1992 – L'Obsession
Mercredi 1er janvier
1h20 du matin. Très gentille
veillée du Nouvel An. Repas-buffet garni au poil avec Déoles, Sally, Alice, Karl et moi. Détente et drôlerie tout au long de la
soirée. Petits cadeaux mignons pour chacun et un Pictionnary pour tous. But du jeu : faire deviner
chose, personnage, action ou concept par le dessin. Petit tour devant une télé,
nullarde dans ses programmes, toutes chaînes confondues. Heïm vient nous embrasser pour la
nouvelle année et jouer avec nous. Délicieux instants. Vers minuit vingt, je m'éclipse
un instant pour appeler Kate perdue dans les Pyrénées. Toute en joie, frissonnante de m'avoir un instant au bout du fil. Je
suis heureux comme un dieu. Tendres vœux échangés, bisous furtifs ou profonds
de toutes parts, intensité de notre amour tout au long. Nous nous quittons la
poitrine embrasée.
Là dans mon dodo, je me sens
serein, prêt à reprendre les combats quotidiens.
Jeudi 2 janvier
Long trajet ferroviaire pour
aujourd'hui. Ces quelques lignes écrites dans la gare de Lyon-Part-Dieu avant que mon encre ne gèle.
J'ai beau me rapprocher du sud, on se les caille un max, et c'est pas gégène (génial).
Confortable dans un train
long, long, long, je me vois déjà à Montpellier. Dix-sept heures moins dix : je vois les gens se préparer. O
surprise, serait-il en avance sur l'horaire ? J'interroge les voyageurs
qui m'entourent : « C'est bien Montpellier, le prochain
arrêt ? » « Montpellier ? Oh purée que non, cé
Marseille, kong ! » Patatras : le train était si long, long,
long qu'il s’est scindé en deux pendant le parcours et j'étais dans la
mauvaise section. Un agent sncf m'avait pourtant indiqué de monter en tête
pour ma destination. Chance : un train en partance pour Bordeaux et qui
passe par Montpellier fume au départ. Je laisse un message
à l'accueil pour qu'une annonce soit passée à Mme B. [ma mère] l’informant d’un horaire d'arrivée
un chouïa modifié.
Je dois traîner la poisse
côté rail, car, au retour du château avec Kate, nous avions failli, à quelques secondes, être emportés vers Lille au
lieu de Paris ; c'est ma Kate chérie
qui s'est inquiétée de la bonne direction du train, alors que j'avais déjà
enlevé mon manteau. Ce coup-ci, son intuition féminine m'a visiblement manqué.
A bon port avec presque deux
heures de retard, maman m'attend. Le message lui est bien parvenu.
Petit détail : on lui a dit que je m'étais endormi et que j’avais laissé
passer la station alors que c’est l'incompétence d'un agent la cause de tout.
Une heure de voiture. Je la
questionne sur l'état physique et moral de mes grands-parents. Niveau faible.
Grand-père présente tous les signes de la décrépitude
(décrochages psychologiques, incontinence...) ; grand-mère supporte très mal de se retrouver
à 79 ans en maison de retraite, entourée de personnes plus vieilles qu’elle.
Ils ont abandonné leur grande maison. Triste tout ça.
Je profite de cette
conversation lancée pour m'inquiéter du devenir des différents cousins, cousines,
oncles et tantes. Rien d'enthousiasmant, en bref.
A l'arrivée, je file
téléphoner à grand-mère qui attendait mon appel. Très rapide. Je
préviens le château que je suis parvenu sain et sauf, ainsi que ma douce Kate qui m'a hanté une partie du
voyage.
Au fond d'un lit, avec un
feu de bois en face de moi, je quitte là cette exténuante journée.
Vendredi 3 janvier
Vu mes grands-parents à la
maison de retraite de Fontès. Chacun dans une petite chambre, ils laissent venir
doucettement la fin. Nous avons conversé de choses et d'autres. A plusieurs reprises,
un malaise profond m'envahissait : le monde triste et figé de cette
vieillesse en chambre me prenait à la gorge. « Du lit à la fenêtre, et
puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit » nous chantait Brel.
Reste que mes grands-parents
étaient tout heureux de me voir et semblaient touchés que j'ai fait cet
aller-retour éclair pour venir les embrasser. Mes responsabilités, et
peut-être aussi l'envie d'échapper au terrible cafard que j'attrape si je reste
plus de deux jours, m'ont contraint à cette furtivité.
Lundi 6 janvier
Reprise du cours des choses.
Travail tous azimuts. Ce soir, pot du Nouvel An avec tous les employés et les
dirigeants de la seru et de
la sebm.
Obligé de faire un petit
discours, je leur ai souhaité de travailler davantage, de mieux se responsabiliser,
et de voir en 1992 une année difficile : tout ça pour les mettre en forme
nom de dieu !
Ce soir, et par ordre de
préférence bien sûr, petits instants avec une Kate pétant le feu, et court moment
avec mon Olivetti, portable du tonnerre.
Jeudi 9 janvier
Sanction du laxisme en
comptabilité analytique : une sale note au putain de contrôle. Je me
prends un cinq sur vingt dans les gencives. Seul moyen de me rattraper :
passer des heures et des heures à faire des exercices. Mais dégager du temps
pour ces conneries, c'est presqu'inhumain.
Mercredi 15 janvier
Horreur : déjà la
moitié du mois qui s'est barré. Rien griffonné depuis quelques jours, tant les
préoccupations sont diverses, importantes et parfois vitales.
Doux week-end avec Kate. Quinze
jours sans nous voir, ça commençait à peser lourd, dans tous les sens du terme
pour moi. Inauguration de mon ordinateur portable par Kate : elle tape
quelques lignes de mes notes perso.
avec un doigt et finit par faire honneur à mon engin lorsque je me glisse
entre la chaise et son joli fondement.
Le mois de janvier s'annonce
difficile pour les rentrées financières. Il faut que je fasse accélérer le mouvement,
que j'ai un œil sur tout ce qui se fait dans les différents de la seru, et que je donne un coup de fouet revigorant
à ceux qui s'embourbent confortablement dans le fonctionnariat.
Je dois gérer et chercher
des solutions aux déficiences, après en avoir cerné les causes. Tout cela
demandera du temps pour être au point, et beaucoup de coups de pied au cul. Je
dois être très vite, ainsi que chacun des employés, à la hauteur de la maxime
de Virgile qui accompagnera l’emblème choisi par Heïm pour la seru : « Le travail opiniâtre
triomphe de tout ».
Vu hier soir l'un des
responsables de la Poste d'Amiens, à la tête du service postcontact.
Vieux petit bonhomme, genre René Tendron de la Bourse sur la Une, qui écoute sans rechigner
mes inquiétudes et ma révolte : conviction et preuves que les prospectus
ne sont pas distribués, menace de se tourner vers le privé et de dénoncer publiquement
l'escroquerie du postcontact, demande
d'enquêtes circonstanciées et de garanties pour l'avenir. Pour lui, je suis
loin du petit client : avec un marché potentiel d'un million quatre cent
mille francs par an (et sans compter nos dépenses d'affranchissements) nous
sommes certainement le plus gros consommateur de postcontact dans la région. Alors gare...
Demain matin, rencontre avec
Arheux (le pépère directeur
administratif et financier) du banquier de la seru. Lui aussi devra « écarter les
cuisses » comme nous a dit Heïm. Il est impossible qu'il persiste à nous refuser un découvert. Il a bénéficié
de la progression de notre chiffre d'affaires et il ne nous accorderait pas de
facilité de caisse ! Marre de ces rentiers frileux qui se calent sur leur
bourse !
Je filerai ensuite vers
Paris : un contrôle de droit fiscal m'y attend pour dix-huit heures. Sacrée
journée !
Dimanche 19 janvier
Le parti socialiste est
encore la proie des Zorros de la Justice. Laurent Fabius devient secrétaire général le jour même où le
siège fait l'objet d'une perquisition. Ce soir, il visite la Sinclair, la moue en avant, pour justifier toutes les malversations passées.
Mardi 21 janvier
Actualité : crash d'un
Airbus A320 sur des cimes françaises. Quatre heures de
localisation de la catastrophe dans un pays comme la France. Insensé ! Des gens encore vivants sont restés tout ce temps par
un froid de moins quatorze degré.
Heïm nous expliquait à midi toutes
les possibilités techniques qui existaient pour éviter les retards de ce
genre. Qu'aurait coûté le fait de mettre une balise à la queue de l'avion
(partie qui a le plus de chance d'être intact, c'est là où se trouvaient les
rescapés) en plus d'une à la tête. « Quand un avion s'écrase... »
Lacouture fait mine basse.
Petit retour en
arrière : week-end délicieux avec Kate. Le temps passe et nous sommes de plus en plus accrochés l'un à
l'autre. Toujours de petits accrocs çà et là, mais rien de grave. Notre tendresse
est totale. L'amour que nous faisons est d'une bien meilleure qualité les acoquinements passant. Kate me prépare
un petit plat succulent. Elle est plein de projets pour aménager ma chambre.
Très gentille. Je l'aime sans conteste.
Côté pro : beaucoup de
choses à faire, des services à surveiller et de l'argent à faire rentrer. Vu
Martine Dugant pour la promotion et Michel
Leborgne pour le commercial.
Samedi 25 janvier
Cette semaine, conversation
avec Heïm qui ressent mal mon irrésolution. Depuis la
venue de Kate au château et l’émerveillement créé, nombre de
facettes se sont assombries. Principalement : l'attaque des parents de Kate
qui ont sali sans scrupule notre bonheur ; le peu d'empressement qu'ils
ont manifesté à me rencontrer sous prétexte d'emploi du temps chargé (et moi
donc !) ; les vues réductrices de Kate concernant notre avenir
éventuel ; l’enlisement général de la situation ; mon indétermination
face à tous ces points. Kate a 24 ans, lourde et dangereuse est l'influence
parentale. Je dois très vite la prendre avec moi, pour que la situation ne
devienne pas insoluble.
Mes engagements
fondamentaux, et les choix que j'ai faits, depuis tout petit, devront seuls
déterminer mon avenir. Si Kate s'associe à mon ambition elle
deviendra ma femme, sinon nous devrons revoir la teneur de notre relation.
J'espère seulement que son besoin d'exister
et ses comportements névrotiques ne foutront pas tout à terre.
Expliquer ma
passivité ? Une introspection est toujours difficile. Surveiller mes
penchants médiocres et mener ma vie pour le mieux.
Vu une fin de reportage chez
quelques olibrius du cinoche. Jean-Jacques Annaud apparaît excité par le résultat
des premières entrées parisiennes pour le film l'Amant. Infect milieu où l’on se
tâte, se baisouille, même si la
rencontre vient d’avoir lieu. La petite comédienne de 17 ans est emportée par
les obligations de tendre ses joues, en attendant peut-être d'accorder sa
bouche et son cul à des inconnus, accointances de son réalisateur. Mignonne et
fraîche : petit être bientôt en perdition. Le parisianisme me fait vomir.
La décontraction affichée interdit toute relation de qualité. Ces gens, aux inhibitions
multiples, traînent leur laisser-aller relationnel sans honte. Saloperie de
civilisation !
A noter : beaucoup plus
contraignant de coucher sur le papier les mauvaises choses que l'on pense de
soi et une analyse poussée de son comportement que de critiquer les figures
publiques. Ça m'apprendra...
Vendredi 31 janvier
Fin de mois très juste pour
la seru. Le Crédit agricole, qui recueille nos rentrées depuis cinq mois, n'a pas l'air de
vouloir mettre son putain de « bon sens en action ».
Deuxième rencontre dans nos
bureaux : le sous-chef de l'agence, en compagnie d'un représentant
fringant du marché des entreprises, tient une mine décomposée. Je comprends, en
le voyant, qu'il n'a pas réussi à convaincre le dynamique blondinet coupe au
bol. Arheux et ses chiffres à mes côtés, je fais le grand
dans la présentation de nos activités, de nos projets quant au développement du
service commercial, de notre politique très personnelle du stock, etc. En
bref : la chance extrême qu'a le Crédit agricole (riche d’une clientèle
bourbeuse) de nous avoir comme client.
