Sur le genre diariste
« Insignifiant, peu
sûr, mensonger : on connaît les reproches adressés habituellement à ce
genre. Pour Roland Barthes [rb],
c’est une forme « qui exprime
essentiellement l’inessentiel du monde, le monde comme inessentiel ».
Maurice Blanchot [mb]
le rejoint sur ce point : écrire un journal n’est souvent qu’« une manière commode d’échapper au silence,
comme à ce qu’il y a d’extrême dans la parole ». Cette écriture qui
« éparpille en poussière, au jour le
jour, les traces d’une époque, toutes grandeurs mêlées », [rb] est engluée dans le circonstanciel,
le contingent, le relatif. D’autant que le journal, « livré au hasard de l’éphéméride », est une forme ouverte, peu
contraignante. Fragmentaire, discontinu, il ressemble souvent à un album,
« collection de feuillets non
permutables, mais suppressibles à l’infini » : au rebours d’une
œuvre accomplie, il n’obéit à aucune nécessité.
« Encore ce défaut de
composition, qui semble la fatalité du genre, ne serait rien si sa sincérité
était à ce prix. Mais aucun journal ne passe pour parfaitement authentique. Car
l’« agréable rumination de soi-même »
[mb] qu’appelle cet exercice
invite à l’égotisme, sinon à la complaisance. Soutenue par « l’étrange conviction que l’on peut
s’observer et que l’on doit se connaître », l’écriture du journal, où
le moi interfère sans cesse, ne saurait prétendre à la transparence. Elle ne
permet guère au diariste de se dire sans duplicité, moins encore de se
juger : la sincérité qu’il revendique n’est tout au plus « qu’un imaginaire au second degré »
[rb]. Du reste, des notes intimes,
même écrites pour soi seul, sont toujours susceptibles d’être lues par les
autres. L’écrivain le sait : du fait de cette éventualité, celui qui tient
son journal est, « par statut,
condamné à la simulation », voire à l’histrionisme. Bref, « le journal est l’ancre qui racle contre le
fond du quotidien et s’accroche aux aspérités de la vanité » [mb].
Pierre Glaudes dans son introduction générale du Journal de Léon Bloy (Robert Laffont, collection Bouquins, 1999)
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