1996 – Sur les Cendres

Le 2 janvier 1996

[Lettre de vœux, gravure représentant Gargantua avec cette inscription : Après les ripailles... Tous mes vœux pour 1996]

Chère Sandre,

Vieux souvenirs de correspondance qui resurgissent.

Très heureuse année à toi.

Au plaisir de te lire.

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Lundi 8 janvier

Ce matin, à 8h30, François Mitterrand est mort des suites de son cancer de la prostate. Il est évident que son empreinte dans l’histoire politique mondiale de la seconde moitié du vingtième siècle sera durable. Il appartenait à cette rare catégorie des véritables hommes d’Etat. Le parcours politique de Mitterrand est des plus complexes et des plus étonnants.

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Paris, le 18 janvier 1996

Chère Sandre,

Ravi que tu m'aies répondu, et que tu sois libre, hé hé ! J'aurais voulu te téléphoner, mais tu dois être en liste rouge, car aucune trace sur Minitel.

Ce que je deviens, depuis tout ce temps, vaste programme... Après avoir, par intermittences, poursuivi mes études de droit, je me suis inscrit cette année directement en maîtrise de lettres modernes à la Sorbonne nouvelle (Paris III). Je prépare un mémoire sur L’aristocratisme libertaire chez Bloy, Léautaud et Heïm, le dernier étant mon père de cœur. Un sujet qui me galvanise, tu t'en doutes.

Côté professionnel, toujours plongé dans le monde de l'édition, comme attaché de direction, je lance des projets éditoriaux et les bichonne jusqu'à leur sortie... Faisant préfacer mes exhumations par des personnalités locales, régionales ou nationales, je commence à me tisser quelques intéressantes relations.

L'écriture reste essentielle... Je poursuis la rédaction de mon Journal (j'ai commencé mon cinquième gros cahier) et prépare la publication épurée du premier tome que j'intitulerais probablement Au festin des infâmes.

Voilà en bref les nouvelles. Côté cœur, rien de bien marquant depuis fin 1993. Trop méfiant, trop difficile peut-être...

Surtout, si tu viens à Paris, préviens-moi, que l'on se voit. Sinon, je pourrais moi descendre cet été.

Je serais enchanté de poursuivre cette relation épistolaire. [...]

Au grand plaisir de te lire, je t'embrasse.

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Paris, le 29 janvier 1996

Pétillante Sandre,

Je te propose une trêve dans l'écriture illisible : moi avec mes arabesques, et toi avec tes rondeurs entremêlées. Me voilà donc renouant avec l'écriture typographique.

Je crois avoir bien retenu la composition de ton harem masculin. Je vais devoir bousculer quelques galants pour m’agripper au piédestal de prétendant. L'âme chevaleresque, fustigeur des pantouflards, galvanisé par l'impondérable, pétri de générosité, mon gros cœur rouge de ses eaux battantes je me propose, hé hé !, dans ma simplicité.

Avec un chouïa de sérieux, la pâleur nacrée de ta silhouette et l'élancement racé de ton maintien te rapprochent bien plus que tu sembles l'envisager de la princesse à adorer, et à épouser bien sûr !

Ceci comme un conseil à l'élu qui te chérira.

Pour ma pomme : j'adore toujours mon père de cœur (je t'enverrai la copie d'un article avec photos paru récemment dans un grand quotidien régional), nous avons un nouveau château bien à nous, l’une de mes deux sœurs de cœur nous a trahi et est comme morte pour moi. Je vogue toujours entre nos terres millénaires et le bouillonnement parisien.

Atla, atla, je scribouille depuis la somptueuse bibliothèque nationale et je dois m'éclipser.

Au grand plaisir de te relire. Attentivement tiens.

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Château d'Au., le 9 février 1996

Très chère Sandre,

Je doute que tu reçoives ma missive avant d'aller goûter la poudreuse.

Je reste donc brumeux dans mes réponses à tes interrogations, à moins que je ne les élude inconsciemment... Comme je tiens avant toute chose à la transparence de nos rapports, je vais les reprendre une à une. [...]

Rigueur, intégrité, loyauté... je me lance.

[C’est ton histoire que tu mets en page ?]

Là je reste bouche bée. Serais-je aussi délirant pour me laisser aller à inventer ma propre vie ? A moins que tu fasses allusion au Journal que je tiens depuis 1991. Seule méthode trouvée pour conserver un lien avec l'écriture, et témoignage d'un jeune homme ayant vécu quelques singularités. Je néglige depuis quelques mois la tenue de ce Journal, mais, grâce à toi, me voilà réconcilié avec le genre épistolaire. Ne serait-ce que pour cela, tous mes remerciements.

[Méfiant ?]