Il leur faut un exercice
entier. Absurde : notre activité est centrée sur l'exploitation et le
développement de la prestigieuse collection MVVF qui n'en est pas
à sa première année d'existence. La frilosité ne se cache plus chez ces
grippe-sous aux chaussettes colorées. Tout n'est pas bloqué : sitôt les
documents fiscaux établis, nous obtiendrons des facilités, à répartir entre la
ligne d'escompte et la ligne de crédit, se montant à 8 % du chiffre d'affaires
annuel.
Autre institution dans le
collimateur : la Poste. Presque sept cent mille
francs (entre les postcontact et les
affranchissements) que nous avons déboursés à leur profit depuis septembre.
Cette semaine, appel de leur représentant de Péronne qui nous menace d'un
contentieux si nous ne payons pas notre dernière facture avant le 31. Nous leur
donnons un mois pour que ça bouge et qu'enfin on nous explique la baisse
dramatique des retombées pendant trois mois.
Pas question de se contenter
d'un mutisme compréhensif ou d'entendre des fadaises du style que notre prospectus
a été distribué avec ceux de notre concurrent Bastion. Cet éditeur a reçu une claque terrible quand, lors d'une diffusion de
prospectus sur l'Yonne, l'association RU a
vendu 4 000 exemplaires du Quantin, prouesse remarquable pour un ouvrage d'histoire départementale. Alors
pas de bobard.
Samedi 1er février
Nouvelle embrouille dans
l'Etat socialiste. Georges Habache, leader terroriste du fplp (Front
Populaire de Libération de la Palestine) est accueilli sur le sol français pour
se faire soigner les boyaux de la tête. Version officielle : décision
prise par quelques hauts fonctionnaires sur la demande expresse de Georgina
Dufoix ; aucun des ministres n'était au courant. La presse, toute excitée,
graisse ses caractères, l'opposition charge ses canons, le parti socialiste tortille du fondement, et l'Etat saigne ses lampistes.
La France vient encore de tendre son cul à
la scène internationale et de recevoir sa dose en plein dans le mille. Ni
première, ni dernière fois. L’inconséquence des hautes instances politiques
n'est certes pas nouvelle, mais l'accélération du processus de déliquescence
des mécanismes de l'Etat prend un tour inquiétant.
Johnny Hallyday, dans son dernier album, nous cause de ses problèmes personnels :
« Un homme ça vieillit, un homme ça s'oubliiiiieuh ». Faut vite
mettre des poupinettes, pépé !
Kate va bien, hormis ses petites choses qui l'ont fait souffrir.
Nous devons avoir des conversations fréquentes pour dissiper les zones de floue
et les hypocrisies ambiantes. Très tendre avec moi, elle devra mettre ses paroles
en action.
Coup dur : Michel
Leborgne m'apprend que sur les quatre
commerciaux que nous devions rencontrer lundi, suite au premier contact, aucun
ne viendra. Autre chose ailleurs ou pas assez de fric pour assurer le mois de
mise en route. Il va falloir redoubler de vigueur pour mettre en place ce service
commercial, et resserrer la vis des autres services.
Mardi 4 février
Le Président Fanfan, frais comme un gardon malgré l’attaque de la maladie, est passé ce
soir sur le petit écran. Face à lui Henri Sannier et Patrick Poivre d'Arvor, deux mastodontes du Vingt Heures, s'essayent aux
titillations du Président. Raison d'être du tableau : la venue de
l'infréquentable Habache, « terroriste à la retraite » comme nous l'a peint le Dieu croûton. Fanfan est visiblement irrité par le tintouin des manieurs de plume sur cette
Affaire dernière cuvée. L'entretien
avec les deux hommes de télévision est tendu, truffé de sous-entendus, parsemé
de pics vengeresses ; tout cela pour un résultat bien maigre au goût des
commentateurs zavertis :
convocation vendredi du Parlement en session extraordinaire. Dans ce fatras
indigeste, il n’apparaît pas illogique qu'un Mitterrand accueille un Habache (« Qui
se ressemble s'assemble » dit la sagesse populaire). Une seule chose me
chagrine : le sentiment de trahison ressenti par nombre de victimes des
attentats de 1985 et 1986. Pour le reste, cela fait belle lurette que les
représentants de l'Etat, nichés dans ses différentes institutions, ont perdu
l’essentiel de ce qui favoriserait la réaction salutaire face à la gravité de
certaines situations.
Ce matin, promenade avec Alice dans le parc du château. S'aérer
le corps et les neurones ne peut être que salutaire pour la poursuite de nos
actions. Nous profitons de ces quelques pas dans la rosée hivernale pour faire
le point des nombreux problèmes à résoudre et de la barre à redresser très
vite. Un bout de temps que je n'avais pas foulé le sol des champs et des grands
bois. Grand bien de sentir se bousculer dans le crâne les images de l'enfance.
Je me concentre un peu plus pour écouter les conseils judicieux de Alice, mais
très vite mon regard file vers les feux lieux de jeux.
Dimanche 9 février
23h30. Nuit courte avant de
prendre mon baluchon pour retourner au labeur. Réunion prévue lundi après-midi
avec les chefs des services promotion, commercial et comptable. Il faut
insuffler une nouvelle vigueur aux deux premiers secteurs et miser sur les
rentrées à court terme.
Compagnie de Kate une partie de ce week-end. Je remarque
de fréquentes incompatibilités dans nos manières d'être et de penser. Notre
attachement l'un à l'autre est profond, mais ça ne doit pas me faire perdre ma
lucidité. Kate devra rapidement se jeter à l'eau et dompter son
indétermination. Je dois normalement rencontrer ses parents avant la fin du
mois.
Samedi, cérémonie
d'ouverture des XVIe jeux olympiques d'hiver. Une jolie bande de fainéants qui
ne pensent qu'à s'amuser, malgré tout ce qu'il y a à faire dans le monde. Du
propre.
Dimanche 16 février
Hier soir. Je suis dans les
conditions idéales pour passer la soirée au chaud dans ma chambre, et en
solitaire. Kate s'en est allée faire un petit tour en Dordogne pour assister à une messe donnée
pour la date anniversaire de sa défunte marraine. Mon père, que je devais voir ce
samedi soir, m'appelle vers six heures pour m'informer qu'il est cloué au lit,
pris de vertiges dès qu'il tente une levée. Je décide alors de me mettre à
l'ordinateur pour corriger la partie de mes notes
perso qu’Alice a tapée.
Musiquette du
téléphone : je décroche et entends une petite voix hésitante qui demande à
parler à « Monsieur Dacroze ». « Monsieur Decrauze ? C’est lui-même » je réponds avec la perspicacité qu'on me
connaît. « Je ne sais pas si vous vous rappelez, ça fait deux ans, nous
avons parlé dans un tgv, et vous m'aviez laissé votre
téléphone. » Je situe le personnage immédiatement : fille déchirée
qui m'avait raconté ses tourments. Emu et lourd d'une trique qui n'avait jamais
servi à l'époque (juillet ou août 90) j'avais été légèrement entreprenant et je
lui avais écrit sur un bout de Kleenex mes coordonnées.
Vingt dieux quel
retour ! Si elle m'appelle, c'est qu'elle ne va vraiment pas. Elle
m'explique qu'elle a besoin de parler à quelqu'un, ne supportant pas (tout en
la recherchant) la solitude. Aïe : moi plus dispo madame ! J'accepte
de la rencontrer, tout en lui précisant d'entrée que j'aime une jeune femme et
qu'il est hors de question de jouer des attributs avec elle. Bien compris.
D'une nature excessivement
gentille, je me rends chez elle. Nous restons cinq minutes, le temps de me
désaltérer, puis je lui propose d'aller manger dehors. Nous discutons à bâtons
rompus : ses problèmes en tous genres, son désespoir, mon amour de Kate, mes activités... J'essaie tant bien que mal de lui remonter le moral.
Son scénario est
classique : drame d'une première histoire d'amour manquée, et puis la
galère en solitaire. A 28 ans, elle n'a rien construit et se retrouve dans un
milieu professionnel riche en débiles légers : les préposés des postes.
Dramatique gâchis d'une paumée pleine de contradictions. Seul point
positif : elle reconnaît en moi un « être exceptionnel ». Minuit
et demi passé, je prends un taxi pour retourner à mon dodo.
Plan professionnel :
lundi, réunion avec les chefs de service, Leborgne, Dugant et Arheux, et Déoles comme chargée de mission. Chacun
fait le point de son activité. L'objectif du mois : faire de l'argent à
court terme. Il faut se battre pour réaliser un chiffre conséquent et mettre
très vite en place le service commercial qui reste embryonnaire depuis septembre
1991.
La France est rongée par le chômage. Le
mois dernier, nous avons passé pour près de 10 000 F d'offres
d'emploi dans plusieurs journaux : peu, voire pas de réponse. Avec leurs
garanties sociales extravagantes, les socialistes ont fait du pays un nid
d'assistés qui n'ont nulle envie de retrousser leurs manches.
Lundi 17 février
Dans le train de 6h44,
destination Amiens. Je me sens frais comme un gardon par ce matin nuiteux.
Dimanche, à minuit moins le
quart, n'entendant rien venir des Telecom, je décide d'aller sonner trois coups chez ma petite amie Kate. Habituée à rendre coup sur coup, ma petite chérie ne tarde pas à se
manifester. Tendre et amoureuse, chuchotant des « je t'aime » à vous
émouvoir un don Juan blasé et converti à l'érémitisme, Kate
m'écoute narrer mon périple du samedi soir. Très touchée par ma disponibilité à
aller consoler une âme en peine. Nous nous quittons l'oreille chaude des intonations
de l'être aimé.
Vu hier mon père. Il m'apprend qu'une radio
parisienne (fip) a annoncé que des astrophysiciens auraient
découvert un trou noir formé au cœur de notre galaxie. Loin de prendre ça pour
une histoire salace saucée, très facilement sujet aux angoisses métaphysiques,
il s'est demandé si telle serait la réalisation de la prédiction nostradamusienne
d'apocalyptique fin du monde.
Calculs faits, le trou se
déplaçant à la vitesse de la lumière, nous avons encore un peu de temps :
10 000 ans avant qu'il nous atteigne. Il est même possible que d'ici là,
repu, il explose. De toute façon, il n'y aurait pas grand changement, pour
notre civilisation de l'entassement, à se retrouver concentrée dans une fente
cosmique.
Pour en revenir à des choses
plus mesquines, pauvre mortel que je suis, je constate que notre monde poursuit
sa tourmente infernale.
Alors que je suis
douillettement assis dans un wagon sncf, alors qu'à mes côtés une étudiante lit La République de Platon, et ce sans broncher, le chaos se généralise.
Ainsi l'Algérie qui joue, depuis quelques
semaines, au feu et au sang. Pour avoir un exemple de la tartuferie du système
démocratique, il suffit juste de traverser la puante Méditerranée. La partie du peuple inspirée par les Mollah, le fis et les
intégristes activistes peuvent se carrer bien profond leur carte d'électeur et
aller se revoiler. Nos bons penseurs
hexagonaux parlent d'absence de culture démocratique, expliquant la nécessité
d'une dictature transitoire, le temps de faire la peau à tous ces islamistes.
Au final, la solution est lumineuse : marquer au fer rouge tous les
contempteurs de la démocratie, les entasser dans des camps et y foutre le feu,
par Toutatis !
Jeudi 20 février
Ce matin, à huit heures
pétantes, je me pointe à la Sorbonne pour y subir l'épreuve (examen
blanc) de droit fiscal. La précision de mes connaissances étant très aériennes,
j'ai du me raccrocher au petit, mais costaud, code Dalloz. J'espère limiter les
dégâts.
Le service commercial de la seru doit
intervenir très vite pour rapporter de la facturation fraîche. La promotion
voit son chiffre d'affaires décliner ce qui provoque un décalage entre l'argent
que l'on fait rentrer et l'émission de nouvelles factures. Avec Michel,
préparation de son emploi du temps pour mars. Gros forcing pour aérer un peu
les finances.
Livraison, mardi prochain,
d'une machine à relier MR77 de chez Jud. Ce matériel doit nous permettre d'activer notre politique de réassorts puisque nous pourrons très
rapidement ressortir un titre en rupture de stock à un très petit nombre
d'exemplaires.
