, et comme administrateur-gestionnaire de la sebm, monopolisé par Kate pour les rares instants qui me
restent, je me détache progressivement de la politique nationale et internationale.
Je vais m'efforcer de me
remettre à jour pour fustiger tout ce me paraît aberrant.
Les nuits d'août sont
météoritiques. L'immensité offre ses poussières de feu comme des éphémères.
L'œil tourné vers les cieux, je suis rapidement pris de vertige. Je concentre
mon esprit vers le lointain, jusqu'à ce que la terre et mon mètre quatre-vingt
de chair, d'os et de poils (eh oui...) retrouvent leur relativité. Sensation
que l'intelligence peut tout englober, sans pourtant rien connaître. Mais attention !
la règle d'or est de toujours éviter la masturbation intellectuelle du
genre : où est l'étagère et sur laquelle cours-je ?
Je me mets à la gestion
financière dans un ouvrage écrit par une tête blonde de hec. La pelletée de notions à assimiler rend la matière ésotérique,
alors que le fond relève de la simple logique d'action.
Samedi 17 août
Partout le pouvoir est aux
mains des crasses immorales.
Je parcours Échec à la dictature fiscale de l'inspecteur-vérificateur alias Olivier
Matthieu, je m'informe sur
l'implosion de la bcci, antre d'un des plus gros scandales financiers de cette fin de siècle,
je croule sous les affaires
politiques françaises, et je songe alors à une force organisée au service de
la belle humanité, l'intelligente, l'intègre, qui neutraliserait toute crapule
imbue de son illégitime puissance, celle qui bâillonne, terrorise les rétifs à
la bourbe, les dénonciateurs de coquins fangeux, nuisibles répandus à tous les
échelons étatiques. Ce contre-pouvoir n'aurait point d'objectif de conquête à la Iznogoud, mais la protection de ceux
qui combattent les systèmes et pratiques interlopes de ce bas monde. Pour que naisse
cette force d'intervention, des finances conséquentes s'imposent. Là est le
hic.
Dimanche 18 août
Exemple d'injustice drainée
par l'idéologie communiste. Andrei Chesnokov, joueur de tennis soviétique, nous explique : si je gagne un
tournoi, ma « fédération » me laisse une somme dérisoire, identique à
celle d'un compatriote perdant. Le gros de la récompense allouée par les
organisateurs capitalistes rejoint certainement les caisses du Parti.
Dans le train, je quitte Kate à l'instant.
Hier soir, elle me présente
quelques accointances. La fondue bourguignonne avec le couple Barbara-Lionel et la rondouillette Christel, nouvellement amoureuse d'un chauffeur de bus, se déroule sans accroc.
La conversation s'éparpille : les animaux, l'édition, la place actuelle
de la femme, Dieu, etc. L'entretien s'achève vers les deux heures du matin.
Kate a ses petites choses. Je redoute l'humeur exécrable. Elle se révèle
d'une douceur sans pareille.
Avant mon départ, autour
d'un bon thé revigorant, Kate fond en larmes à l'idée de mon
départ. Je la console non sans mal. Moment très touchant qui exacerbe notre
attachement profond l'un à l'autre. Notre amour va croissant.
Je retourne ce soir au
château. Dès demain matin, je refoulerai toute légèreté sentimentale au profit
de l'efficacité professionnelle.
Lundi 19 août
5h30. Coup d'État en urss. Gorbatchev, Corvée d'chiottes comme le
surnomme Heïm (clin d’œil à Coluche), ne fait plus tache
dans les hautes fonctions.
Autre drame : la salope
en bonnet phrygien des ptt s'offre dorénavant pour 2,50 francs.
Je dors cette nuit dans la maison de Julie, seul, comme Kate l'est dans la sienne.
Le travail est pour ce
matin. Je dois déterrer les affaires laissées en suspens et réactiver le tout.
Ce soir. Après la Roumanie et sa floraison d'escrocs, après
la Guerre du Golfe et son vrai-faux ordre international, la clique médiatique glose sur la déstabilisation politique de l'urss. Si le coup d'Etat résiste, la bouffonnerie
grandissante de Big Média nous fera peut-être entendre son
cri de ralliement : « La perestroïka
est morte, vive la new guerre
froide ! ».
Ce matin, dans la pommeraie,
nous découvrons la piscine éventrée par des branleurs de seconde zone. La rage
nous prend au ventre. Des envies d'os brisés et de gueules en sang montent en
nous. Nos tripes sont incandescentes.
La sanction sera plus
subtile. Après repérage de l'ouverture par laquelle ils se sont glissés, nous
la truffons de tessons de bouteilles pour honorer leur prochaine visite. Si
intention récidiviste il y a, les chairs tailladées rabougriront ces piètres merdeux.
Mardi 20 août
Journée chargée. Nombreux
problèmes juridiques à résoudre pour les licenciements économiques. Confrontations
téléphoniques avec la glaireuse administration.
Mercredi 21 août
Je termine la journée
d'hier. Le glas de la plume et le plomb aux paupières ont précipité l'abandon
rédactionnel. Ceci écrit simplement.
Après consultation des
fonctionnaires de plusieurs directions du travail pour quelques tracas juridiques,
je participe à une marche dans Omiécourt au côté de Heïm, Karl et Hubert. Objectif : repérer les connards qui ont troué la piscine. Rien
dans les rues. Il règne un climat malsain de calfeutrement général. Les
médiocres se cachent.
Aujourd'hui : revue du
personnel repris par les deux structures commerciales. Nous recevons un à un
les employés. Très édifiant de les voir entrer tendus, angoissés sur le sort
qui les attend. Métamorphose des forts en gueule, des lurons de toutes cordes,
des crâneurs à la témérité de parade dès qu'ils croisent notre regard. Nous
décidons à cet instant de leur avenir matériel.
Le pouvoir sur les êtres,
quel qu'il soit, doit s'exercer avec sagesse hors de toute volonté de puissance.
Jeudi 22 août
Journée à la mer, non loin
de Berck-sur-Mer, avec la grand-mère Berthe, Déoles, Alice, Hermione, Hubert, Karl et moi. Très agréable moment. Je suis ce soir
vanné.
Les heures se consument
entre marche et nage. Les chairs zieutées n'exhalent pas la beauté et la fraîcheur
attendues. L'écume lèche des pâlots du bide, des flasques de l'entournure,
obésité pendante pour les messieurs, cellulite lunaire pour les dames, le tout
surmonté d'un semblant de gueule où l'abrutissement creuse les difformités
congénitales.
L'homme demeure un animal
grégaire. La convivialité malsaine l'entraîne vers la masse à laquelle il se
colle, tel un parasite supplémentaire.
Ce soir, Kate m'appelle au château. Elle mêle
douceur et pétillement. Avant de raccrocher nous échangeons de gros bisous. Un
baume idéal avant le dodo.
Je la rejoins demain, juste
après m'être rendu à la caserne d'Artois sise à Versailles. Je devais solliciter un nouveau report du service militaire avant le
31 juillet. Il est grand temps d'agir.
Dimanche 25 août
Le ministère de la Défense a parfois de bien belles
recrues : deux grandes adjudantes
blondes m'accueillent pour le report d'incorporation. J’aurais fait
volontiers mes six jours en leur compagnie.
Aucun problème pour ma
demande : je reste sursitaire jusqu'à 23 ans pour effectuer mes études.
Après, il faudra laisser au ministère de la Défense le soin d'apprécier ma requête
de dispense pour continuer ma gérance de société.
Le soir, je pointe le museau
à Lagny-Thorigny et j'attends comme à l'habitude Kate la traînarde. Cinq, dix, puis
trente minutes que je poireaute.
Je me décide à téléphoner.
Occupé. Je compose le numéro une bonne vingtaine de fois pour enfin l'entendre.
Explication : appel de son ex-premier petit ami (aujourd'hui simplement
(!) ami) Jean-Pierre, l'auteur d'une défloration bâclée.
Ma colère est énorme, je
bous de toutes mes fibres et j'explose. La cabine en tremble. J'hésite :
dois-je repartir pour toujours ou l'attendre pour mieux l'engueuler ? Je
me résous à la rejoindre. Mes remontrances se poursuivent dans la voiture et s'achèvent sous le
toit.
L'attitude de Kate est inacceptable. Je ne sais si
elle a agi par inconscience, par irrespect total à mon égard ou par désir de
nuire. Premier coup important porté à notre relation : il n’est en rien
dramatique s’il ne se révèle pas le premier d'une série.
Le séjour, agréable,
compense l'incident.
Actualité
internationale : j'ai oublié de noter le fiasco complet du putsch en urss Le
pâle Ianaev et ses complices ont loupé leur
coup. Trois petits tours médiatiques et puis s'en vont.
Gorbatchev ressuscité, Eltsine triomphaliste, l'échec du
renversement nous enseigne le principe politique d'Archimède : l'effet d'un coup d'Etat dans l'eau est inversement
proportionnel à celui qu'on escompte.
Tout le monde hurlait au
retournement historique, voilà la gigantesque union revenue à la case départ,
un peu plus déphasée qu'avant. La liesse populaire passée, les déficiences
économiques mouleront à nouveau l'humeur des soviétiques et leur abhorration des dirigeants en charge de
leur destinée.
La perestroïka accélérera peut-être son rythme. Aucun conservateur
n'osera se risquer à un nouveau coup de force en forme de farce humiliante.
L'urss, monstrueux amalgame, n'a plus rien
d'unifié. La dislocation se poursuit par l'émergence des nationalismes.
Dieu, le totalitarisme et le communisme savent y faire avec les
peuples : gueule fermée, tête baissée, un point c'est marre.
Ce soir j'appelle Kate, triste et angoissée après mon départ. Douce et aimante, je me sens
transporté par ses attentions. Ce soir, elle dormira avec mon gilet oublié
dans sa chambrette.
Bientôt une heure du matin.
Malgré un mal tenace au bas du dos je me décide à étreindre le polochon.
Lundi 26 août
Journée bien remplie qui en
laisse présager d'autres, encore plus chargées. Ce transfert d'une structure à
l'autre ressemble à une singulière mutation où le foutoir menace de triompher
à chaque instant.
Je n'ai toujours pas digéré
l'offense de Kate. La méfiance s'insinue
comme un germe malsain.
Elle doit comprendre ma
conception de la vie et d'une relation amoureuse. Triste et déchiré, je suis résolu
à ne rien concéder de fondamental. Je tente d'expliquer à Kate ce que je ressens. Je la
rappelle, un peu plus tard, pour l'embrasser très fort afin qu'elle ne reste
pas sur l'impression amère d'un abandon.
A l’encontre d'autres jeunes
filles disposées à suivre en confiance l'homme qu'elles aiment, Kate est structurée par une éducation
où se côtoient l'égoïsme, l'arrivisme et le snobisme. Je l'aime : j'adore
sa tendresse et sa malice, mais le fossé reste entre nous considérable. C'est
à en pleurer, mais je préfère une lucidité qui tranche dans le vif du drame
embryonnaire qu'une paire d'œillères masquant les dérives irréparables. La vie
est trop brève pour cultiver ses inconsciences.
Aucune nouvelle des affaires
françaises, des écroulements soviétiques, de la choucroute nippone et de la
hauteur d'esprit de l'inénarrable secrétaire général du pcf.
Petite indiscrétion tout de
même : le Marchais des valeurs
marxistes tente de ne pas « kracher ».
Les communistes français ne
sont pas à la fête. L'humanité les abandonne. Sans inquisition, le ridicule
découragera, on l'espère, les plus fraîchement convertis. Quoi qu'il arrive, saluons
la solidité de la foi des anciens face aux dizaines de millions de morts
induits par leur doctrine. La France restera peut-être comme la
réserve naturelle des derniers spécimens, des scrogneugneus irréductibles, témoignages en pied d'une déviance intellectuelle
majeure du XXe siècle.
L'ère du capitalisme et des
voyouseries démocratiques n'a malheureusement
rien de plus ragoûtante.
Mardi 27 août
Du travail à l'appel. Contacts téléphoniques pour des
transferts de contrats, rédaction de divers courriers, solutions à des
problèmes juridiques : le tout le plus rapidement et le plus justement
possible. A vouloir englober tous les aspects d'un transfert, on déniche
toujours une chose à faire.
Hier, Heïm nous rappelle un des grands
problèmes pour gérer correctement une société : la maîtrise du temps
imparti. Je vais bientôt tester mes capacités en la matière lorsque je
cumulerai mes fonctions de gérant de la seru, d'administrateur de la sebm, et mes oripeaux de sorbonnard pour étudier deux maîtrises de droit (affaires et
social).
J'oublie ma 'tite Kate, avec qui j'ai réglé ce soir un petit différend. J'apprécie chez elle
sa facilité au dialogue, qui évite de sombrer dans le non-dit grignoteur d'amour. Je suis sans doute
trop systématique. Par soucis de clarté, je stigmatise, sitôt décelé, ce qui
m'apparaît comme des travers. Ce n'est pas céder à un instinct tyrannique, mais
tenter d'améliorer le rapport après les premiers flashes aveuglants de la
passion. Tout va très bien, et sans « Mme la Marquise ! », mais
je suis à cent lieues de maîtriser les tenants et les aboutissants de notre
relation. La meilleure des attitudes est de laisser s'épanouir l'union et de
rester à l'affût des signes négatifs.
J'ignore ce qui se trame
dans le reste du monde. Mon égocentrisme a certainement gonflé ces derniers
temps. J'écris en effet plus volontiers lorsque le sujet me touche de près.
Je ne me soucie pas plus que
cela de mes lacunes : les occasions de disserter sur les malfaisances des
rentrées politique et médiatique ne manqueront pas. J'attends leurs tronches
d'arrivistes avec appréhension, mais remonté à bloc par une agréable excitation
pamphlétaire.
Mercredi 28 août
Pour mon travail prospectif,
je reçois un directeur de vente au label Turgot, grossiste en matériel de bureau. Grand dadais, imbu sans modération,
garni d'une bonne couche de couenne en guise de cervelle, il se pointe avec une
heure de retard sans la moindre excuse... Le type d'humanoïde à pendre haut et
court. Dur de s'adapter à ce monde de marchands de cacahuètes.
Kate au téléphone. Gentille conversation.
Une campagne publicitaire
tente actuellement de convaincre le citoyen qu'un sidaïque est un être humain
comme un autre. Des portraits d'hommes, de femmes et d'enfants illustrent ces
questions lancinantes : « Si je suis séropositif(ve) tu danses avec
moi ? tu joues au ballon avec moi ? tu parles du beau temps avec
moi ? tu me suces le sexe ? » etc. Une seule envie :
ajouter sur toutes les affiches « avant que je crève ! ».
Odieux, mais tellement drôle.
Jeudi 29 août
En route vers Paris.
Une journée de plus à la
trappe sans que je parvienne à ne rien laisser en suspens. Les urgences se
bousculent. Elles sont le lot de toute prise de responsabilité conséquente.
Au hasard, quelques exemples
de choses à faire : dénicher une offset à louer ou d'occasion, une plieuse
aux capacités supérieures à l'actuelle, écrire et faire taper divers
courriers, déterminer pour l'association la manière dont elle détient chaque
matériel, régler des problèmes juridiques, s'occuper du dépôt de marques à l'inpi, etc.
Reste l'amour : je le
rejoins par les rails.
Vendredi 30 août
Un malaise me prend à chaque
immersion dans la gluance parisienne. A la descente du train, le marais grisâtre
de la Gare du Nord me souffle ses flatulences.
Premier des efforts :
intégrer la masse en mouvement sans laisser transparaître une pointe d'humanité.
Un faciès dépersonnalisé est le masque convenu de la concentration vivotante.
Pour son intégrité, pour préserver ses quelques espérances, il ne faut pas
s'attarder.
Je plonge à toute allure
dans les profondeurs métropolitaines, cour des miracles labyrinthique aux vapeurs
lourdes. Les peaux collent entre elles, les bouches fétides à quelques
centimètres attisent mon dégoût, les imperfections physiques de chacun
s'imposent en gros plan. Les gueules de passage ont le souci d'en sortir, les
gueules louches s'enracinent comme dans un chez-soi obligé. L'affluence vous
donne le tournis dès que vous ne suivez pas le rythme. Pauvre condition que
cette survie souterraine. La puissance dégénérative est telle que je me
surprends parfois à me comporter comme un spécimen du cloaque.
Un comique décelait chez un
animateur poids lourd de la télévision des dons pour communiquer avec le
cosmique en ce qu'il maîtrise parfaitement l'intelligence du vide. Voilà bien
une déviance que l'on chope sans mal dans cette civilisation de l'entassement
excessif et du déplacement inutile.
Toute cette semaine, à sa
demande, je réveille Kate à huit heures par téléphone. Elle me répond
avec une petite voix d'enfant tirée des songes. Si je renouvelle l'appel
quelques heures plus tard, la voix retrouve un timbre prestatif, presqu'inaffectif. Curieuse mutation.
Samedi 31 août
Nous venons de visiter le
château de Guermantes. Passage de pièce en pièce, à la remorque d’un vieux monsieur,
apparemment très gentil, mais au physique draculo-carabossien :
visage émacié, courbe dorsale accentuée, narration gutturale, regard de
cataclysme... une panoplie complète pour sataniser les soirées de pleine lune.