Très certainement. La nature humaine est en majorité source de désillusions et de chagrins. Ma dernière grande histoire d'amour s'est achevée sur mon initiative à la fin 1993 ; depuis, de l'éphémère par volonté... et méfiance. Les belles filles pullulent, ce n'est pas là la difficulté. L'alliance d'une plastique physique et d'un fond enchanteur est beaucoup plus rare. Plus je regarde la photo, plus je suis confirmé dans mon penchant pour toi. Voilà tout. Sincérité, au risque de la muflerie.

[Tu vis seul à Paris ?]

La capitale est un lieu de passage pour moi et je ne suis bien évidemment pas en ménage. Mais mon amour de la vie reste intact, et ma volonté de construire renforcée.

[Il te reste donc une sœur. Tu m’avais jadis parlé de quelqu’un avec tendresse, serait-ce elle ?]

Il est possible que celle dont j'avais dit grand bien soit justement celle qui a trahi... Encore une plaie au cœur et une atrocité pour l'âme...

[Dans ta jolie bn, il doit bien y avoir des manuscrits du Moyen Age, non ? Pourquoi y vas-tu ?]

La bibliothèque nationale possède un fonds ancien qui remonte à l'époque des parchemins. Quand tu feras un passage à Paris, je serais ravi de t'emmener dans cette antre magnifique. Je m'y rends très fréquemment pour mes recherches éditoriales. La collection Monographies des villes et villages de France, à laquelle je participe, nécessite des recherches de documents anciens.

[Tu as tant d’écus dans ta cassette pour pouvoir aller de château en château ?]

En fait ce d’un château l’autre correspond à un déménagement au château d'Au, propriété familiale définitive. Je te joins un petit livret que nous avions édité il y a deux ans à l'occasion des journées du patrimoine. Ainsi tu pourras juger de mon attachement à ce lieu... millénaire.

[...]

Ta révolte m'est douce Sandre, ta fraîcheur est un enchantement...

Je suis ton très attentif obligé.

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Château d'Au., le 9 février 1996

Très chère Nadette,

C’est avec un très vif plaisir que j’ai appris que vous étiez encore vivante... merci pour votre délicieux courrier.

Si c’est pour le bonheur de l’union que vous avez disparu quelques temps, c’est on ne peut plus pardonnable, et bravo ! Vous m’aviez un peu confié, avec une confiance touchante, vos terreurs en cours de révélation.

La page se tourne et de merveilleuse manière. Je grave donc d’une pierre blanche la date de la fête nationale ce qui, pour moi, est un acte pour le moins inhabituel, hé hé ! Quant à être votre témoin : ce sera bien évidemment un plaisir et un honneur. [...]

Très attentivement, et avec toutes mes amitiés.

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Dans le train Paris-Laon, le 19 février 1996

Ma très chère Sandre,

[...]

[Je ne comprends rien à tes histoires de famille, qui est qui ?]

J'ai un père et une mère de sang qui ont chacun refait leur vie de leur côté. J'ai deux frères de sang (moi étant l'aîné) et un demi-frère tout récemment issu du côté père. A l'âge de 18-19 ans, mes parents ont rencontré Heïmerth, leur aîné de deux-trois ans qui dirigeait alors un groupement poétique très important. Ils se sont liés d'amitié, et j'ai passé de nombreuses vacances dans ses châteaux successifs, puis j'y ai habité de 8 à 11 ou 12 ans. Là-bas, des enfants de mon âge que je considère comme frères et sœur de cœur si tu veux... Voilà.

[Pourquoi une telle « atrocité pour l’âme » ?]

C'était un effet de style pour évoquer les mauvais coups dans la gu... que l'on chope... pour l'instant au sens figuré.

[...] Je présume que tu n'es pas très loin de Lyon, si mes intuitions watsonniennes sont bonnes. Je suis invité les 13 et 14 juillet prochain dans la capitale des Gaules comme témoin de la mariée, une amie de longue date. Me ferais-tu l'honneur, l'amitié et le plaisir de me consacrer ces deux jours ?

[De quel signe es-tu ?]

Balance ascendant lion...

Toujours très matérialiste, je ne serai de retour à Paris que samedi prochain. Je ne voudrais pas être privé de ta lecture pour cela. En fonction des dates, tu peux envoyer ton courrier au château, comme indiqué sur l'en-tête.

A bientôt, et au vif plaisir d'avoir de tes nouvelles. Ton attentif.

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Château d'Au., le 28.02.96

Chère amie Sandre,

Tout de go, de retour à Paris, je dévore tes lignes échevelées et j'm'en vas répondre à tes angoissantes questions. [...]

[Quels sont tes poètes préférés ?]

Avant la publication de mon recueil de poésies, à 17 ans, je m'étais interdit de lire tout poète pour éviter une influence directe. Sitôt le travail achevé je me suis jeté sur quelques auteurs, et quelques bonnes rencontres ont suivi : Paul Verlaine, Jacques Prévert, Lautréamont et surtout Antonin Artaud et son Ombilic des limbes, une merveille d'atrocités poétiques, de la pensée pure couchée sur le papier, de l'écriture organique... Voilà ma belle.