Longues discussions au
téléphone avec Kate aujourd'hui. Je continue mon travail de fond
pour la convaincre de ma vision quant à son attachement excessif à sa famille.
Je dois rencontrer ses parents dimanche. Alléluia. Je serai courtois mais
ferme.
Les J.O. d'Albertville encombrent toujours les ondes.
La France vît à la chaîne ses succès et ses déceptions.
Côté actualité
mondiale : déconnexion complète de ma personne. Trop à faire pour suivre
les singeries répétitives d'ici-bas.
Dimanche 1er mars
Minuit dix. A l'aurore de ce
dimanche, je fais le point.
Je déjeune aujourd’hui chez
les parents de Kate. Rendez-vous annulé, la
semaine dernière, suite à une énorme engueulade dans le couple : cris et
casse, la veille de mon invitation.
Les nerfs en pelote, Kate vient passer quelques jours à
Pantin. Petite femme dans mon
antre, elle m'accueille mercredi soir avec un dîner aux chandelles et des
petits plats frais, et amoureusement décorés. Délicieuse soirée.
Je vais voir ses parents
pour clarifier plusieurs choses, avec gentillesse mais fermeté. Les sentiments
qui me lient à leur fille : pas un coup de queue en passant, mais une
véritable envie de construire une vie avec elle. Mon existence et mes
choix : le parcours peut-être singulier que j'ai suivi, l'élan, depuis
tout petit, vers ma famille affinitaire,
mes ambitions pour les années qui viennent. Hors de question qu'ils portent le moindre jugement
négatif sur tout cela. Voilà la petite synthèse de ce que j'aborderai.
Du côté pro, mars devrait être
le mois de tous les sursauts. Certes le mois de février se termine avec une
trésorerie positive, mais l'illusion est très vite percée : reculer les
échéances est un moyen efficace sur une petite période. Le tout est de ne pas
se laisser ronger par le fonctionnariat.
Sursaut promotionnel :
Martine Dugant et sa bande, grâce à la machine
à relier installée mercredi dernier, pourront facturer de nombreuses commandes
en attente. Il faut que ce service se secoue les puces.
Sursaut commercial :
Michel Leborgne retourne au casse-pipe, et c'est tant mieux
pour la société. Deux mois à vide expliquent notre piétinement. Nécessité de
faire du terrain pour rendre viable ce service. Dame Cotillon gratte depuis soixante jours et
pas un ordre d'insertion n'est passé sur mon bureau. Ce mois est décisif pour
la suite de notre collaboration.
Mardi 3 mars
Plus le temps de suivre ma
vie au jour le jour. Me voilà contraint de plus en plus au flash-back.
Dimanche, déjeuner chez les
parents de Kate. Pas très reluisant, le
résultat : énorme déception de ma chérie qui croyait à la grande
réconciliation. Je ne me sens aucune affinité avec ces gens. Piètre père qui
tremblote à chaque gueulante, tout en masquant ses propres misères. Mère
antimaternelle, d'un égoïsme revanchard par rapport à sa fille. Pas gâtée la
belle ! Voyons ce que l'avenir nous réserve.
La seru doit
remuer ses fondements et grandir. Le chiffre d'affaires stagne depuis quelques
mois (autour de 750 000 F) et ceci est dû, notamment, au grand vide
qu'est le service commercial.
Mercredi 11 mars
Les journées défilent à une
allure insensée. Le parfum des examens, le torrent professionnel et les mignons
de Kate me monopolisent. Peu de répit
pour les relater ici. Je profite du train corail qui me ramène à Paris pour faire le point.
Vendredi dernier, Kate prend un repas avec Heïm. Occasion pour elle de confier ses problèmes et d'exprimer ses
interrogations ; pour Heïm de mieux connaître mon amour. Entrevue très
froide, pratiquement tout du long, avec un début de confession vers la fin. En
synthèse : effort à faire de ma part pour ne pas lui imposer les choses,
mais lui démontrer par l'expérience qu'elles sont bonnes ; pour Kate, réduire
son quant-à-soi, s'affranchir progressivement de ses parents et discerner un
peu mieux le bien du mal.
Week-end dans la maison de Julie : comme deux tourtereaux
enchantés. Petite promenade entre chien et loup dans le parc et ses
environs : douceur de vivre sans pareille. Kate, curieuse de tout, me pose mille questions. Nous nous embrassons de-ci
de-là, emportés par le charme du moment. Deux jours centrés sur la communion de
deux êtres qui espèrent construire leur vie ensemble. Laissons faire le temps
pour voir... Samedi, nous fêterons un an d'amour.
La sebm est
sur le pied de guerre. Jusqu'alors imprimerie, la structure va prendre son rang
éditorial. Nous devons avoir sorti le catalogue à la mi-avril au plus tard.
Jeudi 12 mars
Le centre Saint-Hippolyte m'a montré son gros ventre plein
d'étudiants. Venu à 16h30 avec quelques autres pour rattraper un T.D. de droit
fiscal des affaires, nous ne parvenons pas à dénicher une salle libre. Le devosien Beynard est navré. Je profite de l'instant pour lui
demander de quelle manière on rédige un procès-verbal de liquidation à
l'amiable pour une association. L'info gobée, je file me descendre un petit
chocolat chaud au café le plus proche. Confortable, je griffonne ces quelques lignes.
La grande parade politique
accueille toujours les mêmes pointures. La mixture des régionales mijote pour
les services des 22 et 29 mars. La motivation actuelle est de voir le porc puant de Le Pen se balancer au bout d'une corde.
Tapie, homme d’affaires au menton
enrichi, avait poussé l’anathème jusqu'à traiter les sympathisants de l'extrême
droite de « salauds ». Il vient d’ailleurs d’être condamné au
versement de quelques francs symboliques. Tous remontés contre le parti populiste
du démon borgne, ils craignent de le voir s'emparer de la direction de quelques
régions, ce qui serait le signe néfaste d'une ascension, avec, en ligne de mire,
les présidentielles de 95, si le vieux Fanfan ne meurt ou ne démissionne pas avant.
L'époque est au léchage des
courants écologiques. La publicité, elle aussi, se charge un maximum de
verdure, prenant sans hésiter la défense des gentilles froumies. Nos deux figures de proue des mouvements écolos n'ont pas
plus d'allure léonine que moi d'œil de lynx.
Brice Lalonde, poilu du crâne comme un lavabo, revendique son indépendance au sein
du gouvernement Cresson, assaisonnant son propos
d'un « si l'on n'est pas content de moi, on n'a qu'à me virer avant les
élections ». Edith est venue calmer le jeu à TF1 pour que le leader de Génération écologie ne s'élève pas au rang de premier martyr vert.
L'Antoine Waechter, frère de sève ennemi, dont la moumoute vient couvrir un chouïa l'occiput,
ne brille guère dans son discours. Mettez Le Pen et Waechter face à face, et vous aurez
l'illustration des extrêmes dans l'art élocutoire.
Les préoccupations pour une
planète saine dans ses entournures, comme dans ses hauteurs, sont légitimes. On
peut s'inquiéter d’une multitude de dégradations galopantes. La réaction doit
être, avant tout, individuelle. Que ces deux tristes lurons révolutionnent les
modes de vie, cela me semble plus que douteux. Par ailleurs, aucun écologiste
n'empêchera les catastrophes naturelles de sévir : imaginons que nous
jetions nos aérosols et qu’un mégamétéore
vienne culbuter notre bonne vieille terre. Mais bon... voyons l'évolution.
Mardi 24 mars
Ceci dit, comme me le
suggère à juste titre Alice, ce n'est pas parce qu'un météore peut faire exploser notre terre
qu'on doit faire son caca partout.
Mercredi 1er avril
Non, non ce n'est pas un
poisson, je me pointe bien pour écrire. Je me dois de faire le tri des choses
marquantes.
Comme prévu, les socialistes
ont pris une pâtée retentissante, tant aux régionales qu'aux cantonales. Edith
Cresson ne va pas faire long feu à la tête du
gouvernement qui lui-même risque de prendre un coup de remaniement dans
l'ossature. En attendant la fin de Fanfan...
Du 26 au 29 mars :
Salon de l'Etudiant. La seru et
Edicom ont leur stand (C-26, partie
Presse-édition-communication à la grande halle de la Villette). Objectif pour la seru :
recruter des conseillers littéraires, des technico-commerciaux et des
bilingues. Je suis présent les quatre jours entouré tour à tour de Michel
Leborgne, Christophe Rentrop, Alice, Karl et Déoles. Pour Edicom, Sally et Cotillon se partagent le gâteau. Kate vient nous rendre visite avec
une copine.
La méthode de travail est
simple : une ou deux personnes sur le stand, les autres en vadrouille pour
prendre contact tous azimuts avec les écoles de commerce, les universités, les bts divers, les chambres de commerce
étrangères, les ministères, etc. La foule vous prend à la gorge, mais il faut
poursuivre jusqu'au bout. Le soir, les oreilles sifflent et les jambes
flageolent.
Nous ferons le point de tous
les contacts pris lundi prochain : de là doivent découler des initiatives
pour les relancer. Rebelote l'année prochaine avec, en plus, le Salon du livre.
Arheux n'est pas venu aujourd'hui. Son
service a accumulé plusieurs fautes graves. Sa volonté de partir, alors qu'il y
a un mois il avait fait promesse de fidélité, ne tient pas.
Hier, Heïm le rencontre et découvre un
homme dégoûté de sa personne, honteux et se défendant de tout. Son penchant,
ces derniers temps, était de nous angoisser, Alice et moi, sur les échéances. Son
rôle consiste en exactement le contraire : trouver les moyens pour que
nous soyons à l'aise et que plus un problème de trésorerie ne vienne jeter de
l'ombre. Rien n'est facile certes, mais la situation de la seru est
saine : de 764 000F de chiffre d’affaires en février (nous avions
commencé à 550 000F en septembre 1991) nous grimpons à plus de
900 000F en mars, alors pas de faux procès Arheux ! Un petit effort de Leborgne et Cotillon et nous l'atteignons les doigts
dans le nez notre million mensuel.
Heïm a en projet de constituer un
groupement d'intérêt économique qui nous rendrait plus puissant face à
l'extérieur. Le nom est déjà trouvé : Emporium
Ornicar (l'emporium est un comptoir de vente en pays
ennemi). Ce gie pourrait
rassembler la seru, la sebm, Edicom, Cormytel, l'acfm et mvvme. Je dois m'atteler à décortiquer tous les
points juridiques de cette idée. L'objectif est que toutes ces structures
confondues réalisent un chiffre d’affaires de dix millions de francs par mois.
Atla ! atla !
Ma Kate chérie est toujours auprès de
moi. Il faut que patiemment nous comprenions nos défauts réciproques et que
chacun s'améliore de son côté. Si la passion n'est pas constante, je crois à un
lien très fort. La difficulté est de faire comprendre à Kate le bien-fondé de mes
choix. Le temps et l'expérience sont là pour me faciliter la tâche.
Kate, coquette comme pas une, va consulter lundi sa dermatologue pour
éliminer tout risque de voir apparaître sur sa peau claire quelques malheureux
points noirs. Mardi matin, elle se réveille le visage gonflé et rouge :
réaction allergique à la crème. Panique et angoisse, le soir, l'état empirant.
Au téléphone, je lui suggère d'appeler un médecin. Elle ne le verra que le
lendemain matin. Le diagnostic est confirmé.
Jeudi 2 avril
Fanfan n'a pas perdu de temps. Avec une vivacité de jeune loup politique, il
vient de mettre à bas ce matin le gouvernement Cresson et de composer avant minuit
celui de Bérégovoy, l’homme aux chaussettes mitées. Le Béré est un fidèle de Fanfan. Présent dès la fondation du ps en 71,
il est de ces dinosaures du parti qui rassurent le peuple de gauche avant la
chute mitterrandienne. Le pas très urbain Tapie est promu ministre de la Ville.
Les incontournables Lang et Dumas poursuivent leurs œuvres dans la
haute fonction publique. Il ne reste à ce beau monde qu'une année, avant que la
sanction des législatives ne tombe. Pour ceux qui croient au dieu Tonton, un
retournement peut se produire. « On peut rêver », nous disait Fernand
Raynaud.