Les lieux sont parés de
peintures murales, de portraits en pied, de meubles en bois précieux. La grande
salle de réception rappelle en version miniature le style grandiose de
Versailles. Parc dessiné par Le Nôtre.
J'inscris quelques mots dans
le livre d'or avant de quitter cette terre, muse de l’écrivain au style fleuri...
Le séjour s’entache de
quelques larmes. L'approche des examens de rattrapage fragilise la psychologie
de Kate. Très agréable dans ses meilleurs moments, elle glisse sans
préliminaires, par à-coups hystériques, vers sa mauvaise zone.
Dimanche 1er septembre
La villégiature chez Kate se termine.
Nous devions ce matin nous
lever tôt pour faire place nette avant l'arrivée de ses parents.
Le bien-être du sommeil nous
tient jusqu'à dix heures. Il faut exécuter plus rapidement le programme des
réjouissances. Kate ne manque pas d'éclater en sanglots. Finalement, nous
parvenons à nos fins : laisser la maison dans un état décent.
Sur le perron de la porte,
prêt à monter dans la voiture, Kate me lance « c'est la voiture
de mes parents ». Elle reconnaît le bruit du moteur. A la bourre nous le
sommes certes, mais ses parents arrivent avec une demi-heure d'avance.
Quel insolite et
rocambolesque instinct m'anime tout à coup ? Me voilà qui tente de me
dissimuler derrière les lauriers du jardin avec mon gros sac couleur feuillage.
Kate, consciente du grotesque de la situation, me conseille de monter dans
la voiture alors que ses parents s'arrêtent devant la grille.
Vaudeville en puissance. Je
suis blanc de gêne et ne descends de la voiture que pour serrer la main de ses parents venus me saluer le sourire aux lèvres. Je
force le mien, bien plus tenté par la discrétion d'un trou de taupe, avec
monticule de terre, pour me faire oublier. Kate est détendue et prend la situation
presqu'à la légère. Elle me ramène à la gare. Sur le trajet, elle se rappelle
qu'une petite culotte traîne sur le bureau de sa chambre. Manquerait plus que
son père la découvre...
La fumeuse péripétie me
laisse l'image de parents à la gentillesse apparente, amusés de nous avoir pris
en faute. Je téléphonerai ce soir à Kate
pour savoir comment s'est passé le retour au foyer.
Je vais manger chez maman. Seront présents :
son nouveau compagnon et mes frères. Je redoute de plus en plus ces réunions.
Si les déjeuners en tête-à-tête avec ma mère sont agréables, ceux en forme de
pseudo famille ne me disent rien qui vaille.
Depuis mon départ de Parmain, les divergences s'accroissent. Les actions que je mène, les idées
que j'essaie de défendre m'éloignent de mes attaches sanguines. Le jus soli (la terre de cœur) a, chez moi,
toujours prévalu sur le jus sanguini.
Au risque d'éprouver un mal
être, je ne dois pas prolonger ces visites sporadiques que seule l'affection
justifie.
Assis dans un train
métallisé direction banlieue, les horreurs défilent à portée de vue. Les taggers,
qui devraient se balancer au bout du chanvre le long des voies pour reposer le
regard du voyageur, mènent leur entreprise d'enlaidissement sans être
inquiétés. Vu leur support, parvenir à dégrader davantage le paysage relève du
sinistre prodige.
Soyons juste : les
beaux tags, avec couleurs et relief, ne me gênent pas. En revanche, les signatures
de barbouilleurs arriérés donnent envie de leur mettre des claques. Les
auteurs justifient leur saccage par une volonté de prouver leur existence.
Qu'ils se battent jour et nuit pour émerger de la bourbe banlieusarde, et alors
seulement leur paraphe aura un sens.
Mardi 3 septembre
Mon rythme de travail monte
d'un cran. Depuis lundi, je fonce tous azimuts pour régler tout ce qui se présente.
L'imprévu est toujours au rendez-vous et nécessite un chamboulement constant
du programme prévu. Je peux tout juste me fixer des urgences prioritaires.
Je prends conscience chaque
jour davantage de la nécessité d'un classement rigoureux des paperasses qui
s’amoncellent à vue d'œil. Sous peine de passer la moitié de son temps à
chercher le bon document, de fragiliser son assise psychologique et d'empêcher
toute efficacité, un tri et une classification s'imposent.
Le temps qui défile lorsqu'on
est retenu par mille choses, et que l'action prédomine, n'a rien de commun avec
celui des loisirs ou des études. Il perd son rythme linéaire (dans la longueur
ou la brièveté) et multiplie les perceptions qu'on en a : il s'accélère,
ralentit, on l'oublie puis il revient comme une charge d'angoisse, on se trompe
sur son écoulement...
Impossible actuellement
d'approfondir mes recherches de nouveaux fournisseurs et ma gestion quotidienne.
L'époque de transition va durer quelques semaines, voire quelques mois.
Les travaux et les ennuis
qui m'assaillent ne doivent jamais me distraire du sens de l'humour et de la
dérision, au risque de me déshumaniser.
Demain la course
passionnante continue.
Ce soir, Kate au téléphone. Petite discussion
avec elle. Invité par ses amis Barbara et Lionel à leur mariage, je précise à Kate
mon refus de la voir danser la valse avec ses amis, même de longue date. Je
suis peut-être buté dans ma conception des rapports entre hommes et femmes,
mais je suis prêt à décliner l'invitation et à reconsidérer ma relation avec Kate.
Les choses sont très claires dans mon esprit, et je n'ai nulle envie de parasiter
les principes fondamentaux que j'ai choisis pour les beaux yeux ou le beau cul
de qui que ce soit. L'hygiène sexuelle (je
vide mes couilles, bonsoir et merci) ça existe aussi.
Idem pour la question du
vouvoiement. Barbara aurait dit à Kate sa préférence pour que je la
tutoie, alors que je ne l'ai rencontrée qu'une fois. Nul snobisme dans cette
distance verbale, comme pourrait le croire des esprits intoxiqués par le Pote système, mais simple sens de la relation
humaine. Si je tutoie la délicieuse Barbara à la deuxième entrevue, je lui
demande de me lécher le gourdin à la troisième. La convivialité serait pour le
moins complice, au grand effroi de son sympathique compagnon et futur mari.
Kate semble saisir ma position, sans
abandonner son apologie de l’égalité dans la relation amoureuse et la pensée individuelle.
Pour l'idée du monde on peut défendre cette indépendance d'esprit, mais pour
régir les formes d'une union, l'un doit rejoindre l'autre.
J’entr’aperçois ce soir
quelques animateurs TV qui achèvent leur deuxième journée de rentrée, notamment
Gildas et son rejeton de talent à l'émission Nulle part ailleurs sur Canal +.
Mercredi 4 septembre
Bientôt une heure du matin,
encore une journée trop courte.
Rencontre l'après-midi avec
un imprimeur de Saint-Quentin pour apprécier sur pied une
offset japonaise (Fuji). Le père, d'une cinquantaine d'années, et le fils sont passionnés par
l'imprimerie. Leur parc révèle quelques belles pièces comme ces Heidelberg de 25 ans d'âge, toujours
ronronnantes. Ils ne négligent pas pour autant les progrès techniques et nous
vantent les mérites de la grosse bête nippone.
Sur ce, débarquent le gros commercial
rouge, suant, à l'œil incertain, organisateur du rendez-vous, et son fringant directeur
des ventes. Les détails techniques sont traités avec Alice. Moi, j'ignorais presque le terme d'offset il y a encore dix jours.
Il faut apprendre vite et
s'adapter constamment.
Le temps m'échappe. Je suis
contraint de repousser au lendemain certains problèmes. Ainsi la consignation
par écrit de l'état du stock et son évaluation fiscale pour sa cession. Ainsi
le dépôt de plusieurs marques à l'inpi.
Petite pensée pour ma Kate qui se fait de plus en plus de
mouron à l'approche des examens.
Jeudi 5 septembre
Journée très importante sur
le plan professionnel.
Au téléphone avec un
fournisseur agressif et accusateur, je dois gratter les dossiers pour découvrir
les preuves flagrantes de ses mensonges et lui signaler ses erreurs qui
frisent l'escroquerie. J'explique l'affaire.
L'association r.u. avait
acheté une plieuse chez Sofrapli, prétendue première société française dans ce domaine.
Je me renseigne chez eux
sur les conditions de location d'un matériel plus puissant qui puisse répondre
à notre productivité croissante. La plieuse, d'une valeur marchande de cent
mille francs, nous serait louée six mois au prix de dix mille et quelques
francs par trimestre. Le matériel peut être livré lundi prochain.
Je demande alors à Bodudard, gérant de Sofrapli Amiens, de m'envoyer par fax et par courrier le contrat de location qu'il propose.
Je le rappelle aujourd'hui
pour lui présenter des clauses à rajouter au contrat : intervention dans
les vingt-quatre heures si survient un problème technique, remplacement par un
matériel équivalent en quarante-huit heures si la plieuse ne fonctionne plus,
et bonne adéquation des capacités de la machine à la spécificité de nos travaux
sous peine de résiliation du contrat.
L'accord s'équilibre ainsi
dans les avantages accordés. Le bougre Bodudard refuse catégoriquement la
dernière des clauses. Cela reviendrait à nous accorder une période d'essai, non
rentable pour eux.
J'en viens alors au contrat
d'entretien. Administrateur de la sebm, je dois reprendre la petite plieuse et son
contrat de maintenance. Je m'étonne des disproportions entre ce qui relevait du
contrat et ce qui était facturé à l'association : ainsi plus de
1 000 F de déplacement à régler pour le changement d'une courroie de
40 F. Bodudard pique alors sa crise : non-paiement du contrat d'entretien jamais entré en vigueur, factures impayées,
etc.
N'ayant aucun élément pour
le contrer, je le quitte en bons termes. Pour éclairer d'un jour plus sain ses
postulats accusatoires, je demande l'aide de Monique. Nous retrouvons dans le dossier Sofrapli la photocopie de la lettre
envoyée en janvier 91 pour la conclusion du contrat d'entretien. Un chèque de
la moitié du montant à régler accompagne le courrier. Le solde est versé par
traite en avril. Gros mensonge de Bodudard.
Chauffés pour
l'investigation, nous filons à la comptabilité retrouver les factures et
comprendre ce qui relève réellement du contrat, comprenez de la bourse de Sofrapli. Après contrôle nous concluons à une facturation abusive à
l'association de prestations et de déplacements relevant du contrat d'entretien.
Grosse boulette des services
de Bodudard. Les infâmes profiteurs n'auront qu'à bien se tenir : je vais
demander l'étude de toutes les factures qu'ils nous ont envoyées et
l'établissement d'avoirs en conséquence. Sitôt rappelé, Bodudard, carpette devenue,
accepte ma troisième clause sans broncher.
Grande leçon pratique pour
moi.
Je redoute d'avoir à tout
décortiquer et de ne pas pouvoir retrouver tous les documents nécessaires à la
résolution de chaque nouvelle affaire.
Ce travail de Sherlock
Holmes du commerce reste le point culminant de cette
journée.
Peu de Kate aujourd'hui. Rapidement au téléphone
pour m'informer de la date de ses écrits : les 16 et 17 septembre. Cela
lui laisse encore une semaine pleine pour réviser. J'espère de tout cœur son succès.
Je la verrai ce week-end pour deux tout petits jours de relâche.
Samedi 7 septembre
Il est minuit vingt et
j'achève de regarder l'adaptation cinématographique des Histoires extraordinaires
d'Edgar Allan Poe. Roger Vadim et Federico Fellini laissent couler leurs fantasmes.
Semaine d'action très
positive pour ma formation. L'été meurt et je n'ai eu le temps que de quelques
battements de cils. Bientôt la réinscription universitaire, les nouvelles
bouilles professorales et, j'espère, ma Kate à mes côtés. Avec mon travail de
gestionnaire et d'administrateur, je risque de ne pas beaucoup fréquenter les
amphis.
Kate au téléphone me fait part des
malheurs sordides de sa camarade Christel. Son chauffeur de bus ne se sera énamouré de la pauvrette que durant
quelques heures couronnées de baisers. Depuis, plus de nouvelles, et même
mieux : il la fuit. Elle tente alors de remettre son grappin sur un
chauffeur de bus antérieur, Momo l'arabe. Un des moyens : que Kate joue la
conciliatrice (de charme). Mes grognements ne se font pas attendre, lorsque ma
belle cambrée réclame mon avis. Hors de question qu'elle s'entremette dans
cette piteuse histoire de cul pas propre. Je comprends la détresse de la
rondouillette Christel, mais je crois surtout qu'un instinct malsain la pousse
et la poussera toute sa vie vers la merde. Son ambition de fonder une famille
ne pourra que tristement se réaliser avec cet esprit-là. Kate n'a, en tout cas,
pas à intervenir comme porte-parole. L'aimée était totalement de mon avis.
Dimanche 8 septembre
Je quitte Kate à l'instant. Gros sur la patate.
Emotion à son comble, lorsqu'elle m'a donné une dernière fois sa bouche à la
pulpe brûlante. Deux jours de nervosité et de passion sauvage. Kate a de plus
en plus de mal à supporter l'approche de ses examens. Ses larmes trahissent une
fatigue psychologique. Son contact n'est pas des plus faciles. Nous avons
décidé de ne pas nous retrouver le week-end prochain : elle risquerait de
sombrer dans une dépression qui mettrait fin à ses chances de réussite. Loin
d'elle, je ressens au tréfonds l'attente angoissée qui la ronge. Refaire une
licence n'est pourtant pas signe de fin du monde, même à vingt-quatre ans.
J'ai oublié de noter la
folle journée de vendredi dernier. La venue d'une plieuse poids lourd lundi matin
a nécessité quelques changements provisoires dans la fonction des pièces de la Banque [siège de la sebm, l’immeuble abritait auparavant un
établissement de crédit] Chacun croulant déjà sous le travail, il fallait en
sus faire preuve d'une agilité tarzane
et d'une mémoire éléphantesque pour éviter les meubles en suspension et
retrouver l'endroit où se nichait son malheureux dossier.
La rentrée scolaire du mouflet
à l'ados ira de pair avec le retour de Big
Média et des politiques. Rien de bien
passionnant. Côté média, la Une se repeuple de sa clique d'animateurs vedettes
qui certes distraient nos soirées, mais qui, confessons-le, relève
généralement d'une bouffonnerie impressionnante. Passage au crible.
Le lundi, pro Drucker fait son Star 90 depuis l'abandon
du service public et de ses vieux Champs-Elysées. Le décor des halles Truc-Machin est somptueux, les paillettes
abondent et les vedettes font la queue. Pro Drucker a quelque mal à vieillir,
attentif qu'il est à son brushing ébène. Seul Guy Lux peut se vanter d'être son aîné
dans l'animation d'émission-spectacle.
Mardi, plus tard dans la
soirée, Dechavanne se contorsionne avec entrain. Le
gros niqueur que j'étais, à l’époque du service Minitel
Mégalo et des chroniques pamphlétaires proposées, se
faisait un plaisir de le croquer tout cru. Avec un talent indéniable, il
s’efforce de faire passer l’idéologie potéenne
pour un modèle d’honnêteté intellectuelle.
J'ai parcouru au début du
mois de juillet le livre qu'il a fait scribouiller par son homme de couleur :
mon dieu ! Cet animateur ferait donc partie des mouleurs d'opinion ?
Pourquoi alors ne pas appeler illico Chantal Goya ou Mireille Mathieu à une fonction ministérielle ? Curieuse habitude que de vouloir
constamment sortir du rôle premier, dans lequel on excelle, pour s’improviser
idéologue d’exception.
Le mercredi : sacré
Foucault ! Emission à grand spectacle, le Jean-Pierre ne cache pas sa tendance
au populaire, tout en gardant son quant-à-soi lucide. Rien à dire de méchant
sur le bonhomme.
Vendredi, pour une soirée
maigre en viande et en subtilités, l'incontournable Sabatier, au bord de la déification populaire, s’est spécialisé dans la
générosité de salon. Belle mais logique réussite que d'avoir pu se hisser au
premier plan par l’alliance d’une (probable) vraie gentillesse et d’un sens de
ce qui captive le plus grand nombre.
Le lendemain, Sébastien le chevelu n'offre pas le même
profil. Sa créativité, même frisant parfois le prout-caca-boudin (et il en
faut), est sans conteste un de ses atouts de longévité dans le métier ;
elle lui permet quelques toutes petites irrévérences envers le pouvoir politique.
Ses rapports tendres et protecteurs avec Paul Préboist, fœtus sur le retour, sorte de Sim en maison de retraite, sont très
touchants.
Voilà un petit aperçu de ce
qui fait notre télé populaire d'aujourd'hui.
Terrible chose que de voir
vieillir les têtes familières du cinéma ou de la chanson. Chez Michel Piccoli, les stigmates du vieillard sont très nets. Le ciboulot dégarni le
rapproche davantage de Léo Ferré, l'anarcho-poète convaincu de ne pas être con (et Cunégonde veux-tu du fromage ?). Curieux de voir l'influence
diamétralement opposée que peuvent avoir les années sur un être et ce qui se
dégage de sa personnalité. L'esthétisme des rides trouve son illustration chez
des gens comme feu Gabin, feu Ventura et chez le bien vivant Noiret. Jeunes, ils n'avaient rien de bien transcendant, hormis peut-être
pour l'époque le bellâtre Gabin du Quai
des brumes. L'impact du bougre est
tout de même plus puissant lorsque la blancheur et l'épaisseur patriarcales
s'en mêlent. Au contraire, un Piccoli, déjà peu gâté au départ, ne s'arrange en
rien à l'âge de la poupinette grande taille. Bouffi, les yeux exorbités, les
lignes du visage désagréables : tout cela attriste et fascine.