[Où sors-tu dans la capitale ?]

Bof, bof. Pas très consistantes mes sorties, en fait. Quelques cinémas, quelques restaurants, une boîte de nuit pour y écrire, et c'est à peu près tout. Lutèce ne m'a pas encore livré tous ses secrets. [...]

[Es-tu déjà allé en Grèce ?]

J’y suis passé il y a quelques années lors d'un périple européen : la côte de l'Adriatique et dans une île, Samos je crois. Quelques souvenirs épars.

[Je ne me souviens plus de ta voix ?]

Le timbre de mes cordes est grave et chaleureux. J'espère te bercer bientôt le conduit auditif.

[Qu’as-tu donc envie de construire ?]

Envie constante et multiforme. Construire une beauté de vie est peut-être la synthèse. Trouver son alter ego est la condition.

[Fais-tu lire ton journal ?]

Actuellement il n'a été lu, en partie, que par deux ou trois personnes très proches ; mais je ne vais pas m'adonner au culte du secret puisque l'objectif est qu'il paraisse. Alors pas de fausse timidité. Toutefois, certains éléments devront attendre avant d'être imprimés.

[Quelles sont donc ces « singularités » ?]

J’ai dû faire allusion à cette enfance un peu hors du commun que j'ai eue. Mais je reste là un peu brumeux, désolé. On trouve toujours plus singulier que soi...

[Qu’est-ce donc qu’un « fond enchanteur » ?]

C'est une personnalité qui a de l'allant et une capacité au renouvellement. C'est bien évidemment hautement subjectif, donc très facilement contestable. En fait, un peu confus ce que je t'ai défini. Dans la sauce jusqu'au cou... Enchante-moi, alors !

[Quelle est ta définition de la muflerie ?]

C'est d'être odieux involontairement, un Dom Juan ou un Casanova en sabots. En fait c'est très varié. Un exemple ? Avec le nez aussi droit que tu as, tes lunettes doivent bien tenir !!! Ignoble non ? Un gros bisou pour me faire pardonner.

[Un garçon comme toi doit être sollicité, non ?]

Je ne me mets pas en disposition pour cela, et je n'ai pas de fan-club. Je ne me plains pas pour autant, mais je reste en réserve. Pour les accointances, en revanche, il y a abondance...

[As-tu beaucoup d’amis ?]

En dehors de cette famille affinitaire, qui rassemble mes plus sûrs amis, j'ai de très bonnes relations féminines. Mes plus grandes amies sont déjà en quasi-ménage, et je n'ai pas de penchant destructeur, donc pas de danger. Elles sont diverses, mais beaucoup viennent du monde juridique (études partagées...).

[Es-tu du genre évanescent ?]

Heu... je ne crois pas que ce soit l'adjectif le plus approprié... Certes un peu lunatique, mais très réaliste et le contraire d'effacé. L'évanescence est une typologie féminine plutôt. [...]

[Es-tu déjà venu à Lyon ?]

Oui, j'y ai déjà fait quelques virées.

[Tu vis dans si peu de m2 que moi ?]

Mon pied-à-terre à Paris s'assimile en effet au mouchoir de poche, mais fonctionnel.

Bien aimé ton passage sur les mollusques à la queue flasque... Toi tu es plus proche de la bourrasque enivrante même en bavant.

[Qu’aimes-tu dans l’histoire (époque et personnages) ?]

Le Moyen Age et son mode seigneurial, certains chefs chouans, etc. je pourrais te développer ce plan une prochaine fois.

Je m'attarde, je m'attarde, mais c'est pour épuiser la flopée de questions. [...]

[Quel âge a la mariée ?]

Elle doit avoir autour de 30 ans, charmante jeune femme... Ce que je voudrais, pendant ce séjour, c'est que tu sois comme mon invitée et que tu m'accompagnes partout où l'on ira comme une amie... Sinon je me dégagerai des zones de disponibilité.

A très bientôt sur feuilles, et intensifions notre complicité jusqu'à plus soif. Tendrement.

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Vendredi 8 mars

Essai de reprise de ce Journal délaissé depuis tant de temps. Les notes seront rapides, dégraissées de toutes fioritures inutiles. Une sorte de carnet de bord existentiel pour que des repères restent inscrits.

Au château, l’activité n’est pas brillante. Nous sommes une nouvelle fois au bord du gouffre. Notre manque d’ardeur, notre irresponsabilité, nos manque­ments risquent à nouveau de nous coûter très cher. Heïm, dé­sespéré par notre immaturité, ne va pas bien du tout. Un jour sur deux un repas-catharsis. A la fin mars, la sentence tombera.