Vendredi 3 avril
Arheux s'est défilé. Son service avait
accumulé plusieurs erreurs, il avait laissé traîner plusieurs choses urgentes à
faire (notamment les tarifs pour la sebm) et il ne trouvait rien de plus accommodant
que de nous angoisser à tout va, plutôt que de chercher des solutions et de se
battre pour que tout aille mieux. Côté banque, il ne nous a pas décroché un
découvert, alors que Alice est sur le point d'en obtenir un pour sa
société qui a une situation autrement moins saine que celle de la seru. Lachtouille et incompétent pour résumer.
Lundi 6 avril
Minuit approche. Je viens
tout juste d'abandonner Kate à ses songes. Elle rentrait d'un
partiel en droit commercial. Son jugement est net : échec. Ma pauvre Kate
laisse trop facilement se détériorer sa vie et ses facultés par un psychisme
démoralisateur. Nouvelle échéance dans quinze jours : je lui demande de se
fixer un planning monacal pour mener à bien ses révisions. Le comble de ses manquements,
c'est qu'elle en connaît les causes, mais ne cherche en rien à s'améliorer. Je
lui demande de mesurer le poids de chaque décision : le laisser-aller
dépressif pour subir son malheur de demain, ou le labeur d'aujourd'hui pour
s'assurer la réussite.
Je ne souhaite pas que notre
union vive d'éternels recommencements, mais progresse constamment. La confiance
absolue et réciproque s'impose.
La seru bouillonne. Mille choses sont en plan. Demain
arrive l'assembleuse Spacesaver et son module agrafage/pliage Kasfold.
Jeudi 9 avril
Hier, de retour vers Paris, je mets à profit ma halte à Amiens. Gros sac à la consigne, je déambule dans le centre commercial près de
la gare. Arrêt chez Martelle, sorte de grande librairie-bazar. Arrêt sur les livres du moment.
Entre la biographie de la fracassante Madonna et le témoignage scandalous de la frisottée Toya Jackson, je ne déniche rien qui me captive. Le père Vergès nous explique en gros caractère
que la justice est un jeu ; Edouard Balladur philosophe sur les modes et les
convictions ; le spécialiste ès communication Thierry Saussez établit les apparentements entre
Tapie et Le Pen, chacun populiste selon son registre. Je passe sur les mille et un
romans pour mouillage en chambre. On se sent bien ratatiné de la plume face à
toute cette littérature plus ou moins encombrante. L'écriture devrait être
réservée à l'essentiel (j'ai beau jeu !), à l'intelligence du propos, et
non aux agitations neuronales. « L'activité occupationnelle », comme
dit Heïm, devrait se situer dans le collage des timbres et non dans le grattage
de papier.
Je fuis ces étalages, fonce
vers le coin bazar et tombe nez à nez avec un gros pinpin en peluche, grosses oreilles sur les yeux et papattes roses.
Ça, c'est pour ma Kate. Petit cadeau du soir,
l'aimée fond devant ce lapinou tout
doux.
Vendredi 10 avril
19h40. A l'instant, en route
vers le château. Une heure avant, j'étais plongé au fond de Kate, propulsé vers des cimes célestes. Le système universel tressaute dans
ma poitrine avant d'exploser sans demander son reste. Kate, sauvageonne en
soubresauts, aspire son bonheur sans pouvoir contrôler la montée en puissance.
Bref : une belle partie de jambes en l'air.
Me voilà mal à l'aise dans
un wagon sncf bourré, à l’air nauséabond ; combien je
regrette la sueur fleurie de mon aimée.
Ce week-end, salon du livre à Péronne. Je dois m'y rendre avec Alice. Occasion de montrer à la région l’agrandissement de notre collection.
Vu Jean-Claude Bourret sur la Cinq agonisante. Je me contrefous que
cette chaîne disparaisse, mais je salue la fidélité et la détermination de ce
journaliste chevronné. Battant dès le début, il est à l'origine de l'association
de défense de la Cinq qui compte à ce jour plus d'un million deux cent mille
personnes. Dimanche prochain, à minuit, le trou noir aura raison du trou financier.
Le personnel a fixé sa veillée funèbre dès 20h50.
Cette chaîne, comme la
sympathique Marie-Laure Augry qu'elle abrite encore pour
quelques jours, cache ses postiches. Les cotillons de Goude, grand prêtre du relookage
de la Cinq, n'ont pu faire oublier la gestion désastreuse de l'entreprise. Le
pouvoir socialo n'ayant eu aucun geste bienveillant à son endroit, la loi du
marché a joué à plein.
Le soleil est gros et orangé
à l'horizon. Après les zones pestilentielles, nous voilà traversant des
espaces sains. Quelques bosquets de-ci de-là, et de grandes étendues vertes,
blé de demain.
Fanfan mité va bientôt se présenter
pour disserter sur le mode choisi en vue de modifier la Constitution. Les accords de Maastricht viennent déranger la loi fondamentale
du feu Général, ce qui doit ravir notre Président. Désertant les affaires
intérieures, il prend goût à la construction européenne : plus nébuleuse
pour ce qui ne touche pas à l’agriculture, plus confortable pour lui.
Dimanche 27 avril
0h07. Prince, Kravitz and Seal éclatent mes tympans, et je me
résous en cet horaire de début du monde à faire glisser mon Sheaffer sur ce Clairefontaine quadrillé.
Vacances de Pâques pour les parigots : je
profite que la Sorbonne a clos ses lourdes portes pour
passer ma semaine en Picardie. Dès lundi, je fonce à la seru pour
réactiver mes dossiers.
Ce jour, passage à la Fnac du forum des halles. Pris au
ventre d'une envie de bouquins, je vais fouiner dans les étalages. Pour faire
contrepoids aux ouvrages de droit, je m'achète L'état des sciences et des techniques sous la direction de Nicolas Witkowski, et Des ponts vers l'infini -
Des mathématiques à figure humaine de Michael Guillen. Je me trouverai bien une vingt-cinquième heure dans la journée pour
les parcourir.
Sur le quai du métro, je
vois arriver un vieux modèle des années 30, rouge et beau comme un camion. La ratp, qui va bientôt remplacer ses vieilles
rames, nous propose de monter à bord de ses reliques. Pittoresque à souhait.
Mardi 28 avril
Heïm reçoit au château Gazel et Poulet, deux compères des ptt, pour mettre les choses au
clair quant aux problèmes que nous avons connus avec les postcontacts et pour révéler les crapuleries du ras-de-sol Bousier, parangon du Petit Taré Teigneux.
L'Europe qui se prépare nous réserve de
bien mauvaises surprises. L'uniformisation technocratique, le Bien et le Mal
imposés sans subtilité et sans prise en compte des singularités de chaque
pays : les anti risquent de se
chauffer à blanc. Dernière aberration : l'interdiction prochaine de faire
couper les oreilles de ses chiens. Imaginez la gueule de nos bergers allemands
et de nos bas-rouges. La légitimité de ces apparatchiks est à mettre en suppositoire
sans hésiter.
Jeudi 30 avril
Demain matin, je pars avec Heïm, Vanessa, et Hubert visiter le château d'Au que nous allons acheter pour
huit cent mille francs. Pour Hubert et moi, premier contact avec cette
propriété « qui nous appelle » comme dit Heïm.
L'effet est paraît-il très
étrange : repoussante au premier abord, on est rapidement ensorcelé par
son charme et ses accents blessés. Comme un petit, je frissonne d'impatience
d'aller fureter dans ses terres et ses recoins.
Je m'occupe actuellement des
modalités de constitution d'une sci,
permettant l'achat à long terme, qui sera gérée par Hermione et Sally. Si les travaux sont réalisés comme Heïm le souhaite, dans les années à
venir, le château et son domaine seront de vrais joyaux.
Le chiffre d’affaires de la seru pour
le mois évolue correctement : nous allons dépasser le million de francs.
Il nous suffirait d'un putain de découvert pour que tout baigne.
Point noir du mois :
les rentrées libraires. Ces partenaires commerciaux font un peu partout faillite
et ne payent plus. Il va falloir être plus systématique, menaçant dans les
relances et adopter de plus en plus la formule du proforma.
Ce jour, une grosse
frisottée, puante des aisselles, employée comme conductrice-reprographes sur la sebm, vient chercher des crosses à Hermione : elle prétend que les employés ont droit à un pont par an,
qu'ils peuvent choisir, et qu'elle a bien la ferme intention de ne pas être là
en fin de semaine prochaine.
Informé, j’effectue quelques
recherches et lui fais renifler le néant légal : les ponts ne sont pas réglementés,
et en cas d'absence de dispositions dans la convention collective, la décision
appartient à l'employeur. La grosse est partie d'un rire jaune désabusé.
Le nain gras Bouvard et le petit bout Dechavanne conduisent ce soir une émission
sur le petit écran. Le principe : inviter quelques vieilles personnalités
de la tv pour visionner avec eux
leurs premiers pas dans la petite boîte. Les hôtes du jour : Pivot, Bellemarre, Martin et surtout la bruyante Evelyne
Leclercq. Rarement une animatrice se
sera montrée sous un jour aussi défavorable. Elle aurait pu remplacer une bonne
poignée de caissières d’hypermarchés du cher Edouard. Il reste à déterminer si
l’âge seul est en cause ou si cette vulgarité obéit à des lois plus immanentes.
Hormis cette fausse note,
l’émission tient toutes ses promesses et les animateurs sélectionnent parfois
de croustillants morceaux : Pivot, le gentil garçon, recevant Bukowski face à un Cavanna agacé de trouver plus
incontrôlable que lui. Le pondeur des Mémoires
d’un vieux dégueulasse, l'air crapule, s'enfile
trois bouteilles avant d'être sorti, titubant, du plateau littéraire.
Jean-Edern Hallier piégé par Le Petit Rapporteur qui lui
envoie deux faux journalistes, Daniel Prévost et Pierre Desproges : les deux compères s'engueulent et finissent par se retourner des torgnoles
pour enfin se rouler par terre. Hallier leur lance, dans un sursaut
d’à-propos : « Relevez-vous messieurs, un peu de dignité ».
Après douze heures de train,
Kate est arrivée ce soir à Lavelanet chez ses grands-parents. C’est
le jour de son anniversaire : je lui avais fait envoyer quelques roses
rouges.
Vendredi 1er mai
Petit changement de
programme : visite du château d'Au cet après-midi avec Heïm, Vanessa, Alice, Hubert, et Karl.
Le petit village aime son
château. Sans grille, il n'a fait l'objet d'aucun vandalisme. Bâtisse du XVIIIe siècle, il domine son peuple en toute
bienveillance. Nous le découvrons derrière un immense marronnier et quelques
autres gros arbres. Dans son cocon vert, il charme de suite. Heïm nous le fait découvrir avec tous
les travaux qui le transfigureront dans les années qui viennent pour en faire
le nid rêvé : ajout d'une aile sur le côté gauche, d'une tour à l'arrière,
aménagement d'un deuxième étage confortable à la place actuelle du grenier, et
multiples changements de toutes sortes. De chaque côté du château, deux allées
bordées d'arbres lui donnent toute sa majesté et insufflent une sérénité
esthétique au lieu. A l'arrière, parc et bois en friche. Château final ou pas,
j'y suis déjà passionnément attaché.
Je retourne ce soir à Pantin pour être de
bon matin à Eurodisney, une demie heure avant
l'ouverture. Journée de divertissements pour Déoles, Sally, Alice, Hermione, Hubert, Karl et moi. En espérant que le ciel ne nous
dégringole pas sur la tronche, par Toutatis, et que le monde se fasse discret.
Lundi 4 mai
Samedi, sans Sally, nous nous sommes aventurés dans l'univers d'Eurodisney. Le mégaparc de loisir, abondamment visité, a été l'objet de nos
investigations de 9h à 23h30. Parmi les nombreuses attractions que nous sommes
parvenus à faire, quelques belles réussites : un voyage dans l'espace avec
l'impression d'être dans un vaisseau spatial engagé dans la guerre des
étoiles ; Michaël Jackson en relief dans un film et
incarnant le cap'tain’ Truc-Machin ; une maison hantée dans laquelle se succèdent des phénomènes
splendides d'atrocités, et notamment l'utilisation fantastique des hologrammes
pour donner forme aux revenants ; des montagnes russes aux élans américains,
etc. Point faible : quasi impossibilité de se ravitailler en nourriture
consistante, entre les petites maisons abritant des serveurs d'une lenteur escargotesque et des ambulants limités
aux glaces et pop corn, nous n'avons pu correctement nous sustenter.