Kate toute douce au téléphone ce
soir. Elle a retrouvé dans son sac le petit vaporisateur rempli de mon eau de
toilette (Eau sauvage de C. Dior). Sur sa table de nuit, elle hume les vapeurs qui s'en échappent pour
mieux me visualiser. Triste de me quitter si vite, elle devra travailler
jusqu'à l'étourdissement pour mettre toutes les chances de son côté. Je fais un
vœu.
Lundi 9 septembre
Début de semaine en trombe.
La plieuse 386HP (une grosse bête louée pour six mois) est arrivée ce matin,
installée dans l'ex-bureau de Monique. Un technicien, qui se distingue par sa présence
malodorante, passe sa journée à la mise au point du matériel et à la formation
sommaire de notre employé destiné à l'utiliser. Rencontre avec le dirigeant de
Kodak Amiens pour le transfert des contrats à
la sebm Aucun
problème à l'horizon. Sally nous avait fait, à Michel Leborgne et à moi, l'historique des tensions
avec une Mme Broyée, petit bout de bonne femme
qui se révéla très gentille, lorsqu'elle comprit le sens et la portée de
l'activité d'exhumation.
Je reçus en début
d'après-midi un certain Zanniais de la société secap : le lunetteux rondouillard,
suant et court sur pattes par excellence. Sa venue concernait la machine à
affranchir : changement du titulaire du contrat. Voilà mes rencontres
d'aujourd'hui, rien de bien transcendant.
Demain matin, virée à Paris avec Alice pour aller renifler, dans ses
boulons et recoins, l'offset de Suptoner : matériel de démonstration vendu pour 275 000F. au lieu de
374 000F. La location financière sera indispensable : la rencontre
avec la société sovac d'Amiens aura lieu l'après-midi avec Sally. Avant, rendez-vous avec le banquier de la sebm, à qui nous allons montrer ce que nous
faisons comme ouvrages, pour l'amollir dans la négociation. M. Leborgne viendra en observateur. Je ne
peux guère prétendre à mieux.
Bientôt minuit et ma petite Kate doit normalement encore
travailler. Je lui ai téléphoné ce soir, lui promettant d'avoir une tendre
pensée aux douze coups : voilà qui est fait. J'espère qu'elle ne flanchera
pas sur le plan psychologique.
François Mitterrand s’est allègrement rattrapé, avec
une gourmandise non dissimulée, depuis son Coup
d'Etat permanent.
Dix ans et cent onze jours de pouvoir avec une transfiguration de l’homme dont
la nature reste à définir.
Mercredi 11 septembre
Depuis deux jours, le rythme
est plus que soutenu et éparpillé entre divers fronts à mener de conserve. La
passion me donne l'énergie, mais la raison doit guider tous mes actes. Je dois
pénétrer (en tout bien tout honneur) tous les univers pour en comprendre les
défauts, bousculer toutes les mauvaises habitudes, veiller à ne pas sombrer
dans la gesticulation venteuse qui ferait de moi une baudruche inutile.
L'angoisse peut monter lorsque l'urgence impose que certaines choses soient
faites avant d'autres, ce qui repousse parfois de plusieurs semaines
l'exécution de ce qui deviendra par la fuite du temps priorité.
Le 10 septembre au matin,
visite en coup de vent chez Suptoner, à Paris, pour découvrir sur pied le
matériel offset proposé. Passage par les zones insalubres (ou Z.I.)
d'Aubervilliers : dégénérescence des gens, laideur sordide des bâtiments, grisaille
générale qui se répand comme une sale peste. Le chauffeur perdu, nous sommes
contraints de nous diriger à la carte. Manque plus que la boussole et le
sac-à-dos. Arrivés à destination, nous nous précipitons pour voir
l'engin : Alice est favorable à son acquisition. Afflux de
gros pour nous présenter le matériel : des grands, des petits, tous gras
du bide, une sorte de remake du Zizi
de Pierre Perret.
Retour sur les chapeaux de
roue dans notre province qui certes pue parfois mais où, chose essentielle
pour santé garder, la concentration de crétins au kilomètre carré est largement
moindre. L'après-midi j'enchaîne avec le rendez-vous de la sovac d'Amiens. M. Grolive, directeur d'agence, a un comportement curieux : agressif au
début tout en conservant son ton moelleux ; souriant, voire rieur à la
fin, il agace et étonne en même temps. Reste à voir s'il nous suivra pour le
financement de l'offset.
Ce matin, après une mise en
route hypersonique à la Banque, rendez-vous au Crédit du
Nord (établissement de crédit de la sebm) pour obtenir une ligne d'escompte et un
découvert.
Jeudi 12 septembre
J'achève mon compte rendu de
la journée d'hier, le sommeil m'ayant, sur le coup de minuit et demi, imposé le
silence. Le banquier de la sebm que
nous avons rencontré relevait davantage de l’espèce porcine que de l'expert en
finance. Très coopératif cependant.
Vu, hier au soir un
documentaire rassemblant les bouts de films pris dans l'intimité d'Hitler, Les yeux d'Eva Braun. [...]. Le commentaire qui
les accompagne ne manque pas de déformer systématiquement la douceur de vivre
qui peut en émaner.
L’hitlérisme est bien sûr
une horreur, mais comme le sont le communisme (Staline et ses camps gelés de la mort)
et le démocratisme version 1789-95
(génocide catho-vendéen). [...]
Vendredi 13 septembre
J’apprends que des soldats
américains, lors des derniers jours de la guerre du Golfe, auraient suivi dans leurs chars les tranchées des Irakiens, écrasant et enterrant vivants plus de cinq mille d'entre eux. Ce
n’est pas tant ce massacre qui me fait bondir d'indignation, que l’ignoble
propagande de guerre « propre » et « chirurgicale » qu’avaient
diffusée les médias de tous ordres. J'avais déjà hurlé mes réserves quant à ces
notions dans une grosse nique
[chronique pamphlétaire sur Minitel], et je ne peux rester de marbre quand ce
genre d'hypocrisie générale mène à découvrir trop tard la véritable histoire
de l'humanité.
Kate au téléphone. Nous avions prévu
de (peut-être) manger ensemble samedi 14, mais renoncement de dernière minute
pour lui permettre de se consacrer toute entière au travail de révision.
Bientôt minuit, et je
regarde un combat de boxe entre mi-lourds pour le championnat d'Europe. Le Hollandais (d'importation vu sa couleur un peu foncée)
Blanchard (!) et l'Allemand Rocchigiani. Le champion en titre est blessé à l'œil droit qui se ferme ; il
tente désespérément un forcing, alors que nous n'en sommes qu'au troisième
round. Le Hollandais vient d'en prendre autant dans la gueule. Rocchigiani n'a plus qu'un œil d'ouvert.
Dramatique de boxer dans ces conditions. A cette allure, l'un risque de perdre
un œil. Curieuse ambiance, entre leur déchaînement physique et l'angoisse qui
monte pour des blessures de plus en plus graves à chaque coup. Déjà cinquième
reprise, deux styles de boxe s'affrontent : le Hollandais est rapide et répété dans ses coups ; l'Allemand encaisse beaucoup
plus mais dégage des uppercuts et des crochets plus puissants. Effroyable, le
visage de Rocchigiani : l'œil droit fermé,
la paupière et la pommette enflées et rougies, le champion y met ses tripes
au radar. Blanchard, épuisé, ne fait pas bonne mine lui non plus. Question : qui
cédera le premier à la boucherie ? A la neuvième reprise, l'Allemand
sauve son titre grâce à une fantastique rage de vaincre. Blanchard, à 34 ans, vient certainement de vivre son dernier grand combat.
Samedi 14 septembre
Je vais faire un petit tour
à la Sorbonne pour voir si les programmes de
maîtrise en droit sont affichés. Ma convocation administrative, celle où l'on
verse les sous-sous, est fixée pour
le lundi 29 septembre à Tolbiac, annexe de Paris I inaugurée par Fanfan Mité il y a quelques années. Pour cacher
les murs de béton, la direction a décidé de faire repeindre les murs avec de
vieux pots de peinture qui restaient. Résultat : des couleurs hachement vives, genre seventies à
souhait, avec les p'tits joints à l'intérieur. Bande de gonds !
François Mitterrand a donc dépassé le Général de
Gaulle dans la longévité du pouvoir présidentiel.
Complexe personnalité faite d’arrivisme passionné, d’intelligence efficace et
d’un sens tactique incontestable ; on peut toutefois douter de sa
légitimité fondamentale, au-delà des urnes. Rides et expérience n’imposent pas
le respect si le parcours ne révèle pas une qualité de fond. Certes le chenu Fanfan possède la puissance allouée par
la première place dans la hiérarchie républicaine, mais il n’y a pas là de quoi
s'agenouiller.
Je suis passé il y a
quelques mois dans la ville de Trappes, commune dont j'ai exhumé l'histoire parue dans la collection Monographies des villes et villages de
France dirigée par Heïm. Dans mon prospectus de présentation, avec le style truculent qu'on
me connaît, je traçais l'histoire locale dans ses plus brillantes facettes.
L'objectif est de donner envie de lire l'ouvrage. Aux abords de l'an 2000, Trappes
est hideuse, bétonnée, dépersonnalisée, du moins dans les quartiers de la
ville nouvelle. Laideur HLMienne,
Trappes, glorieuse jusqu'alors dans mes pensées, se ratatine dans sa plus sordide
banalité. Les Trappistes qui ont reçu mon prospectus ont dû croire davantage à
une annonce de voyage vers une destination féerique, qu'à une proposition de
découvrir le passé de leur propre ville. La continuité historique, synonyme a
priori d'une amélioration constante, est rompue depuis longtemps pour nombre
de localités.
Kate au téléphone. Nous fêtons aujourd'hui
nos six mois de rencontre. Délicieuse de complicité avec moi. Je lui souhaite
beaucoup de réussite pour lundi et mardi prochains. Je lui faisais remarquer
combien elle prenait bien mes crudités verbales. Beaucoup d'évolution depuis
notre premier contact. C'est bien.
Ardisson, parangon du parisianisme branché, fait son numéro sur petit écran
avec le lot habituel de sous-entendus percutants. A ses côtés, Bohringer ne boit plus que les mélanges
spirituels des lieux.
Dimanche 15 septembre
Je file vers la Picardie. Les plaines blanches du brouillard matinal se succèdent les unes aux
autres. Je ne m'explique pas bien pourquoi, mais une lourde mélancolie me serre
la gorge. Peut-être ces coups à l'âme, désespérée à jamais. Pourtant j'aime
profondément le parcours et les choix que j'ai faits, j'apprécie l'homme que
je deviens, même si l'autocritique est souvent rude et que l'impression d'exister
sur un fil de rasoir est constante.
Dernière écorchure, encore
et pour longtemps ouverte : la perte de mon premier et sublime amour. La
toute belle Aurore, muse qu'on aurait dit
sortie tout droit d'un coquillage vénusien, s'est éloignée de moi, happée par
un mauvais milieu ou reprise en main par l'homme d'une liaison qu'elle
m'aurait cachée. Moi, épris de pureté, je n'avais pas tenté le tout pour le
tout à la première rencontre. Trop authentique, trop respectueux du mystère qui
l'entourait, j'ai perdu ce premier amour féerique, qui aurait pu être le seul.
Kate est là, heureusement pour mon
équilibre.
Son premier examen a lieu
demain à treize heures trente. Je lui ai conseillé de ne pas s'endormir trop
tard, et de ne pas s'affoler si elle ressentait comme une grande confusion
intérieure alliée à l'impression d'une ignorance généralisée. Simple signe
d'angoisse. Ma solidarité avec Kate se manifeste par une boule stomacale. Je
suis avec toi ma Kate chérie !
Vu Dumas interrogé par Anne Sinclair, un chouïa complaisante.
Lundi 16 septembre
Ce Dumas, disais-je, fier comme Artaban d'occuper le Ministère des Affaires étrangères à l'époque où, justement, tout ce qu'il y a d'important,
d'« historique » comme nous le ressasse le Big Média à trois têtes (tv, radio, presse), a lieu hors de nos
frontières.
Terrible journée pour Kate :
première épreuve écrite à repasser. Je l'appelle une demi-heure avant son départ.
La voilà qui se met à sangloter, refusant d'y aller, comme un tout-petit que
l'on traîne à la maternelle. Emouvante, la Kate. Ce soir, la tension est
derrière elle, mais naît l'angoisse d'avoir mal fait. Me poussant à faire de la
notation prévisionnelle, je me refuse à appréhender la connerie ou l'équité
de son futur correcteur. Et dire que demain toute la cérémonie recommence.
Signature aujourd'hui par Alice, au nom de la sebm, du contrat de location entretien avec
Kodak pour le parc de deux EK 165, de
deux EK 90 noir et blanc et d'une EK 90 couleur. Le portefaix des contrats, un
certain Berscht (à deux lettres près) s'étonnait
des prix que l'association avait obtenus et dont la sebm bénéficiaient du fait de la reprise du parc (0,04
centime la copie si l'on dépasse 500 000 par mois). Normal, avec notre Sally, qui a parfois fait, comme ici,
des négociations du tonnerre de dieu.
Demain, rencontre avec deux
banquiers, vous savez, ces bonshommes prévenants qui vous prêtent un parapluie
les jours de grand soleil.
Heïm se demandait à midi si chaque
être, hormis les cas exceptionnels, n'était pas programmé génétiquement pour
ne pouvoir donner le meilleur de soi-même que durant un temps très limité. Ceci
expliquerait la petite vie que s'échafaude l'homme, incapable de tenir la distance
au-delà d'un certain temps, lorsque ce qu'il donne est sublime. De là les
déceptions sur les êtres. Le seul palliatif à cette dégénérescence : des
principes moraux absolus à respecter.
Mardi 17 septembre
Journée d'angoisse sur le
plan professionnel. La maousse offset de chez Suptoner nous était bloquée, jusqu'à
aujourd'hui, pour nous permettre d'obtenir la réponse des sociétés de financement
que nous avions contactées. L'ingénieur commercial avec qui nous sommes en
relation devait passer ce soir. Résultat d'une société de financement en
lice : accord sous condition de verser cash vingt pour cent de la valeur
de l'offset. Impossible d'obtenir l'interlocuteur de chez sovac, la deuxième société de financement. Finalement
nous abordons le problème différemment : venue d'un technicien pour
réparer l'Hamada que nous possédons. La grosse
attendra l'accord de la sovac ou
de Locafrance. Soulagement après avoir
jonglé entre les décisions à prendre et les délais à respecter.
Kate a passé sa deuxième épreuve écrite.
Moins bonne impression qu'hier. Elle a choisi le sujet théorique consistant en
la comparaison entre la cession et le nantissement de créance. Epuisée, il ne
faut pourtant pas qu'elle se décourage. Le début des oraux est dans une
dizaine de jours, il faudra qu'elle soit prête au cas où...
Mercredi 18 septembre
Encore une journée pleine de
rebondissements. Ce matin, je reçois avec M. Leborgne le responsable du service
professionnel pour la caisse régionale du Crédit agricole. Exposition de l'activité : exhumation des ouvrages écris à la
fin du XIXe siècle et début XXe dans le domaine de
l'histoire locale ; les plus de 750 titres parus chez r.u. association ; la reprise des activités par deux
structures commerciales (la sebm pour
l'imprimerie et la seru pour
l'édition et la diffusion) ; les objectifs de rentabilité de la seru par le biais du sponsoring des
ouvrages et de leurs pages publicitaires (tant dans les micros - villes de moins de 3000 feux - que des normaux et des départementaux) ;
l'acquisition d'une renommée incontestable du nom seru (relation avec
plus de 3 000 libraires et fichier d’environ 60 000 clients) ;
l'objectif final d'étendre cette collection au monde entier, etc.
Visite des locaux pour présenter
au bonhomme les différents secteurs d'activités que recouvrent les deux structures :
service littéraire (dirigé par C. Rentrop) destiné à rechercher les ouvrages, à faire les enquêtes pour sentir si le terrain où ils seront
proposés est favorable ou pas, et à pondre le cas échéant prospectus de
souscription et quatrièmes de couverture ; services techniques (dirigés
par Hermione) consistant en la
réalisation matérielle du prospectus (par le moyen de la pao), en la prise du livre original
(fourni par le service littéraire) par des moyens sophistiqués tels le laser
et la sortie scanner. Après le gouachage
des imperfections et le tirage des maquettes du livre et de la couverture, la
sous-traitance de l'encartage et du brochage, l'ouvrage revient complet à la seru qui se
charge de le promouvoir. Pour cela un service promotion avec des contacts
libraires et la diffusion des prospectus par postcontacts, ainsi qu'un service de presse. Tel est le schéma des
activités.
Eloge de l’œuvre fantastique
entreprise par l'association et continuée, d'une manière commerciale par la seru, la collection et l'idée restant l'entière
propriété de Heïm et de l'association Monographies des villes et villages du monde entier. Le banquier est visiblement
ravi par ma présentation des choses. Ma prestation semble avoir été bien
accueillie. Nos exigences bancaires : une ligne d'escompte et un découvert
allant par paliers jusqu'à dix pour cent du chiffre d'affaires annuel.