Pauvre de moi : non
content de me trimballer avec un rhume tendance bronchite, je me suis récolté
un méchant coup de soleil sur le bout du pif et le reste de la face. Le soir,
au dodo, mon état apparaît piteux pour quelqu'un sortant d'un monde dit merveilleux.
Voilà où l'on devrait mener les petits enfants quand ils ne sont pas sages.
L'impérialisme américain,
prétendument détenteur du bonheur de l'homme, en a pris un grand coup dans
l'aile depuis quelques jours. Rodney King, homme de couleur s’il en est, se trouve en période de mise à
l'épreuve suite à une affaire de vol à main armée. Le bougre ne trouve rien de
plus sérieux que de commettre un excès de vitesse. Quatre policiers blancs, en
mal de défoulement, profitent de l'occasion pour s'accorder du bon temps :
en clair, du tabassage de noir désobéissant. Film amateur de la scène :
les policiers se retrouvent comme accusés au tribunal devant un jury blanc, et
sont acquittés. Ni une ni deux, Los Angeles s'embrase depuis ses quartiers
pauvres : l'émeute prend des proportions cataclysmiques. Des morts par
dizaines (tuerie par balles, lynchages, incendies) des blessés par milliers,
des destructions pour trois milliards de francs (cinq mille bâtiments en
cendre) : les p'tits gars ont fait du bon boulot. Bush envoie marines et
militaires : le calme revient progressivement. Avant de faire accroire que
son pays est le nombril du Nouvel Ordre international, le président américain devrait s’intéresser aux carences éthiques qui
minent son pays.
Mardi 5 mai
La connerie a ce soir été
sanctionnée par la camarde.
Un match de football, la
finale de la coupe de France entre l'équipe de Bastia et l'Olympique de Marseille, avec des supporters surchauffés par la bataille annoncée autour du
ballon rond, et un stade de Furiani dont on a voulu doubler la
contenance en crétins. Résultat : juste avant le coup d'envoi,
effondrement des tribunes ; plus d'une dizaine de morts et plusieurs
centaines de blessés. Pour être honnête, le drame en lui-même me laisse
indifférent, morts d'ici ou d'ailleurs, ce soir ou dans vingt ans... En
revanche, ce qui me navre, c'est l'aboutissement funeste de la Bêtise cathédralesque de ce genre de
manifestation préparée à la va-vite. Etant donné l'émotion populaire que cet
événement suscitera, les politiques ont pris les devants : message
compatissant du vieux Fanfan, minute de silence chez les députés... L'arsenal dramaturgique est
sorti.
Nous attendions à la seru pour
aujourd'hui un olibrius de la direction du travail. Rien à l'horizon.
Mercredi 6 mai
Comme prévu le tintouin a
été d'enfer. Gros titres dans la presse, éditions spéciales des médias, déplacement
du président, constitution d'une commission d'enquête... Ce que j'ai parfois
entendu de personnalités comme Tapie est ahurissant : « Et
pourtant, on leur avait bien dit de ne pas taper des pieds ! ». Alors
évidemment, c'est bien fait pour leur gueule. Absurde.
Marlène Dietrich, l'ange bleu aux grands panards (vision que j'ai gardée d'elle dans un
dessin animé de Tex Avery) a rejoint les cieux. Je
trouve extraordinaire qu'une femme comme elle ait assumé sa vieillesse (90 ans
avant de rendre l'âme) sans s'étaler sur la place publique.
Vendredi 8 mai
Dans le train, de retour
vers Paris. Un intrus, puant de la
clope, me fait chier les tympans à déblatérer des conneries.
Aujourd'hui, journée
physique à retaper le parc du château. Chacun à sa tâche : tonte, ratissage,
désherbage, peinture. Pour ma part, toute la journée sous haute pression :
début par le nettoyage du tour du château au karsher, fin au pistolet à peinture.
Jeudi 21 mai
Les examens qui approchent
ne me laissent décidément pas de temps pour narrer mes journées. Tant d'événements
sont arrivés depuis : mon retour avec Kate au pays d'Eurodisney, mes premiers frissons dans la piscine du château, le financement
pratiquement acquis du château et des travaux par deux banques, la confirmation
du projet de constitution du Groupe
Ornicar, gie dont je serai l'un des vice-présidents...
Dans quelques heures, mes
derniers td (travaux dirigés).
L’année universitaire est passée comme un éphémère. Les relations avec mes collègues de maîtrise n'auront rien
donné. Quelques contacts à durée limitée, tout au plus. Entre désir et
répulsion, je n'aurai jamais un sens très développé de la relation humaine.
Toujours tourné plus volontiers vers une solitude contemplative.
L'actualité mondiale nous
fournit ses excréments habituels.
Certaines guerres
m'inspirent plus que d'autres. La serbo-croate ne m'arrache pas un battement de
cil. D'abord je n'y comprends strictement rien. Ensuite je n'ai nulle envie de
m'informer sur les étripages qui y ont lieu.
Les olibrius de la politique
française sont tous focalisés sur la ratification du Traité sur l'Union
européenne signé à Maastricht. Par une décision du 9 avril 1992, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à notre Loi
fondamentale certaines dispositions du traité. L'ecu sera à
terme notre monnaie à tous. L'Europe qui se dessine donne à des
instances technocratiques le pouvoir d'uniformiser dans un nombre croissant de
domaines.
Ce soir Le Pen est l'invité du Droit de savoir. Face à lui, quatre journalistes brûlants d’en découdre :
Poivre d'Arvor, Villeneuve, Sannier et Carreyrou. Ils ont concocté des documents pernicieux pour atteindre de biais le
président du fn. Ainsi le mystère du bandeau :
à l'œil droit puis à l'œil gauche, ou le contraire. Le Pen doit raconter en
long et en large les mésaventures qui lui causèrent le désorbitage d'un œil,
puis une cataracte de l'autre quelques années plus tard.
Samedi 23 mai
Cet après-midi, examen de
droit civil (contrats spéciaux, cours de M. Mayer). Pendant trois heures, dans la chaleur moite de l'Amphi IV du
Panthéon, il faut gratter sur un cas pratique bichonné par notre professeur.
Entre autres domaines abordés : la promesse unilatérale ou synallagmatique
de vente, la rescision pour lésion, la non-conformité, le vice caché... Suant
de tous mes pores la première demi-heure, je me dépatouille peu à peu de ces
marais juridiques.
Venu à l'examen avec Hubert, qui passe la même matière avec un commentaire d'arrêt, nous rencontrons
Anouck, petit bout de bonne femme toute en finesse, très gentille, que je
connais depuis deux ans, avec qui nous faisons un brin de causette. Je profite
de ce rassemblement estudiantin pour retrouver des figures perdues de vue
depuis plusieurs mois. Notamment une certaine Aline L. qui a partagé la même classe que
moi en première et en terminale. Très mignonne, sorte de poupée pulpeuse avec
les formes bien placées, elle m'a toujours fasciné. Ce genre de créature qui
épuise sa fraîcheur dans les soirées, cumule (peut-être) les petits copains et
momifie son désenchantement par une désinvolture affichée. Pêcheuse d'instants
plaisants, tout en menant brillamment ses études, elle semble jouer de sa
plastique pour multiplier les relations. Bonjour-au
revoir aura constitué l’essentiel de nos conversations. Je me souviens,
l'année de la terminale, alors que je faisais un bout de chemin avec elle, lui
avoir demandé ce qu'elle me répondrait si je lui proposais d'être ma petite
amie. Visiblement gênée, elle me déclara ne pas savoir, d'une voix hésitante.
Fin comme un troupeau de pachydermes, je partis d'un grand éclat de rire. Le
charme (hypothétique de son côté) disparut aussitôt.
Je réconforte de mon mieux
ma Kate en ce moment. Les échéances
l'angoissent au plus haut point. Vendredi, petit saut chez elle pour travailler
quelques heures en sa compagnie. Rien à faire, cette demoiselle m'émeut à
chaque fois qu'elle se laisse aller à son naturel de femme. Un véritable
bonheur que de travailler dans un cocon de tendresse.
Je retourne à Paris pour retrouver Michel Leborgne au Terminus, brasserie face à la Gare du Nord : nous rencontrons à 17h30 deux élèves de l'istec, en deuxième année, qui
seraient susceptibles de sponsoriser et de mettre en chantier quelques ouvrages
de juin à août. Premiers contacts agréables avec deux jeunes dynamisés.
Espérons que l'expérience portera ses fruits et que nous éviterons le fiasco du
premier essai de constitution d'un service commercial. Michel Leborgne toujours
aussi convivial - quoiqu’un peu sur les nerfs : il tente d'arrêter de
tirer... sur les cigarettes - et ô combien sonore dans ses rires.
Je reviens un moment sur
l'émission des quatre pseudo mousquetaires de l’information. Leur manière de
procéder me dérange au plus haut point. Plutôt que de coller un poing dans la
gueule de celui qu’ils vomissent, ils le gratinent de sourires jaunes et le
démolissent, tentent de l’égratigner plus exactement, sournoisement. Le Pen aurait eu des hémorroïdes, ces
pontes télévisuels auraient été là pour le dénoncer et traiter cela comme un
crime fondemental.
Pour amadouer la bête, le
quatuor déviant fait filmer chez lui des scènes de famille très douces, pleines
de gentillesse et d'intelligence. Dans le même temps, un document en forme de
réquisitoire contre ses agissements prétendus est monté. Le traquenard est
prêt. Le Pen n'est certes pas un enfant de
chœur ni un saint homme, mais l’exemple de déontologie donné par ces hommes
d’expérience tient davantage de la malhonnêteté intellectuelle.
Un tel système
d'information, qui semble contrôlé par le lobby Potes and Cie, résistera-t-il longtemps ? Lorsqu'un
de ces journalistes subira la violence aveugle d’une population excédée, les médias
retrouveront peut-être un visage plus sain qui donne l'envie de vivre.
22h50. Bernard Tapie a démissionné du gouvernement
Bérégovoy où il avait revêtu la toge de
Ministre de la Ville. En place depuis le 2 avril, il n'a pu faire oublier son
passé d'escroc d'affaires. En l’occurrence, l'affaire Toshiba (dont le rachat lui aurait
rapporté 13 millions de francs) risque de lui valoir une inculpation mercredi
prochain. Le déjà feu ministre n'a pu tromper très longtemps sur la teneur de
sa virginité existentielle. Bonne nuit le Tapie !
Demain, journée au Salon des
Arts Graphiques qui se tient une fois tous les
quatre ans. J’y vais avec Alice, Karl et Hubert.
Mardi 26 mai
Lundi matin, premier conseil
d'administration du gie Ornicar, en cours de constitution,
avec Heïm comme président, Sally et moi comme vice-présidents, Alice, Vanessa et Karl comme administrateurs, et Carole de Plonec comme secrétaire générale de
séance. Grandes lignes du gie
définies, lecture des statuts.
Aujourd'hui, à Pantin, je dois me plonger dans la comptabilité analytique
et financière avant l'examen de demain matin. Matière de châtrés qui me fout
les boules, grosses au moins comme celles que trimballe le martyr Tapie en voie de canonisation.
Jeudi 25 juin
Deux heures du matin. Je
choisis cet instant de songes pour le commun des mortels : ma renaissance
est foudroyante. Depuis quelques mois, je ne ressemblais à plus rien
d'équilibré. Ombre fuyante, le cul mal calé : en perspective, l'irrémédiable
déchéance existentielle.
Fatigue...
Mercredi 1er juillet
Apparition de plus en plus
furtive ma foi. Et pourtant les événements, tant personnels, professionnels que
nationaux ou mondiaux, défilent à toute vitesse. Les vacances d'été, si je
réussis une des deux maîtrises à la session de juin, me laisseront peut-être un
peu plus de temps pour faire glisser ma plume.
Les mauvaises ondes qui
m'ont animé depuis janvier, et qui tendent à se dissiper, sont à l'origine
d'une grosse bêtise de chef d'entreprise qui pourrait être dramatique tant pour
la seru que
pour la sebm. Une traite de la seru à la sebm
n'a pas été honorée à l'échéance. Le compte de la seru était insuffisamment provisionné en début de journée
pour environ 60 000 F alors qu'il le redevenait en fin de journée. Sur ce
compte, il passe entre 800 000 F et 1 000 000 F par
mois depuis bientôt un an, et ces abrutis du Crédit Agricole ont décelé un chouïa
d'insuffisance bancaire pour quelques heures. Démentiel.
Voilà ce qu'il faut débrouiller
avec le banquier de la sebm qui
sera désormais méfiant, même si les conditions accordées à cette société étaient
à la limite du possible pour sa taille.
L'actualité n'est pas plus
brillante, hormis les soulèvements spontanés en France contre la politique agricole
commune (pac)
et le permis à points.
La Yougoslavie, la feu Yougoslavie plus exactement, exhibe ses morts et ses décombres.
Minuit passé, les paupières
se ferment malgré moi.
Lundi 6 juillet
En attendant les beaux
jours, on peut toujours aller voir fleurir sur l'asphalte les poids lourds. Prendre
son autoroute du sud, les parasols en éventail, et le cul huilé à la force 7.
Mardi 7 juillet
Je ne fais pas dans la
grande tranche de vie ces derniers temps. Consentant à gratter de la plume
alors que l'épuisement me gagne, je ne résiste pas longtemps au polochon de
Morphée.
Le pouvoir socialiste,
dressé comme un sale coq mal emmanché, a depuis belle lurette paumé son permis
de gouverner, ou tout au moins sa capacité. Les barrages des routiers sympas
sont dégagés à grandes enfoncées de chars. Cet après-midi, une quarantaine
d'hélicoptères ont rasé les terres de Chaulnes, probablement en direction de l'autoroute du nord. Sarajevo inspire sans doute les instances
technocratiques.
L'économie française est
léthargique et le chômage pointe son ombre dans de grandes entreprises. Si
nous n'étions pas livrés en papier, la sebm pourrait en venir là.
Qu’y a-t-il d’autre de
pourri dans le royaume socialiste ? Le procès du sang contaminé du cnts démontre une fois de plus qu’aucune
institution, quelle que soit son assise et sa respectabilité, ne peut prétendre
à l'infaillibilité. Les Garretta, Allain et Roux se sont bien torchés avec leur
serment d'Hippocrate. Ils s'en sortiront sans
trop de dommages, avec une ardoise terrible et non chiffrable. Je leur
souhaite un sommeil inconfortable par le tourment.
Jeudi 9 juillet
19h15. Je suis à Amiens, dans cette gare atrocement grisâtre de l'après-guerre, en partance
pour Paris.
Les journées m'invitent à de
terribles parcours pour parvenir à réaliser tout ce que le matin m'a insufflé.
Ce jour consacré pour la majeure partie à compléter, puis à peaufiner les
pièces à déposer au tribunal de commerce de Paris pour la
constitution des gie Ornicar et Logires. Statuts, assemblée générale ordinaire de chaque personne morale
membre constitutif, acte de nomination du contrôleur des comptes et de la
gestion, extraits de naissance, déclaration de conformité... un fatras juridique
à maîtriser.
Heïm reçoit, depuis quelques temps,
tout ce qui existe en presse underground.
Découverte d'un fourmillement insoupçonné, toutes tendances confondues. Grand réconfort
sur l'état intellectuel de la France.
Quelquefois, des feuilles
ordurières, pour lesquelles il faudrait rectifier la tronche des rédacteurs. La
dernière reçue : le folliculaire du Ku Klux Klan français. Une haine totale,
imbécile et dangereuse ; l'appel systématique au meurtre, à l'extermination
de certaines races. La plus dégueulante représentation d'esprits
pathologiques à enfermer.
Dimanche 19 juillet
Revue de presse underground. Je commence mon périple
dans ce bouillonnement fabuleux.
L'opinion indépendante du Sud-Ouest, dans sa trente neuvième
année, le 29 mai 1992. Ça sent le généraliste à plein : édito sur
« la corruption au sommet » engendrée par le cmc (Cercle des Moralisateurs Corrompus) et rubriques
classiques : économie, actualité, dossier spécial, entretien avec...,
quelques ventes immobilières et annonces légales, la culture avec les livres du
fou Hallier et de Tong Viet alias Robert
Matthieu, les loisirs, etc. En
bref : on se demande ce qu'il fait ici ce journal. Passons.
Le mensuel Université Autonome de la confédération nationale des groupes
autonomes et de l'enseignement public (avril 1992). Bernard de Cugnac signe l'éditorial consacré, je
vous le donne en mille... à l'éducation, mais oui ! Jospin s'en va, Lang arrive et Cugnac s'écrit :
« Renoncer à toute contrainte, c'est nier l'éducation ! ».
Voilà qui vient du fond du cœur. Austère et chiant, ça se renifle quand on est
un petit instituteur gauchiste et revanchard. Non, j'exagère peut-être un petit
peu. En tout cas, je ne l'éplucherai pas avec passion. Info amusante : le
tableau des traitements des enseignants au 1er février 1992. Ça ne
grimpe qu'à 21 791,96 F brut pour les « H Classe Agrégés, pers.
dir. 1 cat. 1 cl. » à l'échelle 6 et se rétame à
7 942,40 F pour un instituteur adjoint qui débute au premier barreau
de l'échelle. Sinon r.a.s.
Les Chroniques d'art sacré de l'automne 89 : opuscule d'une
vingtaine de pages sur papier quasi glacé et avec photos noir et blanc. Gérard
Garouste nous propose un entretien avec Louis Ladey, membre du cnas, ou le
contraire : réflexion sur le travail d'un peintre. Une église moderne,
conçue par Jean Cosse pour la ville de Dongelberg en Belgique, nous est présentée avec, pour seule « restriction d'enthousiasme »,
« les verrières d'en haut » proprement hideuses, répétons-le. Le
langage est châtié comme il faut : « Nous pouvons dire que l'église
de Dongelberg exprime, avec une étonnante clarté, tout l'essentiel de la Foi
ecclésiale ».
Et puis, un grave problème
de notre fin de siècle : la sonorisation des églises. Tant que la messe se
faisait en latin, « il ne s'agissait pas de comprendre les mots ». En revanche, avec une messe en
français, les sourdingues ont « une rupture, mortelle pour la prière
individuelle ». Il est donc nécessaire qu'interviennent des acousticiens.
Le Collectionneur français : le journal des curieux en est à 28 ans d'existence. Tout sur les
collections et ce qui tourne autour. André Escaro en est, eh ! oui, le
directeur général et le général directeur.
Signes de croix, n°27 ressemble aux
journaux d'enfants, mal imprimés et limités atrocement, mais superbement, dans
leurs moyens. Ce journal, avec sa couverture bleue délavée sur papier A4 90
gr., est édité par l'association Notre Dame de la Source à Soisy-sous-Montmorency. En épigraphe ce lancinant appel : « Accueillons la Croix /
Signe d'ignominie / Pour ceux qui sont indifférents au Christ / (...) / Chantons la Croix /
Vénérons la Croix / Elle nous rappelle / Que nous avons été aimés du plus
grand amour ».
Je trouve une petite note à
croquer de l'abbé Roger Grimaud d'Allemans-du-Dropt, Lot-et-Garonne. Il nous apprend que pour
diffuser de la musique religieuse, rien n'est plus adéquat que les auto-reverse. Et puis : « Le
tout est commandé par une minuterie (...). Chaque installation coûte environ
4 000 F. Attention : le visiteur déclenche la minuterie en
appuyant sur une manette et non pas en mettant une pièce. Sinon il y a commerce avec tva, impôts, etc. D'ailleurs je préfère que celui
qui n'est pas croyant s'en aille heureux d'avoir trouvé dans une église un
service gratuit. Tellement d'autres mettent la somme de trois francs indiquée
sur le tronc et souvent cinq francs ou dix francs. L'opération est
providentiellement rentable. » Délicieux.
La lettre de sos Identité, n°6, trimestriel. Cité
juste sous cette appellation : « Allons enfants de la patrie, le jour
de gloire est arrivé ! (Rouget de l'Isle) ». Un édito de Pierre Lombard, et quatre pages publiées par Henry de Lesquen. Du politique avant tout.
National 44 (n°57, juin 92) nous présente les informations
du Front national de Loire-Atlantique. L'édito est consacré au traité sur l'Union européenne avec toute la
hargne de l'anti Maastricht que l'on suppose.
« Prononcez : Masse-trique ! » nous conseille-t-il.
Encore des tonnes à
découvrir. Je marque une pause.
Lundi 20 juillet
Chaleur moite et lourde.
Ce matin, réunion pour la sci du château d'Au. Le temps de réunir encore un peu plus de 200 000 F d'ici le
10 août et les châteaux (celui dit d'Au plus les ruines du château Richard) seront à nous. Détermination par Heïm des travaux les plus urgents à
faire tant pour la bâtisse que pour le parc. Projection dans les décennies à
venir, afin d’entrevoir tout ce qu'il y a à construire pour se rapprocher de
l'Eden. Et puis, si nos entreprises grandissent, il peut n'être que le premier
d'une longue série. Alors atla ! atla !
Mon bureau dans la Maison blanche à Chaulnes (dite aussi la Banque) prend forme : les
premiers meubles y ont été placés. Le style : moderne en bois noir. Le confort,
pour gérer correctement, est essentiel. Une règle fondamentale : ne pas se
laisser envahir par son bazar, lierre étouffant du travail quotidien.
Mardi 21 juillet
Ce matin, vers cinq heures,
orage cataclysmique : une dizaine d'éclairs à la seconde dans ses pointes.
Les bouffées de chaleur auront fait péter le ciel tous azimuts.
Poursuite de l'aménagement
de mon bureau : grande table de bois noir, écritoire, meuble de rangement,
plante, halogène... le tout dans une pièce moquettée du sol au plafond dans les
bleu-gris. Mon travail, dans ce confort, aura une toute autre allure et sera,
je l’espère, beaucoup plus efficace.
Mercredi 22 juillet
Les politiciens
institutionnels vont nous asséner du Maastricht jusqu'en septembre. Les pour
sont actuellement les plus bruyants dans la grosse caisse médiatique qui, ma
foi, a peut-être choisi son camp.
Ce soir Giscard fait son jt de vingt heures sur la
Une, un coin hachement topé. Un
désastre ! nous mâchonne-t-il. Un désastre pour la France, pour l'Europe, et pourquoi pas pour
l'univers intergalactique et les morpions supposés existant du plus nullissime
clodo, si le non l'emportait.
Question éloquence, démonstration brillante du président vge.
Ce grand dessein d'Union
n'emballe pas mézigue. Quand je fulmine contre l'Etat français qui emmerde et
pressure les entrepreneurs, par exemple, je frémis à l'idée de l'uniformisation
décidée par les technos de Strasbourg.
Le potage yougoslave
m'indiffère totalement. Le scénario ne bouscule pas trop mes tripes. Je n'essaye
même pas de retenir les noms barbares des hordes ennemies : aucun Saddam
Hussein ne vient, flamboyant, éclairer le sinistre
tableau. Les militaires onusiens avaient été priés, par un petit chef perdu, de
n'intervenir, avec toute la fermeté d'un bleu, que lorsque les parties ennemies
ne se tireraient plus dessus. Sir Fanfan Mité est venu, poitrine
tombante en avant, tel un condottiere sur son hélico volant (eh oui il y en a
qui nage !) libérer des forces maléfiques et des mauvais courants l'aéroport
de Sarajevo. Rien à faire : ça me
fait toujours bailler.
Côté travail : rien à
dire je suis comblé.
Jeudi 23 juillet
Les lobbies ont encore de
belles décennies devant eux pour miner la France.
Mon travail est
incommensurable et passionnant. Depuis quelques jours je tiens un petit carnet
où j'indique sommairement toutes les tâches à accomplir : la liste
s'allonge inexorablement. Impossible de suivre un programme déterminé,
l'inattendu dont il faut s'occuper surgissant çà et là.