Première partie de journée positive. Si tout fonctionne comme on le souhaite
avec chaque banque, nous pourrons partir confiant pour notre aventure.
La fin d'après-midi devait
filer en quenouille. La grosse offset de Gestetner attendait toujours son financement. Le frileux Crédit universel ayant refusé le dossier par leur
apriorisme défavorable envers les nouvelles sociétés (ce qui ne recouvre pas
exactement la situation de la sebm) et Locafrance ayant émis son acceptation sous
condition d'un versement par chèque de vingt pour cent de la valeur de l'offset,
il ne nous restait plus que nos vieux partenaires de la sovac, apparemment les plus fiables.
Impossibilité pour moi,
depuis le début de la semaine, d'avoir un contact téléphonique avec le gluant
Grolive, responsable de l'agence d'A. En réunion, en voyage d'affaires :
la fuite de l'affairiste imbu est incontestable. Le gros ingénieur commercial
de chez Suptoner prend lui-même l'initiative de
les appeler et apprend par la secrétaire, d'après ses dires, que notre dossier
aurait été refusé.
Stupéfaction de ma
part : l'association r.u. avait
un rapport excellent avec la sovac, nombre de matériels avaient été financés
par elle, elle s'était à plusieurs reprises mise en avant au cas où nous aurions
eu besoin de leurs services pour d'autres structures (sebm, Edicom), aucun incident de paiement n'avait jamais eu lieu. Le refus et le
silence, tout cela non justifié, me laissaient pantois. Tentant de les rappeler,
je tombe sur une secrétaire de dessous de table qui ne peut me donner plus
d'informations.
Sally, elle, réussit à avoir une conversation
avec le huileux Grolive et confirme le sentiment de malaise,
le dossier n'ayant peut-être même pas été traité. Heïm pense qu'il y a soit un problème
de personne, soit un coup fourré. De toute façon, avec ou sans eux, on se
débrouillera.
La journée reste fertile en
contraste.
Je ne verrai certainement
pas Kate samedi, le rendez-vous avec le
grand chef du Crédit du Nord étant fixé à seize heures.
Demain, journée avec Sally : le matin, passage à la bprnp pour
le compte de l’association r.u. et la
négociation d'ouverture de compte pour la seru. L'après-midi, sovac Paris nous recevra, alors que nous
serons encore tout imbibés de cette espèce de trahison de leur part.
Cette activité, lancée à
toute allure depuis le deux septembre, s'annonce comme un moyen formateur
efficace et inépuisable. Les défis et la rigueur vous trempent l'âme qui se chevronne chaque jour davantage. Ce
qu'il y a à faire dans chacun des domaines est immense ; ma surveillance,
mon œil sur la comptabilité fiscale, la gestionnaire et la prévisionnelle,
devront atteindre une précision sans faille.
Et il me faudra une femme
pour m'aimer très fort et pour baiser comme une folle avec moi. Entends-tu Kate ?
Tout le tintouin de
l'irritable Cresson fait autour des mesures
en cours d'adoption favorables aux petites et moyennes entreprises se résume au
minable rabais de 42 à 33 pour cent de l'imposition des bénéfices. Minable
d'autant plus que les nouvelles pme,
celles qui ont le plus besoin qu'on les soutienne, sont depuis longtemps exonérées
de cet impôt pendant deux ans, et par paliers les trois années suivantes.
Démonstration impeccable du genre de discours politique racoleur en forme de
baudruche : à l'intérieur peau de couille, du vent pour être poli. Cette
baisse est en plus compensée pour l’Etat par une hausse des taxes sur les
plus-values pour les grosses sociétés. L’Etat n'a donc pas à s'en faire,
Charasse super-fiscqueux Ier peut
persévérer dans ses gesticulations.
Jeudi 19 septembre
Bien content de gratter de
la plume du fond de mon lit à bientôt minuit.
Eprouvant passage à Paris. L'air nauséabond, chargé en dioxyde de carbone, et la moiteur étouffante
du climat m'ont flanqué une nausée sartrienne. Ce matin, rencontre, avec Sally, du banquier principal de l'association r.u., notamment pour négocier l'ouverture d'un
compte pour la seru agrémenté
d’une ligne d'escompte et d'un découvert. Deux personnes face à nous : le
vieux Gédéon responsable du secteur associatif
venant aux nouvelles du compte existant et de son devenir ; Panard le pied noir, directeur de
l'agence et interlocuteur potentiel de la seru.
Couteau dans le dos pour le découvert : acceptation qu'à hauteur de ce que
remboursera l'association. Cela n'a strictement aucun intérêt. Ils devront le
comprendre, sinon doigt dans le cul. Début de séjour parisien très mauvais.
Nous avons besoin de partenaires financiers, pas d'enculeurs de mouches.
Même topo pour la sovac. Le responsable des transferts de dossiers,
tente piètrement de nous justifier le refus de Grolive par des paramètres qui ne nous sont pas
applicables (genre : entreprise nouvelle égale insolvabilité quasi-certaine).
Comment veut-on que l'économie aille bien lorsque des caractériels de ce genre
peuvent mettre fin à des relations sans tache pour une question de changement
d'interlocuteur ? Il est vrai aussi que les sociétés de financement se
méfient de tout ce qui est reprise nouvelle à petit capital (mais alors comment
grossir ?) et surtout de ce qui est association. r.u faisait justement exception à la règle et la seru reprend
son activité pour ce qui touche à la diffusion. La mauvaise foi s’avère bien
épaisse.
Ce soir, j'apprends en vrac
qu'un des subordonnés du cat
Couthon, avec qui l'on sous-traite l'encartage, se regimbe d'une manière fort
désagréable ; que je suis convoqué le 2 octobre pour une demie journée
d'aptitude (on crois rêver !) au service national ; que Kate a une petite infection
vaginale due certainement à sa fatigue, à ses angoisses et à ses
Seul point positif : le
cadeau collectif pour les 22 ans de Hermione lui a fait très plaisir. Un
camescope du tonnerre !
Vendredi 20 septembre
Sujet actuel de moquerie
chez Big Média : Fanfan ne pourrait plus prononcer un
discours sans voir affluer une flopée de tomates pourries. Son impopularité
semble telle qu’il n’ait plus droit qu’au public des fruits et légumes. Ingrat,
le peuple-électeur à oublié les années d’adulation.
Rien de stimulant à espérer
pour le pays. Malhonnêteté de toutes parts, immoralité généralisée, vent
brassé valant exploit réalisé ; seule la qualité d'êtres rares mériterait
qu'on s'occupât de leur cas.
Samedi 21 septembre
Court moment avec Kate hier soir et ce matin. Ses
dérèglements psychologiques se traduisent par une irritabilité de vieille
dentelle et des douleurs physiques.
Rendez-vous au Crédit du
Nord de P. pour la sebm La
race des banquiers commence à m'être familière. Le spécimen de l'après-midi
raclait la connerie de toute part. Rasibus
blondasse sur le retour, il se calait bien fort sur ses fonds, sitôt le mot
« découvert » lâché. Encore une contradiction dans cet univers de
grouillements bancaires : la frilosité agressive pour accorder des
facilités de caisse à une jeune entreprise, alors qu'elle est l'archétype de
celle qui en a le plus besoin pour démarrer son activité.
En France, la sclérose est totale, et il n'y a pas lieu de s'étonner de
l'enlisement économique. Les bourses ne suivent pas les entrepreneurs aux
poches vides mais aux projets géniaux : le nôtre suscite toujours des
acclamations. Les banquiers nous aideraient volontiers, si nous avions les
moyens de nous passer de leur soutien : les coups de pompe qui se
perdent...
Dimanche 22 septembre
Kate m'a dévoilé hier soir au téléphone
une facette insoupçonnable de sa vie aux apparences tranquilles.
A plusieurs reprises déjà,
son père, gentiment hypocrite avec moi, se mettait à vociférer quand je
demandais à parler à Kate : « Catherine,
téléphone ! » hurlait-il comme le premier des prolétaires. Ce soir,
en pleine conversation avec Kate, je l'entends qui se met à beugler comme un
malheureux, Kate ayant malencontreusement jeté un journal lors du rangement de
son bureau. La froideur, voire l'agressivité des rapports familiaux que
j'avais entr’aperçue m’intriguait. Je profite de cette démonstration flagrante
pour exiger des explications de Kate. Elle m'avoue que l'hiver dernier encore,
son père (plus petit qu'elle, une forme de teigneux) l'a battue. En général,
elle répond par un lancement vengeur et hystérique de ce qui lui passe entre
les mains. Sordide, sordide... La vie crée des carapaces de protection pour la
prestation. Rien ne laissait supposer chez Kate, au premier abord, de tels
rapports avec son père.
Pour l'intime que je
deviens, cette facette m'éclaire certains pans de son passé et me révèle
certains traits de son caractère. La famille est la plus infecte des
organisations, lorsqu'elle n'est pas fondée sur une morale à toute épreuve, un
choix et un désir réciproques. Kate a certes eu une vie confortable,
petite bourgeoise ambitieuse et fière dans ses pires moments, mais elle a
encaissé au cours des années les cris et les coups d'un père jaloux, qui
faisait passer son désir sexuel par une agressivité gratuite. Douce et attentionnée
avec moi, au grand étonnement de certains membres de sa famille, elle n'a plus
depuis belle lurette de relations affectives avec ses parents.
Mardi 24 septembre
Lundi à maudire.
L'inscription administrative en maîtrise m'a gâché un temps précieux. Pas de ménagement
pour ces bleus d'étudiants, tous convoqués le même jour.
L'immonde Tolbiac, annexe inhumaine de la Sorbonne, nous accueille dans ses hauteurs. L'ordre et l'efficacité désertent
l'endroit. Deux heures et demie d'attente, debout, avant d'espérer rejoindre
le bureau concerné. Enseignement de masse, enseignement de merde.
Quelques instants avec Kate. Je goûte toutes les parties de son corps : « rien à
jeter ». Ça fleure bon la fraîcheur, depuis ses petits pieds (38,5 pour
1m73), qu'on déguste en suçant avec attention chacun des doigts délicats,
jusqu'aux cheveux où l'on perd son tarin fouilleur. Entre les deux, des monts,
une motte et des merveilles.
La Yougoslavie a sombré depuis quelques semaines
dans la guerre civile. Le régime autoritaire avait l'avantage de maintenir une
unité, même factice. La liberté a aujourd'hui un sacré goût de sang !
Mercredi 25 septembre
Kate m'annonce en larmes qu'elle a
raté ses écrits. Coup dur, même si elle pressentait la chose. Appréhension
d'une gueulante haute en décibels du paternel. Il se cantonnera à la moralisation
raisonnable. Kate reprendra une année de licence, en espérant mettre à profit
son acquis pour passer haut la main.
Le Figaro magazine du vieillissant Pauwels consacrait la semaine dernière
son numéro à la chute du communisme. Cet hebdo de la droite modérée et traditionaliste
avance des chiffres variant entre 30 et 40 millions de victimes de cette
doctrine incarnée par les dirigeants successifs de la seule urss (Staline ayant fait le plus gros de la
besogne). Question : pourquoi le communisme n'inspire-t-il pas, chez les
saints-potes de France, la même horreur
épidermique que les fachos et nazis. Sous prétexte qu'un certains nombre de
cocos ont, sitôt le pacte germano-soviétique (entendez communo-nazi) rompu, rejoint
ou mené la résistance contre l'oppresseur, il faudrait oublier leur adhésion à
un système qui a laissé derrière lui, rien qu'en urss, au moins cinq fois plus de cadavres que la
solution finale hitlérienne. Injustice historique à laquelle il serait temps
de mettre fin.
Le concept de race trouve sa
plus lamentable illustration dans celle des banquiers. Le Crédit agricole de Chaulnes, enthousiasmé par nos activités, a serré les cordons de sa bourse sitôt
nos demandes de découvert - en forme de coup de pouce - formulées. Plein le
cul de leur tendance petit-rentier-engraissé. Comment un pays peut-il avoir
une quelconque dynamique économique avec cette corporation d'arrière
garde ?
[...]
Vendredi 27 septembre
Même d'un œil rapide et
d'une oreille distraite, mon petit tour d'actualité me laisse l'impression
confuse d'un immense boui-boui malfamé.
La politique française n'a
plus aucune valeur noble à défendre. Entre les communistes grotesques de mauvaise
foi avant leur dernier soupir ; les socialistes qui se crêpent le chignon
sans trop faire de bruit en attendant que le Vieux crève ; les écolos gâtés comme tout avec leur chef
translucide, le vert Waechter ; les udfiens, les rpriens et l'upf salvateur où se remuent vieilles bêtes et jeunes
loups et enfin les lepénistes trop mous, trop rougeots et trop gras pour
être vraiment de l'extrême : la France a sa multitude résumée à une
béance putréfiée.
Yougoslavie à feu et à sang ; Roumanie sens dessus dessous depuis que
les mineurs se sont extraits des entrailles pour tirer les oreilles des faux
libérateurs à la tête du pouvoir, vrais assassins des Ceausescu ; le Zaïre (ex Congo Belge) à nouveau déserté par les
blancs de peur d'être dévorés tout cru ; et tout le reste que les Médias
n'ont pas fait figurer à l'ordre du jour.
A croire que je laisse
traîner ma langue partout, et que j'ai trop sucé le téton : Kate m'informe quelle a une petite
mycose sur un sein. Pas trop la santé, ces derniers temps, ce qui était le
cadet de ses soucis avant. Y aurait-il incompatibilité corporelle entre elle
et moi ? A moins que sa tension nerveuse ne soit à l'origine de tous ses
dérèglements.
Semaine de labeur qui
s'achève, tant de choses restant à traiter. Comme un horizon qu'on tenterait
de rejoindre, comme l'absolu du pèlerin, la gérance d'une société ne peut
jamais atteindre son aboutissement dans la perfection. Toujours un problème, un
oubli, un manque de temps, une angoisse subite, une superposition d'éléments à
régler. Prendre du recul avant de se plonger dans le cambouis de la gestion,
sans jamais, ou le moins possible, se sentir dominé par sa matière.
Passage à Amiens pour rencontrer des banquiers.
La ville a repris une fraîcheur depuis la rentrée des classes. La chair des
rues a moins de rides, les petits minois se bousculent. Moi, à bientôt 22 ans,
je porte sur les gens de ma génération un regard amusé par ce qui me sépare
d'eux. Allures de branleurs petite envergure, langage limité aux formules
prémachées, têtes douées pour les pensées de l'air ambiant, centres d'intérêt
du genre : boite de nuit pour pines molles et trous puants. Tout cela
m'éloigne d'eux. Je me sens un milliard de fois plus jeune que ces ados et
assimilés qui croient dur comme trique que nous vivons un régime bienfaisant.
Samedi 28 septembre
Cueillette des pommes, des
poires... mais sans scoubidous. L'humidité automnale rend l'air brumeux et la végétation
verdoyante. Détente absolue loin des paperasses. La pommeraie puis le verger
sont nettoyés de leurs fruits. Hermione et Alice se passent le camescope pour
prendre quelques moments de cette journée, qui en rappelle mille autres de
notre enfance. Cette enfance aristocratique qui mêlait les travaux d'entretien
du château et du parc, et les jeux, toutes les aventures diverses que l'on inventait.
Grâce à Heïm j'ai pu connaître, loin des sordides banlieues, la féerie et l'âpreté
de la vie de château. J'y ai certainement gagné une noblesse d'âme, une intelligence
au service de l'action, un sens de l'humour très particulier, une perception
aiguë de la vie et des êtres, un blindage à toutes épreuves contre les situations
périlleuses et une intimité sans tabou avec le mot. J'ai surtout réussi à
dominer le désespoir qui hante mes fibres par mon engagement sans borne dans
l'activité de ceux que j'ai choisis. Cette union est la condition unique pour
préserver la vie que l'on a construite. Le chacun pour soi plongerait nombre
d'entre nous dans la crasse ordinaire.
En route vers Kate. Un dimanche en amoureux où elle oubliera, je l'espère, ses nombreux
soucis. Retrouver son joli minois, ses lignes félines, ses mains longues et
fines, ses lèvres épaisses et fruitées, ses grands yeux accrocheurs, et tout
le lot me rend turgide, à sa seule évocation. Nous sommes plutôt dans une bonne
entente depuis quelques semaines. Plus de grosses disputes pour l'instant. Kate
a peut-être assimilé ma façon de penser et est attentive à ne pas me hérisser.
Mardi 1er octobre
Journée du dimanche câlin à
souhait. L'après-midi, petite promenade dans les beaux quartiers de Paris, nid de ceux qui sont nés « d'une famille qui n'a jamais
souffert » pour reprendre le clin d'œil des Inconnus, les trois lascars
irrévérencieux du moment. La Kate au vent, que je retiens par la taille, nous
déambulons dans des rues désertes et boisées. Petit tour en bateau-mouche pour
voir le vieux Paris depuis la Seine, pas très saine au demeurant. Rien à
redire sur notre osmose.