Exemple : cet
après-midi, j'envisage de me consacrer au défrichage de la gestion de la sebm. Patatras : le papetier Maunoury bloque notre commande pour non
paiement de factures. Après étude du dossier, il s'avère que nous avons
raison : indication du mode de règlement (par traite 60 jours fin de mois
à réception de facture) sur chaque confirmation de commande, ce qui nous
reporte fin juillet pour des factures reçues le 4 mai (et datée du 29 avril).
Blocage et rupture du côté de leur comptabilité. J'apprends que le représentant
avec qui j'avais négocié ces conditions est muté (ou mis à pied je ne sais
pas). Me voilà donc tout désigné pour chercher en urgence, pour le lendemain
matin, le papier chromolux, 250 gr., format A3, que Hermione attend. Je contacte ainsi
vainement la quasi totalité des imprimeurs d'Amiens, ainsi que plusieurs papetiers, avant de débrouiller l'affaire.
21h15. En route vers Paris. Demain je voguerai notamment entre le Tribunal de grande instance de
Paris et la chambre de commerce pour
divers documents à déposer ou à retirer.
Je verrai probablement Kate samedi. Elle poursuit un mois de
travail chez les fiscqueux. Horrifiant, mais bon. L'importance est moindre, il
est vrai, même tout au long de ces pages. Je ne vais pas rabâcher mes déceptions,
et puis il y a tellement d'actions passionnantes à mener.
Idem pour mes deux maîtrises
ratées. J'ai voulu en faire trop. Bien fait pour ma gueule. Prends-en de la
graine mon p'tit gars, et essaye d'avoir celle de droit social en septembre.
Ensuite on avisera.
La seru est
une réussite extraordinaire. Je présentais ce matin l'historique de la
collection Monographies des villes et
villages de France à notre chef comptable (successeur d’Arheux, en quelque sorte) et la salive me manquait tant la passion me la
buvait sans discontinuer. Il faut la voir cette œuvre immense, phénoménale, qui
a été accomplie grâce à Heïm et à tous ceux qui l'aiment.
Développements à
venir : locaux parisiens, organisation de Resdif, effectivité des gie
Ornicar et Logires, contacts avec les attachés culturels des ambassades, etc.
Lundi 27 juillet
0h25. Dans mon lit au
château. Je suis rentré par le dernier train, après avoir passé une partie du
week-end avec Kate. Gentillet.
Le parc du château d'Au a été investi sans moi. J'essaierais
de me rattraper.
Ouverture des olympiques de
Barcelone. Le ludique attire de plus en plus d'argent. Spectacle haut en couleurs
très réussi.
Les chiens aboient et j'ai
envie, une envie terrible d'aller en buter un ou deux à coups de hache. Non non
b.b., je me retiendrai.
Mardi 28 juillet
Après une journée à feu tous
azimuts, je reprends du fond de mon lit à une heure avancée, ma revue de presse
« underground ».
Extraordinaire publication
sur papier glacé : Le paysan
biologiste.
Revue interrompue pour cause
de paupières plombées.
************
[Courrier envoyé à une minitellienne avec qui une complicité scripturale s'est établie]
Chaulnes, le 30 juillet 1992
Chère Sandre,
Me voilà vous griffonnant quelques mots tout
droit sortis du fin fond de ma plume acérée.
J'essaie, tant bien que mal, d'être le plus
lisible possible malgré cette écriture de dingue qui agite mon poignet.
Sans m'obstiner à l'anthropocentrisme, je me
résumerai rapidement : les crocs toujours à l'air pour mordre
passionnément tout ce qui bouge, je manque d'un nombre terrible d'heures par
jour pour mener à bien tout ce que je souhaiterais faire. Mais rassurez-vous,
je frapperai mon point final au bas de cette lettre. « Trop occupé à
vivre » dirait un être qui m'est cher.
Quant à votre personne, j'ai l'envie furieuse
de la connaître à fond. Racontez-moi vos plaisirs et vos dégoûts, l'histoire
brève mais sûrement charmante de votre vie, et que sais-je encore.
A très vite, douce Sandre.
Mes câlines pensées vous accompagnent.
************
Dimanche 2 août
En route pour le château d'Au.
Vendredi, une chienne de
journée à courir aux quatre coins puants de Paris pour se colleter à l'administration.
Mon objectif : achever la constitution des deux gie. Mon cartable bourré des pièces nécessaires, je fonce
successivement aux deux centres des impôts, histoire de faire enregistrer les
statuts du Groupe Ornicar et de Logires : leur siège social étant dans des arrondissements différents,
je dois respecter les compétences territoriales. Non seulement c'est moi qui
court - le dernier vendredi du mois les fiscqueux des recettes rabattent leur
volet à midi tapant les moins cinq - non seulement je dois avaler leur
écœurante bêtise, mais en plus je dois payer pour avoir droit à la faible
marque d'un gros tampon sur la première page des statuts. Voilà qui fait bougrement
bouillir.
Croyant être en possession
de tous les éléments pour que la cci
de Paris daigne prendre mes dossiers en
vue de l'immatriculation des deux gie,
je me rends rue de Viarmes la conscience apaisée.
Hé ! non, p'tit
gars ! Pas encore pour cette fois. Les documents originaux que j'avais
apportés la semaine précédente m'ont été renvoyés. Résultat : manque de
pièces donc irrecevabilité. Présentez-vous à la case départ la semaine
prochaine.
************
Château d'O.,
le 10 août 1992
Recoucou chère Sandre,
Lettre plus entretien : je ne peux être
que comblé. J'ai découvert quelqu'un plein de facettes que j'adore par-dessus
tout.
Je vois que tes goûts sont divers et que tu
tiens comme un roc tes positions.
Je reprends tard dans la nuit du 12 au 13
août la rédaction de cette missive.
Très mordante notre conversation de ce soir
sur l'art moderne. Si tu le permets (de toute façon c'est fait puisque tu l'as
dans l'enveloppe, et peut-être même sortie, curieuse que tu es) je te joins la
copie du texte d'une de mes chroniques pamphlétaires consacrée à Van Gogh. Tu as là un petit aperçu humoristique de ce que je pense de
l'approche de l'art aujourd'hui.
Peu importent nos positions, je suis avide de
tout connaître et j'ai une attirance sans borne vers les gens vifs et
pétillants, ce que tu me sembles bien être. Rien que pour cela, je te remercie
de cette conversation un tantinet échauffée.
Je poursuis inexorablement mes œuvres
perverses de grand travailleur. Ce n'est que lorsque la nuit est aussi noire
qu'un Ougandais (pourquoi pas !) que je peux me laisser aller à te dédier
ces lignes.
Sache que j'essaierais de répondre à toutes
les questions que tu souhaiterais me poser.
En attendant, je te souffle mon ardente
sympathie.
************
Samedi 15 août
La seru et la sebm sont
fermées depuis le 7 août au soir jusqu'au 24. Je pars moi dès lundi avec Kate dans la Loire. Quelques jours loin des affaires, à user avec passion jusqu'à la dernière
seconde.
Dès la rentrée, grosse
réorganisation tous azimuts et gros travail de gestion. Je dois aussi songer à
cette putain de maîtrise à repasser.
L'actualité me fait chier.
Sans l'ombre d'un intérêt pour moi. Ça m'agace même d'assister à ces recommencements
infernaux.
************
Gare du Nord, le 22 août 1992
Ma chère et déjà adorée Sandre,
Bien reçu ta lettre au charme irrépressible
sur, en effet, très beau papier ! Je me répète, le gâtisme doit être
pratiqué jeune pour mieux être maîtrisé, mais la caresse de ton écriture, aux
courbes alléchantes, m'est décidément très, voire terriblement agréable. Le
style aussi, ce vagabondage ô combien féminin entre les questions et les
remarques plus gentilles à mon égard. Tu peux remarquer la tendance séductrice
de mes prolégomènes.
De nature à ne pas laisser une interrogation
en suspens, je me fais un point d'honneur d'y répondre.
Avant tout, puisque tu me les réclames telle
une groopie (j'espère l'ortho.
orthodoxe...) en folie, je t'expédie, non pas une moulure de mes attributs,
mais de simples copies de quelques-unes de mes chroniques pamphlétaires. J'ai
également quelques vers dans ma gibecière, si le poète tu espères.
[Tu
habites à Paris le plus souvent ou en
province ?]
Ce château, fameux en effet, puisque j'y
réside périodiquement depuis plus de dix ans, est situé dans la Somme, en plein Santerre dans un petit village de rien du
tout que l'on retient sous le nom d’Omiécourt.
Paris-Omiécourt, Sandre, ça bourre comme pour
Strasbourg : en période estivale je suis bien plus souvent sur mes
terres ; le reste du temps, c'est en général kif-kif comme dit l'épicier arabisant.
[Que
penses-tu de l’inceste ?]
L'inceste est la plus ignoble des choses
lorsqu'elle résulte d'une contrainte physique ou psychologique, et le plus
normal des phénomènes amoureux lorsqu'il provient du désir de l'autre ou de l'expérience.
Le touche-pipi en est souvent la forme la plus juvénile. N'oublions pas que les
papas, les mamans, les grands-papas et grands-mamans cromagnons s'enfilaient à
qui mieux-mieux dans les grottes : ça faisait du bien et ça réchauffait du
tonnerre. On dit, merci docteur !
[Pourquoi
me parles-tu de ton « géniteur »... ton père c’est quelqu’un d’autre ?]
Mon géniteur, c'est mon papa de sang, celui qui a mis son engin dans le
ventre de sa compagne. Mon papa de cœur, c'est l'homme qui est au château d'O et qui m'a apporté
l'expérience humaine et tout un tas d'autres choses. Gros manuscrit en perspective
si je dois tout te conter.
[Qu’espères-tu
de ta vie ? Quelle est ta philosophie de la vie ?]
Je suis né dans la merde, comme chacun
d'entre nous. Je veux essayer de mener ma vie le plus correctement possible
pour parvenir à sortir de cette bauge. Ceci dit, la vie est en soi
merveilleuse. Ce ne sont que les connards d'humanoïdes qui la ternissent.
En évitant d'être pompeux ma conception de la
vie est simple : sens des responsabilités, courage, humour, fidélité,
intégrité, honneur, et le tout sans Maréchal.
[Es-tu
pour le mariage ?]
Plus que le mariage, qui n'est
qu'administratif (encore que, je ne suis pas tout à fait d'accord avec moi)
c'est la volonté de deux êtres de vouloir construire ensemble qui importe.
Alors oui je suis pour, quand ça n'est pas fatalement voué au divorce.
[Es-tu
royaliste ?]
Royaliste, non. Je trouve certes la plus
ignoble des exécutions la décapitation de Louis XVI et impardonnable le génocide
catho-vendéen perpétré par ces humanistes de républicains, je jouais aux
chouans dans ma jeunesse (j'étais Georges Cadoudal, un des chefs chouans), mais je n'irai pas accrocher un cœur rouge
avec sa croix sur mon poitrail pour les prétendants au trône que je trouve largement
grotesques.
Mon papa de cœur se définit comme un aristocrate
libertaire, on le définit (dans des ouvrages, des thèses...) comme un
anarchiste de droite : je me retrouve assez bien dans ces définitions. Je
te chatouille très fort car tu t'endors !
[Veux-tu
que je t’apprenne à conduire ? (Histoire d’être sur tes genoux !) ]
Je veux bien de tes leçons particulières au
volant. Mais sache que si tu te risques sur mes genoux, je ne répondrais plus
de mes impulsions : le fossé sera alors notre point d'ancrage (et ta grotte
le mien, si j'osais).
[Qu’es-tu
prêt à faire pour la fille que tu aimes ?]
Tout, sauf si cela met en péril mon
entreprise (car il y a des gens qui mangent grâce à elle) ou ma famille de
cœur. En premier lieu, je suis prêt à lui faire du bien, beaucoup de bien, et
sans culotte...
[Aimes-tu
voyager ?]
Cela dépend où et avec qui. Une chronique y
répond plus précisément : lire Allah
et moi. Voilà que je me cite maintenant, où m'arrêterais-je ?
[Comment
s’organise ton univers familial ?]