Le soir, sans doute excédée
par tant de bonheur, Kate retrouve son individualisme du moi-j'existe,
moi-je-pense dans une opinion d'une idiotie fracassante : avec une
soudaine agressivité, elle m’affirme que pour aimer l'opéra il faut être
cultivé. J'essaie de la ramener à la raison, mais elle en rajoute. Eclats de
voix, grande gueule contre grande gueule, nous brisons là l'acquis fragile
d'une gentille journée. D'un organe vocal plus grave et plus puissant, je lui
gronde ma façon de penser. Elle avoue qu’elle me trouve intolérant, je lui
précise que je n’ai jamais prétendu le contraire. Révolté par son attitude, je
vais dormir dans la pièce d'à côté. Il lui faudra jouer au désespoir un long moment avant que je rejoigne le lit commun.
Lundi début d'après-midi. Je
file porter au pied noir Panard de la bprnp le
prévisionnel pour la seru qu'il
attend. Je l'aperçois à son bureau : il me fait signe d'entrer. Prenant
l'œil du banquier qui vient d'en apprendre une pas piquée des hannetons : il m'informe que je suis interdit
bancaire suite à un incident de paiement fin septembre, que je ne devrais
même pas être gérant, et tout le bazar. Il fait mine d'être ennuyé. La terre
explose dans ma tête. Quelle est cette nouvelle manigance ? Je lui affirme
que cela est impossible. Ma banque étant fermée le lundi, je repars brisé,
furieux et angoissé. Le matin, à ma banque, à la Banque de France, soulagement général : aucun problème. Reste à comprendre pourquoi
le pied noir a mal été informé, à moins qu'il ait inventé ce biais pour refuser
notre dossier.
Me voilà de retour vers le
château : ce contretemps doit être résorbé dans ses conséquences. Et
dire que demain je vais aller me faire chier chez les militaires, pour ma
journée d'aptitude à la con.
Mercredi 2 octobre
Horreur de journée au Fort
neuf de Vincennes. Arrivée à 12h30. Tout ce que j'avais pu imaginer s'y trouve :
des baraquements immenses et déshumanisés, un kapo tête de con, des appelés qui rivalisent dans la mâlification abêtissante. Immédiatement,
nous sommes soumis à une uniformisation dégradante qui fait de nous des numéros.
Petite visite médicale : en chaussettes, slip et chemise je pisse dans un
petit récipient pour que l'on y trouve d'éventuelles traces de toxines, de sang
ou autre ; mesures de la taille et du poids ; petite inspection
dentaire. Nous passons ensuite quelques tests de logique dans différents
domaines. Toujours l'impression d'être dans un autre monde où règne l'ordre à
la Patimbert (cf. Karl Zéro dans Nulle
Part Ailleurs).
J'apprends ce matin que le
Parlement a adopté un texte prévoyant la réduction du service national à dix
mois au lieu de douze. Certains partis de droite, tel le rpr, serait même en faveur de la suppression de
ce service au bénéfice de la seule armée de métier. La Guerre du Golfe aura eu le mérite de démontrer,
dans notre camp tout du moins, l'inutilité de la chair à canon. Le temps de la
baïonnette et de la fleur au fusil semble révolu.
Jeudi 3 octobre
Exempté ! Même pas le
temps de jouer au suicidaire que déjà je suis en possession du papier vert proposant
mon inaptitude. La lumière de mes yeux ne leur plaît pas. Myopie à la limite du
taux d'exemption automatique : le médecin militaire me demande d'un air
entendu si je tiens vraiment à faire mon service. Je lui réponds sur le même ton
que je comprends qu'il faille le faire, précisant que cela m’ennuierait tout
de même du fait de ma gérance de société. Le petit coup de pouce me libère de
cette enfer. Comme quoi une petite infirmité physique peut parfois nous aider
à éviter une grosse infirmité morale.
Je rencontre dans le métro
un des quarante-quatre appelés du groupe où j'étais. Exempté lui aussi,
m'avoue-t-il avec un grand sourire. Violoniste à Londres, il a dû prendre l'avion spécialement pour répondre à sa convocation.
L'armée n'a que foutre de l'emploi du temps et des responsabilités de ceux
qu'elle veut phagocyter. Lui n'a pas eu ma facilité : il a simulé le
suicidaire. Il m'explique son angoisse lorsqu'il a appris que Le Parisien libéré avait sorti ce matin un article critiquant les
psychiatres du Fort neuf de Vincennes pour leur penchant à
l'exemption facile. Le « serrez-les-rangs » est de rigueur aujourd'hui.
Nous nous en sommes tout de même sortis.
Ce passage chez les
Kakis-Rangers m'aura fait travailler les méninges sur cet Etat dans l'Etat où
tout semblant d'humanité et d'indépendance est traité comme de l'insoumission.
Les gars ne branlent rien dans ces grands bâtiments, mais savent au poil rouler
des épaules de boucher et faire claquer leurs godasses pour impressionner le
bleu. Misérable bouffonnerie que de voir le major Truc-Machin faire le clown dans sa fonction d'autorité, où il nageait comme un
nourrisson dans un slip de grand-père.
Malheur dans la famille de Kate : sa marraine (la mère de sa petite cousine Sarah) est sur le point de rendre l'âme. Un infarctus puis un coma ont fait
de cette pauvre dame une morte vivante. Kate s'angoissait au téléphone sur la
mort qui emporte tout un chacun : fauche foudroyante ou progressive par
la maladie ou la décrépitude, la camarde a toujours raison.
Vendredi 4 octobre
Fin de semaine en trombe.
Après trois aller-retour Chaulnes-Paris en cinq jours, je libère pour ces dernières
heures le surplus d'énergie en réserve pour régler les problèmes au fur et à
mesure qu'ils se présentent à moi.
Samedi 5 octobre
A la rencontre de Kate, qui s'est encore une fois fait sermonner par ses parents : ils
n'apprécient pas qu'elle passe la nuit avec moi. Jalousie augmentée du
problème actuel et dramatique dans leur famille (état grave de la marraine qui
n'a plus que six de tension) débouchent sur un climat de reproche à notre
endroit. Bientôt 25 ans et Kate est toujours ressentie comme une petite fille,
avec nattes et hymen. Touchant, mais ça n'arrange pas notre relation amoureuse,
déjà suffisamment éparpillée.
Lundi 7 octobre
Depuis ce saint dimanche, 22
ans marquent mes gencives.
Week-end avec Kate. Tenant à la transparence et à la franchise dans nos rapports, je lui
fais un petit discours sur les défauts de notre intimité. Quand j'ai rencontré
Kate, elle s'était auto-suggérée sa frigidité, revanche à prendre envers la
gent masculine. Moi, tout beau tout nouveau, je ne peux concevoir ce blocage
comme sa nature définitive. C'est à contre-courant de ce qui se dégage de
chacune de ses fibres. La psycho-morphologie s'illustre là dans l’incompatibilité
entre une sensualité débordante et un refus de la jouissance. Moi, puceau de
première classe, je me défie de lui faire renouer avec ses tendances originelles.
Patience de tous les instants, désir inaltérable, amour démultiplié, je mène
ma croisade sans abandonner une once de foi.
Les résultats ne se font
attendre que quelques semaines : Kate jouit par mon sexe. L'inhibition
vole en éclats. Mes besoins n'ont jamais été réellement soulagés. Kate aurait
dû combler chacun de mes désirs. L'habitude de l'égoïsme absolu lui fait
malheureusement se contenter de prendre son plaisir d'une manière exubérante.
Ma passion fait le reste. J'explique gentiment à Kate qu'il faut qu'elle modifie
son approche de l'amour, qu'elle y prenne goût et s'y active de tout son saoul,
sous peine de me perdre. Aucune agressivité de ma part. Je crois avoir fait
prendre conscience à Kate des devoirs qu'impose une relation sexuelle, ce qui
décuple au bout du compte notre plaisir. C'est en tout cas ce que la fin du
week-end me donne comme impression. Si tout évolue normalement, j'aurais à
coup sûr chez Kate un penchant brûlant pour l'amour et un bonheur sexuel sans
point mort.
Tapie ne m'évoque, lui, rien
d'excitant. Passage chez la compagne d'Ivan Levaï, la butyreuse Sinclair. Engraissé par son instinct capitaliste, l’homme fait joujou depuis
quelques temps avec la politique. Le pays se réserve encore d’amères désillusions.
Alors que sang neuf et gueules nouvelles étaient attendus, on doit se contenter
de cette bête de scène médiatisée. On peut se demander s’il est aussi doué pour
la chose publique que b.-h.l pour
la philosophie. Exit les escrocs de la vie. Au panier leurs salades !
Habillée en noir, Kate part ce soir rejoindre sa marraine,
partager ses derniers instants. Les médecins ont fixé le compte à rebours. La
hideuse camarde guette. A pas encore quarante ans, la maman
d'une petite fille de seize ans va s'éteindre. Horrible.
Mercredi 9 octobre
Kate au téléphone. Elle ne partira
certainement que ce week-end voir sa marraine, l'état s'étant stabilisé. Douce
comme tout dans sa voix, elle pense fort à moi. Je regrette son départ de fin
de semaine, mais je comprends les impératifs.
Bientôt sept mois que je
connais Kate, mais je ne l'ai encore présentée à personne. Aucune volonté chez
moi de la cacher, mais il est vrai que les rares instants passés en sa
compagnie, je préfère les vivre dans une intimité duale.
Les cours magistraux ont
commencé depuis lundi à la Sorbonne. Inutile et impossible pour moi d'y assister. Je me contenterai
largement des ouvrages.
Ce soir, vu sur la Cinq, un reportage d'investigation judiciaire de Daniel Karlin, sorte de chamalow frisotté. Document de parti-pris clamant, preuves
et témoignages troublants à l'appui, l'innocence de Mohamed Chara, condamné à perpétuité pour crime
d'enfant, et en prison depuis quatorze ans. Le débat qui suivit montra les limites
à l’échange constructif entre la flopée d'avocats, Karlin, son complice et
un président de je ne sais plus quelle cour. Les contradicteurs perdirent de
vue le concret pour s’affaler dans le sentimentalisme hystérique et le
juridisme à œillères.
La vie professionnelle suit
son cours.
Jeudi 10 octobre
La marraine résiste :
tant mieux pour Kate et sa famille.
Mon travail se décuple sur
tous les plans. Entre les recherches de brocheurs, papetiers, cat (centre d’aide par le travail) pour
l'encartage, d’une jeune maquettiste diplômée, d’une collaboratrice au service
promotion, les contacts pour divers rendez-vous et les formalités administratives
ou assimilées : la gestion approfondie me paraît tout à fait dépourvue de
charme.
Je ne dois pas oublier mes
maîtrises de droit. Le soir, au calme, un bon oreiller sous le tête, je lirai
livres et cours prêtés. Je commence dès ce soir avec le polycopié du professeur
Rodier sur le Droit
social international et européen. Que de jouissances en perspective.
A côté de ce grand œuvre,
mon esprit encombré trouve le moyen de s'arrêter quelques instants pour
zieuter un reportage sur la Biosphère 2, immense construction de
verre où les éléments de la vie ont été reconstitués, depuis l'océan jusqu'au désert.
Cette macro-serre accueille 4 hommes et 4 femmes qui y resteront deux ans sans
en sortir. Enorme boulot de maintenance et de surveillance. Rigueur, morale,
courage et sens de l’intérêt commun. Baise et disputes doivent se faire discrets.
Samedi 12 octobre
Semaine à grande vitesse.
Les jours prochains n'appellent pas à la détente : des rendez-vous à en attraper
une misanthropie aiguë ; l'urssaf, Cancras et Carbalas (comme dit la
chanson) qui n'attendent que mes sous-sous ;
des matières de droit à assimiler, entre autres choses.
L'urss a
foutu son kgb en
l'air. L'ordre des grands imperméables aux gueules émaciées a été jugé démodé
par le grand foutoir transparent. Ne doutons pas qu'un organisme moins apparent,
mais beaucoup plus pernicieux, prendra sa place.
Libéral ou dictatorial, un
régime est toujours instauré ou récupéré par des hommes qui recherchent le
pouvoir pour servir une part de leurs intérêts.
Obèse, parangon de la
vulgarité, rigolote parfois par son outrance, évoquant une sorte de mère
Denis puissance dix, la Jackie Sardou débarque chez Sabatier. Jean Lefebvre, chenu comédien du comique,
invité comme vieil ami de la grosse, avoue avoir une certaine affection pour
le phénomène : il se voit répondre tout de go « t'aurais du m'sauter
'y a dix ans ». Il y a dix ans, l'onde de choc aurait été formidable, le
scandale national ; aujourd'hui, le glups
ne se perçoit même plus. Les coincés ont perdu leur piédestal alors que les
dévergondés se multiplient avec une jouissance absolue.
Dimanche 13 octobre
Tournée chez les parents.
Hier soir, dîner chez mon père, dans son appartement. A
quarante deux ans, il vit l'amour parfait avec une jeune fille dans la
vingtaine. Trois ans que ça dure et aucun signe de lassitude. De là à envisager
la conception d'un enfant, il n'y a qu'un coup de rein. Quelles que soient les
qualités maternelles d'Anna, je ne parierai pas un rouble sur la capacité de mon père à élever un enfant. Ses trois progénitures
sont là pour en témoigner. Excellent dans la prestation éphémère, parfait pour
la conversation, idéal pour la chaleur de l’ambiance, je l'imagine mal en
reprendre pour vingt ans de service familial.
Sa situation de père est « globalement positive » nous dirait
sans doute l'ineffable Marchais. On connaît la fiabilité des vues du grand chantre égrotant
de l’un des derniers partis communistes du monde.
A midi je déjeune chez ma
maman. Malgré ses innombrables défauts, son sens maternel
ne s'est jamais émoussé. On ne peut lui dénier d'avoir toujours affronté les
devoirs quotidiens pour assurer la survie de ses enfants, même si le sordide a
atteint parfois des taux dangereux pour l'intégrité humaine.
Gentil repas avec maman et mon frère Jim. Calme retrouvé depuis que le brother
Bruce s'en est retourné vers son foyer
d'accueil. Sa crise de foi l'abandonne petit à petit. Aurait-il fait le tour de
la question religieuse, se serait-il lassé des contraintes ? Son parcours
chaotique agrémenté du merde-on-tourne-en-rond assombrit d'année en année son
avenir. A moins qu'un miracle...
De retour vers Paris. Tout à coup, une grande vitre du wagon où je suis vole en éclats. Par
chance personne n’est assis à cet endroit. Le contrôleur qui vient constater
les dégâts nous informe du nouveau passe-temps des trous du cul
banlieusards : viser les glaces avec des pierres, quand ce ne sont pas des
carabines qui leur permettent ces destructions, au risque de trouer la peau
d'un passager. Des commandos punitifs seraient les bienvenus dans cette
société libérale.
La société démocratique a
toléré les terreurs locales, ignoré la décrépitude du paysage, encouragé la
tolérance merdeuse envers ceux qui vous poignardent par derrière. Le Pote système a dignement remplacé le tendez-la-joue-gauche
de l'humiliant catholicisme. Tôt ou tard les choses exploseront.
Lundi 14 octobre
TF1 fait mousser son audimat sur le cadavre de
Barbie. Le testament du feu nazi, lu par le journaliste Ladislas de Hoyos (pas Ignace de Loyola, les gars !) accuse les
époux Aubrac d'avoir trahi Jean Moulin.
Quelques moments à
l'échappée, avec Kate qui m'avoue me trouver moins gentil depuis
deux mois. Peut-être les soucis ne me rendent-ils pas très sociable, parfois
même d'une intolérance irritable. Je vais essayer d'être plus attentif, elle
se surveillant pour ne pas m'agacer.
Aujourd'hui, lors d'une
courte entrevue, nous avons libéré notre sauvagerie pour une jouissance
commune. Infernal comme un corps voluptueux, tout en rondeurs et en finesse
vous saoulent aux abysses. Rien que d'y songer... Encore un petit effort et
nous serons de vrais obsédés.
Mardi 15 octobre
Vu hier la nouvelle émission
du journaliste Guillaume Durand avec pour thème une question
choc : faut-il dialoguer avec le Front national ? Comme dans le Parlement anglais, les deux camps se font face et s'affrontent
sans merci. Côté gauchisants : un petit groupe d'excités, Luis Rego, hargneux et saoul, Isaak de Bankolé, comédien trop grotesque pour être vraiment conscient [...].
Côté fn : le soporifique Mégret, presque aussi chiant que le
commissaire du même son ; Lang, l'aryen dégarni, à ne pas confondre - il faudrait avoir l’à-propos
d'une Chantal Goya pour y parvenir - avec le
chevelu du même nom, et beaucoup d'autres... Très révélateur sur les deux
camps : le puissant racisme des gauchards qui se drapent de leurs droits
de l'homme à la moindre suspicion à leur endroit ; les nationalistes
propres sur eux, comme des orphelins sans leur talentueux bateleur Le Pen.
Mercredi 16 octobre
Peu de temps à consacrer à
ce journal.
Autre critique pour ce
soir : mon travail me fait parfois perdre pied et oublier l'essentiel de
ce que l'on me raconte. Il faut que je prenne quelque hauteur et que j'apprenne
mon métier avec modestie.
Samedi 19 octobre
Masse de travail énorme et
défauts à faire disparaître. J'ai à apprendre de tous les côtés : faire
un bon gestionnaire, mener de bonnes négociations, écrire de bons courriers
aux fournisseurs dont on se plaint et écouter, surtout écouter et retenir ce
que l'on me dit. La vie pépère de l'esprit qui travaille dans la linéarité,
c'est terminé.