La dure question. Et bien à cet instant, je
préférerais que ce soit ta douce voix qui me le demande. Alors je ne réponds
pas ici, et j'espère...
[Cite-moi
les dix adjectifs te qualifiant le mieux.]
Un peu d’ego. Les dix qui m'arrivent en
direct : sensible, tenace, pamphlétaire, passionné, obsédé, intelligent,
anxieux, distrait, naïf (parfois), généreux. Très partiel comme portrait ma
foi. Mais j'espère bien te conquérir corps et âme par cette correspondance, hé
hé ! Amitié, et ce sera déjà une réussite.
[En
quoi te montres-tu romantique ?]
Romantique je crois l'être par mon physique
ténébreux, et j'essaie de l'être par mes attentions délicates et sincères. On
en pleurerait...
[As-tu
des tabous ? des fantasmes ?]
Des tabous : quelqu'un me les fera
peut-être découvrir, mais je ne crois pas en avoir, même en allant au plus
ignoble. Tout sujet est abordable.
Mon seul fantasme actuel c'est de connaître
l'amour absolu avec une femme. Pas demain la veille... Le reste, expérience
sado-maso avec un gorille ou une guenon, sucer une écuelle pleine de tes
déjections... on verra plus tard, je n'en suis pas encore là.
Pour les peintres visionnaires, je vais
essayer de te dénicher de la documentation. Ils sont exposés à la galerie Râ à Paris.
[...]
[Le
savoir-vivre t’est familier ?]
Le savoir-vivre oui, le pédantisme bourgeois
non.
Mes questions : ta vie dans ses détails
croustillants, ta recette pour ne pas adorer l'amour physique, tes projets pour
l'avenir, le jardin secret que tu n'as jamais révélé, tes expériences les plus
insolites. Voilà qui me comblera, pour un temps.
Avec cette envie goulue de caresser tes
pages, je t'embrasse au plus profond, cette fois.
Dernière minute : en me relisant je me
trouve un peu expéditif sur la fin. Avec toutes mes excuses, mon train
arrivait.
************
Pantin, Minuit 57 du 11.09.92
Foliette Sandre,
Que peu de lignes à te consacrer, et j'en
suis désolé au tréfonds. Je suis occupé de tous côtés et je ne peux m'adonner à
l'écriture comme je le voudrais. Très charmante et délicieuse ta longue lettre.
Je répondrais à toutes tes interrogations lorsque le calme sera un peu plus présent.
Je tiens ma plume pour encore quelques mots.
Espoir que tout se déroule comme tu le souhaites, que tes petits désagréments
de santé s'évaporent...
Au plaisir de te lire.
************
Le 14 octobre
1992
Ma grand-mère que j’aime,
Je pense très fort à toi, et je souhaite
honorer ici la mémoire de grand-père.
J’espère que ta pétillante vitalité ne sera
pas trop entachée par ce pénible et terrible deuil.
Au-delà d’empêchements personnels, bien évidemment
bousculables dans ces circonstances, je ne suis pas venu pour pouvoir conserver
un souvenir intact de mon grand-père. Je crois qu’il avait surtout besoin de la présence de sa compagne,
puis de ses enfants directs. Ma peine n’en a pas été moindre pour autant.
Mon activité est toujours aussi passionnante
et débordante. Les sociétés prennent de l’ampleur, et la collection des monographies
a dépassé les mille titres.
Je t’envoie par ce courrier quelques photos
de moi prises durant ma semaine de vacances dans les pays de la Loire, dont une en compagnie de ma petite (enfin... 1m74 tout de même) Kate.
Je te souffle encore mes plus tendres
pensées. Dès que mon emploi du temps se sera calmé un chouïa, je passerai te
voir quelques jours.
Ton Loïc qui t’embrasse très fort.
************
Samedi 24 octobre
Quoi de neuf docteur ?
Garretta, le grand instigateur des
crimes du cnts, ne s'en est pris que pour
quatre ans et 500 000 francs de dommages-intérêts. Les bacchantes ont
dû légèrement revoir leurs pointes à la baisse. « Responsable mais pas
coupable ! » sermonnait cette vieille peau Dufoix. Georgina ! Garretta ! secouez-les, secouez-les, au bout
d'une corde !
23h58. Journée sur notre
terre d'Au. De semaine en semaine, le
château et son domaine prennent forme et nous envoûtent un peu plus. Heïm nous expliquait le caractère
« inspiré » de cette propriété, toute pétrie par l'histoire humaine.
Son sous-sol regorge de ces traces d'antan. Il y fait bon vivre.
Dimanche 25 octobre
Pris ce matin très tôt le
train à Chaulnes. Concentré sur les
conditions d'assujettissement des auteurs à la tva, je sens brusquement des tressautements de
la machine, comme si un connard avait parsemé la voie de pierres et de
branches. Le train ralentit, s'arrête : le conducteur un peu vaseux et
légèrement ébouriffé, l'œil hagard, nous apprend le drame : « C'est
un suicide ! » répète-t-il, « C'est un suicide ! ».
L'horreur absolue : un malaise profond se glisse en moi. Un pauvre
bonhomme s'est jeté sous mon train, par ce matin de grasse matinée, et s'est
laissé déchiqueter et traîner sur plusieurs dizaines de mètres.
Nous voilà à l'arrêt depuis
plus d'une demie heure, le temps que la boucherie soit constatée. J'apprends
qu'il s'agit d'une femme d'une soixantaine d'années qui, cachée derrière une
cabane aux abords de la voie, s'est couchée au dernier moment devant le monstre
d'acier lancé à 120 km/heure. Tête et pieds tranchés probablement, le
corps tourneboulé sous le train ; les gendarmes et le mécanicien semblent
chercher encore quelques morceaux. Bon appétit messieurs mesdames !
Le réseau sncf connaîtrait en moyenne un suicide par jour par
ce procédé.
Ma Kate risque de m'attendre avec tout
ce retard pris. Journée de merde.
Régénération de tous les
instants, hier. J'aime à la folie cette propriété : harmonie apaisante qui
calme les sens. Dépense physique : je charge des brouettées de pierres
concassées à étaler autour du château pour couvrir la boue et sur des allées
naissantes.
Le travail à faire pour que
ce fief devienne un joyau est celui d'un début de monde, mais quelle enthousiasmante
perspective !
Les gestions de la seru et de
la sebm sont à
revoir de fond en comble. Les retards de paiement sont considérables. Il faut
travailler d'arrache-pied pour rattraper les erreurs et comprendre les dysfonctionnements.
Le déménagement de Pantin, 4 rue Eugène et Marie-Louise Cornet, est en cours. Je me rapproche de mon travail pour plus d'efficacité
et de suivi.
Heïm a reçu de l'ancien propriétaire
du château d'Au les photocopies de l'histoire de
ce lieu. Notre domaine n'est pas un lieu anodin, peu s'en faut. Au XIIe
siècle, Raoul d'Au est le premier seigneur de ce
fief. Heïm en est, huit siècles plus tard, le trente et unième. Entre temps le
château a été détruit par un noble paysan et reconstruit au même emplacement,
et le domaine a appartenu pendant près de 50 ans aux d'Aboville, les ancêtres du téméraire navigateur en solitaire - une de nos
cheminées porte d'ailleurs leurs armoiries. Comment ne pas être charmé par ce
lieu que nous gagnons chaque jour et qui a laissé son empreinte dans l'histoire
du pays. Moi, ça me fait tout bonnement bander, ceci dit sans familiarité.
Nous voilà reparti avec 1h30
de décalage. Quelques minutes avant, une jambe déchirée a été retirée du dessous
où elle était coincée. Berk, berk !
Mercredi 11 novembre
S'analyser. Objectivement,
ce que j'ai à faire fructifier est prodigieux. Ma capacité à agencer le tout
est actuellement faiblarde. Abandon de ce début d'introspection. La fatigue me
paralyse.
Ce soir tard. De retour du
château d'Au. Formidable journée encore une fois.
Heïm, avec Vanessa, passe sa deuxième nuit
dans notre château. Le premier essai fut accompagné de quelques mésaventures,
notamment un début de court-circuit dans les dépendances. Ce lieu, inspiré par
au moins huit siècles d'histoire, est loin d'être rassurant lorsque, par une
nuit de pleine lune, les portes claquent de tous côtés sous la pression des
bourrasques. Heïm est persuadé que le sous-sol de la propriété renferme quelques
cadavres. L'esthétisme du château est total.
Vendredi 13 novembre
Avant toute chose, je me
dois de noter la médiocrité de mon style ces derniers temps. Lourdes, lourdes
les phrases mal tournées. Nécessité absolue de se mieux contrôler. Pfff.
Samedi 14 novembre
De retour du château d'Au, dans mon dodo au château
d'O. Les muscles se sont sainement
échauffés par le transport de caillasses. Heïm et Karl ont refait le pourtour de la
cheminée située dans le salon qui
servira cette année pour passer Noël.
Mardi 1er décembre
1h08. Noir et silence
au-dehors, petite veilleuse à intensité variable non loin de mes carreaux
d'écrivaillon, je me laisse glisser vers d'apaisants vagabondages.
Ce soir, vu avec Alice le show nocturne du transfuge
Guillaume, Durand la nuit. Thème fleuve à scandale : peut-on toujours
être fidèle ? La brochette d'invités, bites et trous puants réunis, s'est
échauffée.
Mardi 8 décembre
Bientôt une heure du matin.
Le frimas enveloppe le château, l'hiver ne boude plus sa place.
L'activité nous prend
toujours autant aux tripes. La seru vient
d'envoyer le premier numéro du journal Villes
et villages de France.
Dimanche 13 décembre
Probablement pas de Noël à Au. Hier soir, alors que tout le monde repartait pour O, Heïm nous a prévenu.
J'ai très très vite intérêt
à changer ma vie privée. Ma déstructuration est totale, effrayante et gravissime.
Kate, plus exactement les rapports que j'entretiens avec elle me font
douter de moi. Le cul entre deux mondes, je vais lamentablement m'écrouler,
alors qu'un empire fantastique s'offre à moi. Monstrueuse connerie. Je dois
avant tout être fidèle aux conceptions fondamentales et à la morale que j'ai
choisies. Arrêter ce cirque néfaste me conduisant tout droit à la perdition. Je
ne vais quand même pas paumer tous les gens que j'aime, toute l'activité
engagée pour une médiocre et minable histoire de cul fermé. Stop, halte,
terminé !!! Je dois me raccrocher à ce que je crois profondément et ne
plus accorder un pet d'importance à toutes les fadaises débitées par une jolie
conne. Vu ? Qu'elle suce, qu'elle soit douce, gentille, louangeuse et tout
ira pour le mieux. Mais surtout, je ne veux plus entendre ses conceptions
rétrécies et castratrices de la vie. La gravité et l'importance des responsabilités
ne me le permettent pas. Qu'elle m'aime moi dans mon contexte et qu'elle ne
tente pas de m'en éloigner.
Et si j'échoue : merde
je deviendrais, tas de merde je finirais. A moi de voir.
Dimanche 27 décembre
0h21. Noël 92, c'est terminé. Première fête
à Au. Deux pièces transfigurées pour l'occasion : tapissées de papier
doré or et rouge, un sapin colossal et ses rejetons, et toute la féerie des
décorations.
Fait chier d'être aussi mal
depuis tout ce temps que les phrases m'étouffent la gueule. Crier merde à ces
putains de toutes ! Bouffer cette plume qui ne glisse pas correctement sur
le papier. merde ! de la
merde minable ce que j'écris péniblement. Aucun intérêt pour qui que ce soit.
Ça fait chier !
Fin du défoulement.
Heïm nous attendait pour plus tôt. Le
Noël faillit être annulé. Non
seulement il eut lieu, mais Yvonne [mère de Hubert], par ses présents picturaux, préserva la magie du réveillon. Des chefs
d'œuvre de tout premier ordre, à commencer par les portraits de Hermione et de Hubert. Le travail a transmis l'âme du peindu
à la toile. L'alchimie parfaite ne pouvait que nous émouvoir au plus haut
point, Heïm le premier.
Douceur de la soirée :
mets variés arrosés au Moët & Chandon, petits cadeaux en fin de
repas, marche nocturne dans le parc et au-dehors à la recherche d'ectoplasmes.
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