Kate tous les jours au téléphone :
petit cœur très gentil. Je vais essayer de rendre plus paisibles nos rapports,
de moins chercher la perfection. Sans abandonner mes principes fondamentaux,
bornes salvatrices, je veux détendre notre relation pour vivre quelque chose de
doux.
Ma 'tite Kate me manque. Elle part ce week-end
en Dordogne pour visiter sa marraine mourante. Triste atmosphère,
elle aura besoin de beaucoup de tendresse lundi. Occupé comme je le serai, ce
sera de l'attention furtive.
La gent fiscqueuse nous emmerde.
Dimanche 20 octobre
8h30. Entre les mains de la sncf depuis
ce matin 7h31. Petite angoisse du fond des âges après le grave accident de
trains en gare de Melun qui envoya sous terre plus de vingt voyageurs.
Cet après-midi, passage à la
bn (Bibliothèque nationale), lieu de travail principal, lorsque j'étais assistant littéraire dans
l'association r.u., à l'occasion de la Fureur de lire, manifestation annuelle de
deux jours où l'écrit est à l'honneur. Notre maison d'édition ne pouvait
manquer le coche. Le stand alloué, truffé d'ouvrages de Monographies des villes et villages de France,
suscite beaucoup de curiosité. Très gratifiant de constater l'intérêt porté à
notre titanesque travail.
Ignominie des fiscqueux. Pour parvenir à leur fin
(détruire ce qu'on a construit) ils emploient d'ignobles procédés.
Kate en Dordogne. Elle rend une dernière visite à sa marraine et va réconforter sa
petite cousine. Atmosphère de deuil qui contribuera au mauvais état
psychologique de ma Vénus adorée.
Lundi 21 octobre
Fureur de lire. Venu pour rafler systématiquement
les catalogues des maisons d'édition représentées, j'ai préféré rester à notre
stand pour apprécier l'impact de la collection Monographies des villes et villages de France
sur le public. Très encourageant d'observer l'enthousiasme d'une vieille dame,
l'émotion d'une bibliothécaire rageant de ne pas être pleine aux as, pour tout
nous acheter, l'arrêt brusque d'une jeune fille qui a repéré en passant le
livre de sa région ou de sa localité, les grands sourires lorsqu'on leur
propose notre catalogue général, etc.
Cela revigore un max pour
mieux affronter l’engeance fiscqueuse.
Mardi 22 octobre
Oublié de noter la
délicieuse anecdote dont je fus le maître d'œuvre à la Fureur de lire. Tout à ma tâche, je
réponds aux questions des curieux, explique nos objectifs, et distribue les
catalogues généraux à qui fait mine de s'intéresser. L'attroupement prend
parfois des allures de cohue passionnée. Un monsieur âgé, tenant sa compagne
par l'épaule, s'approche de notre stand et me tend une main à la vigueur sénile.
Comme un seul homme, j'y glisse un catalogue. Le vieil homme s'éloigne d'un
pas pressé, après avoir lâché un merci de mauvais cœur. Pris d'un doute sur son
identité, je questionne Déoles qui m'avoue en éclatant de rire
que je viens de fourguer notre catalogue à Le Roy Ladurie, conservateur de la bn et organisateur de la
manifestation littéraire. Trop drôle. Lui qui nous avait encouragés à nos débuts,
un historien bien au fait de nos publications, se voit réduit, par mon
ignorance, à l'incognito lambda.
Depuis l'enthousiasme de
Leroy-Ladurie sur notre projet débutant, des torrents ont
coulé sous les ponts.
Mercredi 23 octobre
Très occupé. Peu de temps
pour commencer à lire mes ouvrages de fac. Je m’efforce pourtant d’entamer ce
soir un traité sur le droit de la sécurité sociale, où l'on perçoit bien le
régime d'assistés qui règne en France.
Kate au téléphone. Délicieuse de
douceur et de coquineries. Une tendre pensée pour elle ce soir.
Vendredi 25 octobre
La vie ménage parfois de
lugubre retournement. A huit heure dix ce matin, Kate me téléphone au château :
sa marraine est morte, elle ne peut se rendre au mariage de Barbara. Nous attendions ce samedi depuis des semaines, et le voilà brusquement
endeuillé. La mort prochaine de la pauvre dame était certaine, mais que cela
se produise la veille de cette journée d'union tient du pied-de-nez de la
camarde. « La marraine est morte, vive les mariés ! »,
pourrais-je m’exclamer.
Amour de Kate parti en Dordogne vivre de terribles heures. La
semaine dernière déjà, elle avait vu sa marraine dans le coma : la poitrine
tressautant sous les vibrations d'un cœur en sur-régime, le cerveau mort, le
teint blafard, le visage animé par les automatismes d'une vie (bâillements,
toussotements...). Kate était revenue défaite, fragilisée. Je ne crois pas que
conserver toute sa vie l'image de cette mourante, totalement inconsciente,
soit la bonne manière de rendre hommage à la personne qu'on aime. Heïm nous a dit un jour :
« Aimer les morts, c'est vivre pour les honorer ». Ça n'est pas avec
ces protocoles morbides, en forme de traumatisme, que l'on témoigne de son
attachement au mourant.
Mon travail se poursuit à
cent à l'heure. Détente ce week-end à Paris. Ne voyant pas Kate, je travaillerai mon droit et taperai mon journal. Mes travaux dirigés
à Paris I vont bientôt commencer. Je partagerai
alors mon temps entre les études et la gestion des sociétés. Nous avons trouvé
un pépère de 53 ans, qui va prendre le titre de directeur administratif et
financier. Son rôle de pédagogue, à quelques années de la retraite, risque de
nous servir à Alice et à moi.
Dix-neuf heures, ma Kate est sur la route avec ses parents.
Je pense à elle et l'embrasse très fort.
Lundi 28 octobre
Week-end d'un repos
studieux. Le fameux samedi de fête s'assombrit d'un enterrement pour Kate et du chiantissime droit fiscal
des affaires pour mézigue. Après le Périgord, ma Vénus s'en est allée dans les Pyrénées rendre visite à ses
grands-parents. Toute vêtue de noir, elle endeuille ses journées et ternit son
moral. Moi au nord, elle au sud, France
Telecom entre nous, l'amour lui redonne sa petite voix
d'enfant. La grâce d'instants à l'échappée justifie notre rencontre qui doit se
perpétuer. Je ne sais quel personnage est Kate au fond d'elle-même. Mes yeux
l'aurait-ils déformée pour me la modeler sur mesure. Je connais le fossé qui
s'impose entre sa douceur à mon égard et sa froideur parfois agressive envers
le gros de sa famille. Mais où est l'authenticité ?
Connerie que ces questions.
Aimons cette jeune femme aussi fort et aussi longtemps que possible.
En ce moment, scandale
autour du Centre national de Transfusion
sanguine qui aurait, en 1985, injecté du sang contaminé
par le virus du sida à des
hémophiles, alors que des techniques existaient pour stériliser le sang. Les inculpations défilent et Fabius saponifie un max avec la sincérité du Juda. Le voilà qui revendique le droit à la dignité et qui défend son
honneur (c'est lui qui avait répondu à Chirac qui le traitait fort justement
de petit roquet : « Mais enfin, vous parlez au Premier ministre de la
France tout de même ! »). Et
pourquoi pas le premier prix de beauté ? Le fœtus du monde politique,
comme Sim peut l'être chez les saltimbanques,
nourrit ses convictions de poncifs douceâtres et de colères avec petits poings
en avant. Dieu Tout-Puissant, si tu existes un tant soit peu, fait que le Fafa ne pose jamais son derrière sur le trône élyséen.
Fanfan le vieux nous aura suffit.
Avant d'abandonner cette
écriture de nuit, témoignage gros comme un nounours de ma tendresse à Kate.
Mardi 29 octobre
Le travail se poursuit, avec
ses urgences et ses recherches de fond.
Scandale du cnts. Ce soir, une chaîne de
télévision présente quelques interviews effectuées en 1985 auprès de médecins
socialistes, de scientifiques socialistes et de politicards socialistes. Rassurants,
ignobles d'hypocrisie, ces propos : je dirais presque criminels. Songeons
un instant aux campagnes de haine injurieuse à l'encontre de Le Pen, lorsqu'il avait choisi le discours
alarmiste. Si tous ces connards socialistes s'étaient mis au diapason, nous
n'en serions pas là. Bravo la tolérance des potes de gauche, insidieux dans
leur ostracisme direct ou indirect, dans la spoliation de leurs adversaires.
Kate fait de la broderie chez ses
grands-parents. Voilà qui l’apaisera peut-être. Très amusant de l'avoir au
téléphone avec sa voix de prestation. Elle débouche sans peine mon conduit
auditif. Une minute de réadaptation, et sa petite voix revient caresser mes tympans.
Pensée à ma tendre.
Mercredi 30 octobre
Infect sida. Vu partiellement, ce soir, une
émission faisant le point sur l'état des recherches et la propagation du virus
sur terre. La vie moderne et immorale de l'homme, le brassage constant et croissant
des masses humaines sur tous les continents, les coups de queue dans des trous
exotiques, tout cela concoure à la multiplication mortifère des cas. Des
développements techniques mis à la disposition des imbéciles, et voilà le résultat.
L'ignoble propagande sur le préservatif, pour conserver le confort du trempage
de bite, est inacceptable étant donné le flou actuel des connaissances
scientifiques. Et si demain les Montagnier and Cie nous
annonçaient l'inefficacité du plastique ? Les auteurs du matraquage idéologique
se dégonfleraient aussi vite que les responsables du cnts actuellement sur la sellette.
Beaucoup de travail.
quelques accroches verbales avec le responsable de Sofrapli. La visite du monstrueux Podevin de l'urssaf venu,
intrigué parce qu'il voyait de la lumière. Pauvre bonhomme.
Kate me manque. Elle devrait vite
rentrer avant que je n’apprenne à l'oublier. (C'est de l'humour, Kate !)
Vendredi 1er novembre
Fête des saints. Il fait
beau.
Hier, repas avec Heïm et Alice. Essentiel pour ma formation. Il faut que je lutte contre ma nature timorée.
Je dois savoir prendre les salauds par le col, lorsqu'ils effleurent l'idée de
nous remettre en cause. Heïm nous dit que plus nous réussirons, plus nous
aurons d'ennemis. Armons-nous dès à présent. La seru est
une aventure formidable. Tous ces fournisseurs et autres fonctionnaires n'ont
qu'à bien se tenir.
Lu le dernier Astérix, La Rose et le Glaive écrit et dessiné par Uderzo. Le sujet : une pétasse de Lutèce, venue comme barde, tente
d'insuffler le féminisme dans le village. Au début de l'album, Uderzo précise
que le scénario a été écrit en 1990 et les dessins finis en mai 91, au cas où Madame
notre Premier ministre croirait à une moquerie à son encontre. Bonjour la
liberté d'expression. Même dans une bande dessinée il faut lécher dans le sens
du pouvoir. L'histoire est amusante, mais la mort de Goscinny se ressent à chaque phylactère.
Je lis dans un ouvrage
juridique consacré à la propriété littéraire et artistique que, au contraire de
l'œuvre littéraire, « l'œuvre musicale ne s'adresse pas directement à
l'intelligence, mais aux sens » (C. Colombet). [...] La peinture et la sculpture forment certainement les arts les
plus accomplis puisqu'ils font d'abord appel aux sens mais peuvent aussi
titiller l'intelligence.
En ce moment, conférence de
réconciliation israélo-arabe au Proche-Orient. Très mauvais début : le petit Shamir et le géant de Syrie ne se ménagent pas. L’ampleur
des dépenses réalisées pour assister à des joutes verbales dignes d’un parc de
mioches, c'est pitoyable. Depuis des années chacun s’agrippe à ses
convictions. A quoi cela aura-t-il servi, si au bout du compte tout se règle ?
A avoir répandu le sang pour de grandes causes inutiles.
La tartuferie des dirigeants
au quatre coins du monde et la bêtise épaisse des masses humaines me dégoûtent
tout autant. Et pourtant la vie... quelle merveille !
Bonheur immense d'avoir ma Kate au téléphone. Demain, elle
prend le train et rentre au bercail. Très douce dans sa voix. Je la sens en
manque de moi. Nos discussions sérieuses comme celle sur le sida ; nos tendresses comme les
gros bisous dans le combiné avant de se quitter ; nos coquineries en tous
genres ; notre intimité est déterminante pour l'équilibre de chacun. Il
faudrait tout de même que l'on se voie plus souvent. Paix en moi d'avoir une
belle jeune fille qui m'aime, quels que soient ses défauts.
Sally nous a rapporté quelques images
et photos de différents châteaux susceptibles d'être achetés. Très excitant de
s'imaginer dans telle ou telle bâtisse. On rejoint là les mille et un plaisirs
de l'enfance extraordinaire que Heïm nous a donnée.
Samedi 2 novembre.
Fête des morts. Le ciel est
bleu.
Bientôt minuit, une journée
apaisante tire ses voiles. Au fond de mon lit, j'entends au-dessus la télé de Karl ; au dehors le vent souffle dans le grand tilleul, et un
aboiement de chien vient du lointain. Je me sens d'une sérénité châtelaine.
Lundi, grand départ pour un mois qui s'annonce difficile. Pour moi, première
des semaines découpées : à Chaulnes du lundi au mercredi, à Paris du jeudi au
samedi ; le dimanche à destination variable.
Kate est de retour à Lagny depuis onze heures. Elle m'a
passé un mignon petit coup de fil.
Dimanche 3 novembre.
Toute la nuit de fortes
bourrasques ont secoué le tilleul et les alentours. Sommeil difficile, mais sentiment de bien-être absolu. Loin des trépidations
maladives des mégapoles, la vie prend sa meilleure saveur, le travail s'annonce
énorme et passionnant.
Journée paisible, le nez
entre la gestion de la société et la lecture d'ouvrages juridiques. Côté gestion :
rédaction d'un courrier mettant en garde la poste de la déficience de son service postcontacts et l'informant de la
suspension de nos règlements pour les distributions de prospectus qui ont été
mal faites, voire pas faites du tout ; calcul des cotisations à verser à
l'agessa pour
le troisième trimestre en fonction des droits d'auteur versés. Côté
droit : allées et venues entre la propriété littéraire et artistique, les
relations collectives dans le droit de travail, le droit fiscal des affaires et
le droit de la sécurité sociale. Que des trucs bandants pour abréger.
Demain matin, le directeur
administratif et financier fera son entrée en scène. Je lui expliquerai l'utilité
de son recrutement et les objectifs à atteindre. La seru et la sebm doivent prendre leur élan et atteindre le
niveau industriel, tout au moins dans l'efficacité de la production et de la
vente. Son expérience doit être mise au service de nos structures et nous être
insufflée dans la pratique.
Deux secteurs pour lui :
d'une part, tout le délice qui touche à l'administration, à la comptabilité, et
au personnel, d'autre part le fruit juteux des avantages dont on peut
bénéficier sur le plan financier et pourquoi pas la découverte d'une clientèle
extérieure pour la sebm S'il
remplit bien sa tâche, il contribuera à l'assainissement des deux maisons.
Petit instant avec Kate au bout du fil, le temps
d'aspirer quelques sonorités de sa petite voix. Elle prépare son cartable pour
demain : ses premiers travaux dirigés à Saint-Hippolyte commencent à 16h30. Son amie
Barbara est partie au Venezuela avec son mari pour ensemble
déguster le miel de leur lune. J'envoie demain à Kate quelques beaux timbres et
un petit mot tendre qui, tout de même, lui rappelle sa fainéantise à m'écrire
des mots d'amour. Entends-tu Kate ?
Minuit, le dodo ne va plus
tarder. Quelques notions soporifiques de droit fiscal suffiront.
Mardi 5 novembre.
Deux journées en trombe.
Le directeur administratif
et financier a pris ses fonctions.
Mon travail est monstrueux
et voilà que je retourne à Paris demain soir. La misère universitaire
va m'envahir.
Aujourd'hui, notre ancien
offsettiste, le ras-du-sol Musclor, a fait son apparition dans les locaux. Pitoyable et revendicatif, il
déclare ne rien toucher des assedic et nie
avoir démissionné de l'association. Ratouillé
ratatiné sur sa médiocre merde, il est gentiment convié à débarrasser le plancher.
Une Kate de rêve, à midi. D'une tendresse
prenante. Je ne résiste pas à la séduction. Ce soir, une Kate à la folie.
Friponne sans retenue, histoires et blagues se chevauchent. Exemple : elle
m'avoue que, petite, elle s'amusait à enrober de sucre glace des crottes de
bique, à les emballer dans du papier argenté et à les offrir aux accointances
antipathiques. Coquine.
Dans ses travaux dirigés, un
condisciple qui a raté ses examens à ma droite. Garçon seul, étouffé par sa
mère qui l'accompagne à toutes les épreuves, perturbé par de d’énormes
problèmes psychologiques qui le rendent infréquentables. Si sa conversation
n'est pas sotte, il se réduit à la débilité par la non conscience de sa
personne et par des complexes abêtissants. Kate me raconte qu'au premier de ses t.d., le vieux garçon s'est déchaussé,
la puanteur ne tardant pas. Situation grotesque qui déclencha le fou rire chez Kate
et sa copine.
Je m'offre maintenant aux
songes.
Mercredi 6 novembre.
Retour sur Paris.
Curieux destins, curieuse
logique des séries. J'apprends, ce soir, que ma grand-mère est à l'hôpital, le col du fémur
cassé. Victime d'un étourdissement dans sa cuisine, elle est tombée comme une
masse. L'opération s'est bien déroulée, mais elle ne pourra plus jamais marcher
avec facilité. Ma maman va essayer de les faire rentrer (avec mon
grand-père) dans une maison de
retraite de l’Hérault. Après la marraine de Kate, la gaieté n'est pas à l'ordre du jour.
Vendredi 8 novembre.
Beaucoup de mal à me
réadapter à la vie parisienne et à ses incessantes pertes de temps.
Je me rends compte de
l'énormité des programmes cumulés de deux maîtrises. Etant donné mes activités,
je ne pourrais travailler le droit que les soirs de la semaine et le week-end.
Je me débrouille pour dégoter ça et là des cours d'amphi. Fini le temps des
réflexions en langueur, l'efficacité est de mise pour éviter de fracassantes
déconvenues. Et puis j'ai des devoirs à assumer. L'université, elle, sent la
gaminerie et l'immaturité. Je n'y vais que pour la peau d'âne que je me confectionne.
Vu Kate hier et aujourd'hui. Ses petites choses n'ont en rien altéré
l'intensité de nos retrouvailles. Que de sauvagerie dans nos enlacements, que
d'abyssaux baisers échauffant nos sens, que de chaleurs moites irriguant nos
pores. J'apprécie le déchaînement de cette tigresse fragile.
Mardi 12 novembre
Réveil en catastrophe pour
prendre le train à l'aube. Week-end prolongé de délices avec Kate. Il est temps d'ôter son bonnet de nuit et de retourner au charbon.
Ce soir, grosses bourrasques
et petites gouttelettes : le majestueux tilleul joue de toutes ses
ramures. Plus trop le temps de m'attarder à ces notes. Le travail m'appelle.
Kate attendait ce soir mon coup de
fil. Voilà qui est fait : nous pourrons dormir en paix.
En ce moment, l'actualité se
répand sur la lourde question de la peine de mort. Prétexte de cette frénésie
de plateau : des petites filles violées et tuées par un « monstre
irrécupérable ». La justice personnelle, déterminée et prête à assumer
ses responsabilités, je n'y vois aucun inconvénient. Le droit d'une société à
décider de la mort de tout un chacun, c'est la doter d'un pouvoir trop grave et
bien au-dessus de sa qualité.
Mercredi 13 novembre
La fuite des jours est
insensée. Je commence à peine mon année universitaire et Noël pointe déjà son petit nez blanc.
Jeudi 14 novembre
Journée infernale. Départ du
château à 8h30 pour Lille. La société Kodak nous a invité pour la présentation
de ses nouveaux matériels reprographiques. Je découvre rapidement Lille en voiture :
ville beaucoup plus belle et aérée que je ne me l'étais bêtement imaginé.
Destination : hôtel de luxe ; une salle y a été réservée pour la
petite réception. Pas un ingrédient ne manque : cadre agréable, commerciaux
suants de la main droite et enculeurs de première, petits fours variés et hôtesses
pine-au-cul-mettables comme on dit
par chez nous.
Folie douce : je prends
le train de 13h55 pour rejoindre Paris. J'en profite pour griffonner quelques notes universitaires pour mes
travaux dirigés de fin d'après-midi. Dans le train, point d'événements bandants.
Tout juste le temps de poser mon sac de voyage à Pantin et me voilà
fusant vers le centre Saint-Hippolyte au sud de la capitale.
Mon groupe de T.D. : à
quatre vingt quinze pour cent des femmes. Bon nombre de pipelettes, aucune révélation
de beauté ou d'intelligence (ouf Kate !). En droit fiscal des affaires,
nous découvrons une masse devosienne,
la tronche de Tchernia, insolent en diable, rouge comme l'enfer, bourré de parti-pris et très
distrayant dans son numéro. S'il arrive à nous faire découvrir la merde des
fiscqueux en nous tirant le sourire, je lui tirerai en plus mon chapeau. Sa
réputation est exécrable d'après les bruits de couloirs. Peu m’importe.
J'embrasse ici tendrement ma
Kate préférée : huit mois que
ça dure notre histoire ! Bravo les petits.
Vendredi 15 novembre
Journée sans grand
rendement. Un peu de gérance, un peu de droit, beaucoup d'amour. Notre intimité
étend sa palette à chaque nouvelle fusion. Kate vivifie sa passion pour mieux me
dévorer. Je ne sais ce qui adviendra de notre attachement réciproque, de nos
promesses et de nos projets, mais à l'instant précis où Kate m'enveloppe la
bouche de ses lèvres chaudes, au moment où elle me glisse sa langue agile dans
l'oreille, à chaque manifestation de sa féminité, je m'éclaire d'un
épanouissement ardent. Le démarrage est sans conteste au quart de tour.
Le vieux Montand nous a quitté depuis bientôt une
semaine. Il repose au côté de la Simone au casque d'or décomposé.
Tintouin inimaginable autour de cette disparition. Chanteur des Feuilles mortes et des Roses
de Picardie ; comédien du Salaire de la peur et de Z,
il méritait certes un hommage. Mais pourquoi nous asséner tous ces panégyriques
pour une capacité prétendue à s’engager au nom d’idées pas toujours ébouriffantes ?
L'opinion est-elle à ce point en manque de morts glorieux ou géniaux ?
P'tête ben...
N'oublions pas cette loi
médiatique : quand un grand scientifique, écrivain, médecin, ou sculpteur
passe l'arme à gauche, il a vaillamment droit à un entrefilet ; quand un
clown arrête son char, il est déifié à la une. Média de masse, média de m...
(Clin d'œil au socialisant Polac et à son scribouilleur d'alors.)
Mitterrand son quatre-heures et sa Cresson sont toujours vivants.
Lundi 18 novembre
Gentil petit week-end où
l'amour et le droit ont fait bon ménage. Léger accrochage avec Kate : je lui refais le refrain sur son incapacité à respecter les
horaires qu'elle donne. Toujours une bonne excuse et petite moue repentante
pour la pirouette. Je me fais un devoir de lui casser ses mauvaises habitudes.
A être aimé, efforts
exceptionnels.
D'une psychologie fragile,
elle subit actuellement une mauvaise atmosphère familiale.
Train très tôt ce matin pour
reprendre mes fonctions à la seru. Les choses à faire se bousculent. J'actualise
mes données sur les services littéraire et commercial. Rentrop m'explique ses grosses difficultés
à pêcher ça et là les ouvrages originaux ; j’entr’aperçois Leborgne qui me laisse un bilan détaillé
du sponsoring et de la publicité réalisés.
Heïm nous a expliqué la nécessité de
suivre ses conseils pour parvenir à notre indépendance et à la pérennité des
structures. Nous devons nous en remettre bien naturellement à lui pour la
conduite fondamentale des entreprises. Sens des responsabilités, humilité,
confiance absolue en Heïm et esprit d'initiative : quelques-unes des
belles qualités à assimiler.
Mardi 19 novembre.
Un fonctionnaire de l'urssaf a osé
nous importuner dans notre travail. Et ce pour un problème sans intérêt. Il a
voulu se poser en donneur de leçon le pauvre bonhomme. Alice l'a vu trois minutes, puis je me
suis plus spécialement occupé de son cas, après avoir eu Heïm au téléphone. Froid et déterminé
je l'ai invité à rabattre son caquet, à ne plus jamais débarquer à l'improviste
et déranger des gens qui bossent, au contraire de ces dangereux porteurs de
petits pouvoirs. S'il transgresse la règle élémentaire de prendre rendez-vous
avec notre directeur administratif et financier pour tous ses problèmes urssafeux il aura de gros ennuis.
Petite boule assermentée, il s'est très vite dégonflé : excuses,
promesses, mais gluance imparable.
Heïm m'a dit qu'il ne fallait plus
jamais se laisser « empapaouter » par ces terreurs de seconde zone.
Mercredi 20 novembre
La fin du mois approche, et
l'angoisse du chef d'entreprise monte tout naturellement. Hier soir, chèque de
cent six mille francs en règlement d'une facture de la sebm. Aujourd'hui, bien obligé de parapher un
autre bout de papier de cent vingt-cinq mille francs pour régler les postcontacts d'octobre. Dur, dur...
Grosse réorganisation à mettre en oeuvre à la sebm
pour faire baisser les prix de revient.
Heïm nous a parlé, à midi, de Bob
Denard, invité chez Dechavanne, l’animateur à oeillères du mardi soir. Un aventurier vrai de vrai, mercenaire bienfaiteur, [...] d'une
épaisse et imposante carapace, franc et direct dans sa mentalité.
Oublié de noter ma
fascination pour un peintre visionnaire. Le courant existe depuis une dizaine
d'années. Pures et apaisantes, les compositions de Di Maccio renouent avec l'authentique
création picturale. Aux antipodes des ignobles escrocs d’un certain art dit moderne.
Je voyais encore le réalisateur Claude Berri, de passage dans le Bouillon de
culture de Pivot, nous présenter des croûtes à chier, et s'extasier devant une
monochromie ou un barbouillage primaire de pseudo artistes. Voilà ce qui fait
s’extasier Jack Lang, ministre de la culture
qu'on aurait peut-être dû écarter dix ans avant. Il ne veut pas entendre parler
des sublimes visionnaires, de la grâce fantastique de leurs toiles, du travail
incommensurable et du talent essoufflant qu'elles représentent. Non ! la
grande perche, issue du giron mitterrandien, se sent davantage
« interpellée » par des entassements de boites de conserve et par les
colonnes de Buren dont il peut se faire de
bicolores suppos.
Résultat des courses :
toutes les toiles des visionnaires sont achetées par les Japonais assez au fait des choses de
l’art pour ouvrir un musée qui leur est consacré. Conne de France socialiste.
Jeudi 21 novembre
Amusante anecdote narrée par
le gros Beynard, maître d’oeuvre de nos travaux dirigés en droit fiscal des
affaires. Chaque individu peut déduire de ses traitements et salaires dix pour
cent au titre d'une évaluation forfaitaire des frais professionnels. Toute une
série de fonctions (V.R.P., pilotes d'avion, mannequins) se voient accorder un
abattement supplémentaire pouvant aller jusqu'à quarante pour cent. Au cours
des années soixante-dix, décision d'organiser une grande émission télévisuelle
contre ces privilégiés, puis de mettre au point une grande marche en référence
à la Nuit du 4 août et à l'abolition des privilèges.
Un journaliste s'informe auprès de notre narrateur sur sa situation fiscale.
Beynard lui rappelle alors qu'il fait
parti des privilégiés (déduction supplémentaire de vingt pour cent). Aïe, le
bouche-à-oreille fera son chemin : plus d'émission ni de défilé.
Kate a reçu ce matin par la poste mon petit cadeau : une bague en or, agrémentée
d'une perle de culture et d'un petit diamant. Très touchée, émue de mon attention.
L'amour, ça ne se contrôle pas. A côté de ces tendres rapports, je la
réprimande un peu ce soir pour une mauvaise approche d'une situation que je
n'ai pas envie d'évoquer ici.
Sortie mondiale du nouvel
album de Michaël Jackson. Très belle réussite musicale.
Vendredi 22 novembre
Mauvaise journée. Matinée à
me déplacer dans cette capitale de merde. Sale fin d'après-midi avec Kate. Ce soir la déprime m'effleure. Tout aurait dû être parfait. Le
hic : Kate se ramène en jeans. Je dois être trop porté sur les détails,
mais elle ne comprend pas mes exigences, répond à toute critique par une autre
et joue la petite effrontée. Moment gâché, sans intérêt, si ce n'est celui
d'atteindre mon fragile équilibre.
Nos caractères demeurent
incompatibles. Je ne sais pas où tout cela va nous mener, mais j'ai à l'instant,
au fond de la gorge, la plus éprouvante des tristesses et la plus vive des
détestations. Une haine d'amoureux en quelque sorte. Fermer sa gueule ou
provoquer l'impasse. Et l'intelligence bon dieu de merde !
Ces tracas, dont j'aurais pu
me passer, empêchent toute concentration pour étudier le droit fiscal des affaires.
Réconciliation au téléphone
tard dans la nuit. Nos torts expliqués, nos craintes dévoilées, nous allons
tout faire pour rendre nos rapports les plus doux possibles.
Lundi 25 novembre
Doux dimanche avec Kate. Présentation le samedi soir à mon père. Pas une bonne chose. Je
n'aime pas Kate en prestation. Discrète au départ, elle ne tarde pas à se faire
valoir, à exister, quitte à user de
méchanceté. Par ce qu'elle m'a dit je lui accorde le pardon.
Dans mon esprit, et je le
lui ai dit, la première des présentations aurait dû se faire avec Heïm, mais je ne la sens pas encore prête, et mon père piaffait tellement d'impatience... Erreur de
ma part, peut-être. Faiblesse sûrement.
Reste que, dans l'intimité, Kate et moi ne sommes que complicité
et tendresse. Dommage qu'elle ait encore ses ruptures de personnalité.
Reprise du travail. Il faut
que je me secoue un peu plus. Je ne me trouve pas très efficace. Ces semaines
découpées qui se suivent à toute allure ne sont pas mises à profit au maximum.
Il me faut davantage de sérieux et de rigueur. Dernière semaine du mois, nous
devrions passer ric-rac.
Diarrhée des 7 d'or à la téloche.
Les vomisseurs, en grande pompe, exhibent leur minable haine jalouse ou leur
gonflement méprisant. On sort les reliques avant qu'elles ne crèvent pour de
bon comme Cousteau et Jammot. Le bientôt quadragénaire Antoine de Caunes, ravalé à la catégorie animateur de variété type Foucault-Sabatier, reçoit son Sept presque
comme une humiliation. Et coule la médiocrité ambiante.
Mercredi 4 décembre
Dans l'abstinence d’écriture,
depuis quelques jours, je reviens revigoré à cette occupation.
Les absences devant ces
feuilles quadrillées ne dissimulent en rien un néant événementiel comme nous l’énoncerait
le branché distingué de la fange parisienne, bien au contraire : des
remous sur tous les plans.
Plan perso : suite à la
néfaste présentation de Kate à mon géniteur, longue
conversation avec Heïm : il ressent dans le
son de ma voix le dramatique désarroi qui amoindrit mes capacités professionnelles.
Je présenterai très bientôt Kate à Heïm, pour qu’il apprécie la réalité de son
amour et si elle est prête à me suivre dans mes choix fondamentaux qu’aucun
cataclysme au monde ne me ferait abandonner.
Plan pro : la santé et
le succès de nos activités sont incontestables, mais des parasites de toutes sortes
et de tous gabarits nous font chavirer et retardent notre véritable épanouissement.
Des libraires traîne-savates qui nous doivent entre six cent mille et un
million de francs, des postcontacts
traités par les agents des ptt comme des torche-cul. Nos envois de
prospectus, environ un million par mois, aboutissent au panier pour nombre
d'entre eux. Les notes à payer sont, elles de plus en plus salées. Nous serons
obligés d'adopter d'autres techniques si les Petits Tarés Teigneux persistent à chier sur notre travail.
Depuis mon cocufiage moral (Kate m'ayant cherché des noises
devant mon père), ma belle déborde d'attentions et de douceur. J'ai moi moins
d'allant qu'auparavant. Je l'aime toujours et encore certes, mais je sens
renaître ma méfiance des premières semaines. Si l'être qui prétend m'aimer
est là pour me désespérer et m'humilier en public, la sauce tournera court.
Les responsabilités
m'attendent, les ennemis me guetteront de toutes parts : je dois asseoir
la respectabilité qui s'attachera à mes fonctions et il n'est pas question
qu'une Kate me les broute. Voilà qui est gentiment
précisé. La seule chose que j'espère, et qui nous rendra tous les deux heureux,
c'est que Kate ne s'avise pas à recommencer ses petits coups par derrière, sous
quelque forme que ce soit. Mes explications ont été longues avec elle. Pourvu
qu'elles portent leurs fruits.
Lundi 9 décembre
Au fond du dodo au château.
Enormes labeurs en tous genres. L'hiver de Picardie engourdit les os.
Eveillé depuis bientôt
dix-neuf heures. En train, dès l’aube, j’ai passé la soirée à résister au sommeil.
J'apprends ce soir que
l'Union soviétique n'existe plus. Gorbatchev, interrogé par Anne Sinclair deux jours avant, n'est plus
maître que de ses gonades, à moins qu'il ne les ait, plus jeune, léguées aux hautes
instances communistes.
La semaine dernière,
émission sur les mouvements d'extrême droite, avec en vedette le Front national et les Skinheads. Leurs représentants se montrèrent si brillantissimes, au contraire
d'un minable socialiste et de piètres gauchards, que l'émission du journaliste
Bilalian a été purement et simplement supprimée. Philippe
Marchand, notre bien-aimé ministre
de l'intérieur, aurait inculpé les extrémistes présents.
Mardi 11 décembre
Indisponibilité grandissante
pour l'écriture. Les mois défilent à toute allure, c'en est étourdissant. Dans
quinze jours Noël et son petit univers merveilleux. Un pet de
mouche et le sablier reprendra son débit infernal.
Les devoirs pèsent en
colosse déstabilisant : il me faut acquérir une vision et une appréhension
globales des choses et endosser le plus sûrement possible mes responsabilités.
Je commence à comprendre la raison du temps qui défile : sitôt que tout
notre être tire son énergie vers l'avant, qu’il est sollicité pour résoudre
mille problèmes qui ont chacun leur urgence, il est impossible de se baser sur
les échelles de mesure ordinaire. Pour construire un empire, le temps d'une vie
est tout juste suffisant, et la pérennité d'une entreprise ne se découvre que
si celle-ci nous survit (pauvre Robert Maxwell !). Encore faut-il que les successeurs ne baissent pas de régime.
Les sociétés tournent à
plein depuis bientôt quatre mois. Pas un jour sans imperfection à résoudre. La
quête de l'organisation absolue, de la compétence absolue, du sens moral absolu
nous fait, ou devrait nous faire, nous botter le cul plus souvent, chaque jour
passant.
Kate, nerveuse en ce moment, a cabossé légèrement sa voiture, cette
semaine. Elle m'avoue ses absences et une grande fatigue dues à son traitement.
Hier soir, le petit bout
Dechavanne tentait d’organiser un foutoir
bavard sur la perte de cheveux. Présent : le crâne d’œuf Choron. (Avec Cavanna, ils incarneraient parfaitement le duo Tif et Tondu du journal Spirou). Le prof. d'Hara-Kiri débitait ses outrances avec jubilation.
Dimanche 15 décembre
En route vers le château par
ce froid matin noir. Petite visite de Kate, vendredi soir. Comme toujours,
bons et mauvais moments se succédèrent. Je présenterai vendredi prochain Kate
à Heïm. J'espère au plus profond qu'elle ne déraillera pas. Ce serait le
signe d'une rupture prochaine. Mes sentiments sont très forts envers elle,
mais comment pourrais-je construire quelque chose avec une femme bien souvent
aux antipodes de ce que j’attends d’elle ?
L'Union des Républiques
socialistes et soviétiques est morte. La grande Russie a pris le large avec Eltsine comme capitaine. L'Ukraine, la Biélorussie (ou Bélarussie) et les Berkistans ont fait de même. Gorbatchev s'est fait posséder jusqu'au
trognon. A la perestroïka et à la glasnost succèdent la déstructuration et
la confusion. La Chine forme la dernière puissance significative à
rester dans le giron marxiste.
Mardi 17 décembre
Un putain d'écoulement de
nez me rend irritable. D'où peut-être une conversation mitigée avec Kate. Un bon début, avec petite voix et gentillesse ; un corps
d'entretien vacillant entre l'envie que rien de pénible n'éclate et le besoin
de faire exploser les sous-entendus ; une chute réconfortante où chacun
se promet de penser à l'autre. Je respecte ici, à bientôt minuit, mon
engagement. J'avoue redouter un peu le repas de vendredi, qui peut clouer au
pilori notre relation.
Le mouilleur des petites
culottes des pisseuses en germe, j'ai nommé Patrick Bruel, s'appelle en réalité Maurice Benguigui, comme là-bas dis ! Gag
rabâché par tous les médias depuis plusieurs semaines, et je n'en savais rien
jusqu'à ce soir. On se demande parfois ce que je branle devant le tube cathodique,
pas Bruel en tout cas.
Vu Mitterrand chez la roucoulante Sinclair que je m'obstine à regarder :
mais comment pourrais-je rater une émission du vieux Fanfan ? Il semblait en
pleine forme, ravalé à la perfection, presqu'un teint de jeune fille. Malgré
une tendance au discours soporifique, il s’essaye à donner quelques coups de
griffe à feu de Gaulle, alors qu'il s'appuie sur les institutions du général depuis dix ans.
Samedi 21 décembre
Vendredi, le grand jour est
appréhendé avec anxiété. Je vais présenter Kate à mon papa de cœur. Je reste avec une profonde incertitude pendant tout le voyage.
Kate est élégante. Je divague entre
l'agréable moment passé en sa compagnie, et le désir profond que rien ne
dérape. Kate fait avec moi le trajet, qui mainte et mainte fois, m'a fait
quitter le lit chaud du matin et les bras nacrés de ma belle pour rejoindre le
château familial.
Arrivée à Chaulnes. Monique nous attend
dans la CX. Ma Kate prend place et nous faisons le
chemin dans la nuit picarde. Noël n'est pas si loin, la chaleur
des fêtes me fait espérer une douce soirée. De toute façon, adviendra ce qui
devra advenir.
Le château éclairé est
accueillant à souhait. Nous passons rapidement dans le bureau de Heïm. Présentation. Immédiatement, Heïm nous met à l'aise. Je reste tendu
malgré tout.
Le repas. Kate se montre merveilleuse. Heïm me dit que je ne pouvais faire
meilleur choix. Kate, d'une rare féminité, d'une grâce de tous les instants,
n'a pas eu une seule déviance. Son amour pour moi est authentique. Elle avoue à
Heïm son sentiment d'étouffement lorsqu'elle doit avaler certaines choses (pas
de cochonnerie dans les têtes, siouplaît). Heïm reconnaît là une hypersensibilité,
qualité essentielle chez une femme. Extraordinaire soirée, émouvante,
gratifiante, enivrante : je ne pouvais espérer mieux. J'ai rendu mon papa
de cœur heureux et Kate s'est révélée
impeccable. Oubliée la petite maladresse avec mon géniteur, ma confiance refait
surface.
Nuit dans la maison de Julie. Année miraculeuse qui
s'achève.
Fin de matinée :
déjeuner en tête-à-tête au château. Karl et Hermione viendront nous saluer. Gênés et
intimidés que nous sommes, ému que je suis par la bonne impression qu'à laissé Kate. Dernière entrevue avec Heïm, puis départ : Karl, Alice, Hermione et Vanessa viennent nous dire au revoir
dans un étourdissant tourbillon. Nous laissons là le château, tout embués par
tant de bonheur. Voyage en train : petits nuages sous nos pieds. Tendre Kate
à serrer très fort.
Cette confiance en Kate, la douceur que je veux lui faire partager, avant que ne viennent les
devoirs, vont me donner tout l'équilibre nécessaire à la bonne maîtrise de mes
responsabilités.
Je suis le premier des
enfants à présenter à Heïm l'être aimé. Immense plaisir procuré, même si
la vie, dans ces moments, vous casse les années sur le dos.
Encore une fois, je suis
heureux des choix que j'ai faits et de la vie que je mène. Je me trouve sain
d'esprit et de corps, ayant devant moi un destin inespéré si je conduis
correctement mon navire, et aimant depuis maintenant plus que le temps d'une
gestation, une femme exquise de féminité. Alors, après tout ce que j'ai entendu
et vu chez mes accointances héréditaires, je me permets d'emmerder ici tendrement
ma mère et mon père, ceux qui avaient l’antre
et le membre, mais pas toujours le cœur. Cruel ce que j'écris (dégueulasse
diront certains esprits étroits), mais petit lait en comparaison de ce qu'ils
ont pu parfois me faire vivre.
Voilà qui est inscrit.
Lundi 23 décembre
Passé la nuit de dimanche à
lundi à consoler Kate de son cafard. Rejoindre sa famille après ce
féerique week-end, s'éloigner de moi pendant quinze jours : les larmes
étaient amplement justifiées.
La présentation de Kate à ma famille de cœur restera
l'un des moments forts de mon existence. La douceur d'être, la beauté des lieux
et des choses, le grand bonheur partagé : extase de tous les instants. Heïm m'a dit que je lui avais fait le
plus beau des cadeaux par cette rencontre.
Ce matin, debout à cinq
heures pour retourner au charbon. Gros chèque pour le règlement des postcontacts.
Mercredi 25 décembre
Doux réveillon, malgré
quelques inquiétudes sur l'état de santé de Heïm. La pièce décorée juste à point, des petits plats enchanteurs (une
viande notamment ! à en faire crever les papilles de plaisir). Des
cadeaux près des souliers.
Kate loin de moi. Tendres pensées
pour elle.
Je me trouve un peu pâlichon
de la plume. Plus trop de grandes envolées dans ces lignes. La platitude du
style bouffe la qualité du propos.
Trop de choses à faire pour
m'informer précisément des événements extérieurs. Je sais vaguement que l'urss a cédé
la place à une cei improvisée qui risque de ne pas aller très
loin si les nationalismes croissent. Sur le plan interne : décourageante
politique française. Je n’éprouve plus d'intérêt à m’informer de leurs
méfaits. La raison d’être de leur fonction devrait les incliner à moins
déblatérer et à se mettre vraiment à notre service.
Vu Antoine Pinay, le centenaire, à L'heure de
vérité : il n'était pas loin
de ce sentiment. Lucide comme tout, ce petit bonhomme né en 1891.
Idée de Heïm : constituer une organisation internationale avec des
représentants de tous les pays concernés pour l'élection d'un Père-Noël. L'homme devrait être reconnu pour sa bonhomie physique, ses longs
cheveux et son imposante barbe blanche, sa probité extrême et sa capacité à un
devoir absolu de réserve. Construction d'une usine à jouets (par exemple en Laponie). Ce Père-Noël, rassembleur comme peut l'être l'Olympisme ou le Pape,
aurait pour tâche de faire distribuer des jouets aux enfants indigents et
aurait un rôle de représentation. Apparemment anodine, cette idée mise en œuvre
serait à coup sûr très porteuse. Peut-être un jour...
Journée de détente au château.
Entre les jeux et le droit, la douceur de vivre s'exhale sans peine.
Kate deux fois au téléphone :
d'une tendresse sans borne, afflux de petits mots gentils et de bisous
mouillés. Sa venue au château a été déterminante pour l’épanouissement de
notre relation. Mieux que ça : le bonheur est grand et je ne songe plus à
limiter ma confiance. J'aime Kate, je le hurle à l'univers, je frissonne de
désir à sa seule évocation. Ma demoiselle chérie me le rend bien. Si je réussis
dans mes différentes entreprises et études, je pourrais conchier le paradis
chrétien. Amen.
Jeudi 26 décembre
Le grand Corvée d'chiottes a démissionné. Le drapeau rouge, sa faucille
et son marteau ne dominent plus le Kremlin.
Eltsine est en possession de l'arsenal
nucléaire. Avec la gueule revancharde qu'il trimballe, ça fait froid dans le
dos. Mais comprenez donc sa légitimité sacrée : il a été élu par le
peuple, eh oui, par le Pôple ! (A prononcer avec le
bas ventre.)
Vendredi 27 décembre
Je retourne le jeudi soir à
Paris avec Déoles et Sally. Kate doit me rejoindre. Sitôt à Pantin, je l'appelle pour connaître son heure d'arrivée.
Drame hystérique en direct : ma Kate chérie en pleurs, me prenant comme témoin
de la salauderie de ses parents. Chacun crie, Kate hurle sa peine, et moi,
comme un couillon avec son téléphone, j'essaie de calmer le jeu. Quelqu'un
coupe (Kate m'apprendra que la mère était l'auteur de ce mauvais coup). J'en
profite pour appeler Heïm. Puis je refais le numéro
et demande à Kate de me passer son père. De la famille des lachtouilles, le père se dégonfle et refuse de prendre le combiné.
Je demande alors sa mère, qui se fait gentille comme la plus sainte nitouche
des hypocrites. Je l'informe du sérieux de mes sentiments pour Kate, de mon
intention de l'épouser et de mon désir de tempérer les énervements.
Des parents qui détruisent
le bonheur de leur fille, qui salissent ses éblouissements, qui l'humilient en
public, qui l'enfoncent bien au fond lorsqu'elle est déjà dans le trou, c'est à
haïr au plus vite. Heïm nous parlait à midi de l'avantage des familles
affinitaires : les êtres se
choisissent et se respectent.
Durant mon trajet vers la
gare de l'Est, j'ai les tripes serrées,
maudissant les parents de Kate qui gâchent ce qui devrait être
une source d'émerveillement. Kate, sous le charme du château, n'a pu contenir
son bonheur, et voilà comment elle est remerciée. Peut-être auraient-ils
mouillé à l'idée qu'elle s'éprenne d'un médiocre de seconde zone, d'un rmiste alcoolo. Peut-être...
A la gare, je retrouve ma
petite chérie les yeux tout mouillés de larmes. Je la console une partie de la
soirée. Elle qui avait retrouvé ses équilibres, voilà qu'elle sombre à nouveau
dans la fragilité psychologique.
Désespérer son enfant, parce
qu'on crève de jalousie, est une ignominie sans borne.
Aujourd'hui, vu avec Arheux le contrat de vrp proposé à Corinne Cotillon et les clauses modifiées
qu'elle propose. Intéressant de décortiquer le fond des contestations pour
comprendre les objectifs (rarement catholiques) de cette femme.
Pour passer le mois, entre
les plus de deux cent mille francs de traites à échéance le 31 décembre et les
quarante-trois mille francs de salaires, nous devons escompter pour
quatre-vingt-dix mille francs de traites. Il va falloir, pour le mois qui
vient, nous atteler à faire rentrer l'argent qui est dehors. Logique. Entre les
libraires et les collectivités locales, plus d'un million de francs nous attende.
Vu ce soir les Tortues Ninja, cassette vidéo louée par Karl pour vingt-quatre heures. Film
nullissime dû à la lourdeur d'esprit qui a rongé ses auteurs et à un doublage
résolument médiocre. Ça fait tout de même du bien de zieuter de temps en temps
un navet de la pire espèce.
Jeudi 2 janvier je prendrai
le tgv pour
aller visiter mes grands-parents. Suite à la chute de ma grand-mère, ils ont quitté leur demeure pour rejoindre la maison de retraite.
Triste sort. Je repartirai samedi avec ma mère.
Pensée émue pour ma Kate qui part demain matin avec ses
parents pour la Dordogne. J'espère qu'ils ne la
feront pas trop chier. Il faudra que je les rencontre au plus tôt pour mettre
les choses au clair. Hors de question pour moi de jouer au bourgeois
dissimulateur. Je serai courtois, mais franc-jeu.
Dimanche 29 décembre
Doux dimanche, sans
événement foudroyant.
Grasse matinée comme je n'en
avais pas fait depuis belle lurette (hormis en compagnie de Kate).
Pliage de piscine qui doit
être emportée pour être recousue sur deux mètres.
Repas familial. Heïm nous rappelle l'anecdote, à
l'époque du service Minitel Mimi, où l'une des locos était au téléphone avec lui. En
s’adressant au Roy (son pseudonyme) elle utilise les titres de Sire ou de
Majesté en présence de deux flics. L'un d'eux prend Heïm au bout du fil
et appelle mon papa de cœur « Sire » sans sourciller. Grand moment
de plaisir.
Les droits en folie à
étudier pendant la fin d'après-midi.
Kate ce soir, loin dans sa Dordogne, mais toujours vivante. Tendre et délicieuse comme à l'habitude. Rien
à faire : je ne peux me lasser un tant soit peu de sa grâce naturelle. Don
formidable pour mettre dans sa voix tous les accents de la féminité et de la
petite fille pure. Et dire qu'une semaine va s'écouler, un changement d'année
s'opérer, sans que j'ai son souffle framboisé dans les oreilles. Petite fée qui
pense à moi, je te dédie ces quelques glissades sur papier et j'embrasse tes
petits petons.
Vu l'élection de Miss France. Choix pas trop mauvais cette année : une superbe créature des Pays
de la Loire. Mais ce qu'il faut être
pute dans l'âme pour se présenter à ce genre d'épreuve. Quarante et quelques
donzelles en maillot bleu ciel ou blanc qui nous présentent leurs longues gambettes
et leur petit minois ; un jury de vieux examinateurs et de vieilles
bavardes égayées au Ripolin. Je reste sceptique quant à l'évolution du monde
face à un tel spectacle. Entre nous, ça n'a peut-être rien à voir.
Mardi 31 décembre
R.A.S.
Nécessité que je rencontre
très vite les parents de Kate. Les petites scènes d'hystérie, gratuites et salissantes, ne doivent
plus jamais se reproduire. Kate devra tenir un peu plus sa langue.
Que des parents ne soient
pas illuminés par le bonheur de leur enfant m’apparaît déjà injustifiable. Leur
médiocrité s’avère sur ce point indiscutable. Qu'ils osent de surcroît, par
jalousie imbécile, me critiquer, alors que je suis sans conteste charmant,
témoigne d'une bassesse humaine peu commune.
Je n'en veux pas un poil à Kate, mais je ne souhaite pas que l'éducation qu'elle a reçue réapparaisse
dans nos rapports comme une tache définitive. On se demande où ils cachent
leur générosité ces parents, hormis dans leur portefeuille. L'idéal serait que
les géniteurs se calment, que Kate garde de bonnes relations avec eux tout en mesurant
correctement ce qu'ils valent. J'aime ma Kate et je ne veux pas que de
néfastes influences la salissent.
La Cinq va déposer son bilan. Jamais une
chaîne de télévision française n'en était arrivée là. Toute la troupe
journalistique sur le pavé : on va respirer un peu mieux. Quelques bonnes
émissions qui disparaissent certes, mais, enfin, des envoyés aux spécialités
douteuses et des femmes de presse qui s’envoient en l’air outremer (vu dans le
bêtisier de l'A2) sont largués comme des malpropres. Merci aux actionnaires.
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