Je sors d’une mononucléose infectieuse, ou maladie des étudiants, chopée je ne sais où, dans je ne sais quelle donzelle... Une semaine de combat organique et un épuisement sans pareil.

J’ai commencé la rédaction de mon mémoire.

Il me faudra être un peu plus attractif lors des prochaines notations.

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Paris, le 9 mars 1996

Sandre, douce amie,

Au sortir de notre conversation, une petite amertume de n'avoir pu être à tes côtés pour t'insuffler la douceur dont tu avais besoin.

Ta lettre virevolte dans tous les sens, avec pour moi quelques graphies incompréhensibles. Je suis privé de certaines subtilités, et certaines de tes questions (j'ai reconnu le signe interrogatif) me sont inaccessibles. Il faudrait presque que tu gardes des copies pour me faire la lecture... hé !

[Tu écris dans une boîte de nuit, ce n’est pas fait pour ça à l’origine, non ?]

L'objet de cette écriture dans les culs-de-basse-fosse à décibels était à l'origine la mise en perspective de ce monde nocturne de la décontraction superficielle avec certains événements graves de l'actualité.

Le fil de rasoir sur lequel tu te trimballes est posé à terre. Ta détresse profonde est touchante, mais je ne veux pas aller dans ton sens. Il me faut être un peu rude pour espérer t'apporter quelque aide. Hurler avec des loups affamés n’a jamais rempli leur estomac. Tu es une louve jouant de presque tout, mais fondamentalement désespérée.

Le désespoir constructeur, voilà ce que peut t'apporter la transcendance de la misère humaine.

Je tiens à ta renaissance. Ton ami attentif.

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Château d'Au., le 14 mars 1996

Sandre très chère (varions un peu !),

Sitôt le combiné raccroché, je me mets à la plume. Elle ne s'attardera pas pour cette fois, car la littérature que je t'ai imprimée ne peut pas attendre :

- Trois textes écrits en boîte,

- Deux chroniques télématiques sur la Guerre du Golfe.

Très touché par tes deux derniers courriers, beaucoup plus impliqués. Je ne manquerai pas d'approfondir mon sentiment par une prochaine lettre.

Mais là, atla, atla !

Avec toute mon affection.

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Train corail Laon-Paris, le 15 mars 1996

Amie Sandre,

Ton désir de venir à Paris avant l'été est une excellente idée. Pour le logement, je tente un contact. Me promener en ta compagnie dans les travées de la cathédralesque Notre-Dame ne peut que m'enchanter.

[Je vais aller voir L'Armée des 12 singes, je ne sais si je vais accrocher.]

Ce film est une belle réussite ! Un Bruce Willis à couper le souffle dans sa perfor­mance, un scénario bien agencé, même si la complexité entame parfois l'efficacité de l'action.

[Les « mollusques » sont des personnes avec lesquelles on ne peut pas tout aborder, ils sont frustrants. Si nous sommes face à face, j’aurais l’occasion de t’en dire davantage, à moins d’être totalement inhibée face à toi.]

Pourquoi, diable, cette crainte ? Je ne mange jamais les jolies jeunes filles (ou femmes) sauf pour leur donner du plaisir, hé ! Aucune raison de passer d'une décontraction épistolaire, d'un pétillement téléphonique à un coincement maladif... Je n'y crois pas. Notre complicité croît au fil des lettres.

[« I love Paris in the springtime... ». Elle chante vraiment bien.]

Tu aimes notre capitale... moi non plus comme le chanterait Gainsbourg. Certes Big Lutèce forme une concentration extraordinaire de l'univers humain, mais cette tendance à l'entassement excessif, signe de notre toujours persistante nature grégaire, ne favorise pas la qualité individuelle.

[La musique, c’est bien quelque chose qui m’apaise, comme l’océan.]

La musique constitue un art essentiel dans mon existence. Pas un jour de l'année où je n'écoute du tsoin tsoin en tous genres (funk, soul, new jack, jazz, blues, rock, reggae, rap, etc...). Je ne pratique aucun instrument, à mon grand regret, ayant été, petiot, dégoûté par un jobard de professeur dans son enseignement à la con du solfège. Depuis, hormis tapoter maladroitement les touches d'un piano, ou faire un peu de trompette buccale (une spécialité) je ne joue que de ma voix, avec une certaine jubilation.

[jp n’a pas ton esprit, il est moins vif, plus terrien...]

Merci pour le gentil compliment de ma vivacité et de mon aérienneté (oh l'affreux néologisme !). Je t'invite à danser le slow que tu veux quand tu veux ma douce ! On se place comme on peut, non ?

[Une nuit avec peu de rêve. Deux chambre d’hôtel : le 519 ; j’étais avec mad, et le 551 à côté (?) où il y avait Fab. Vue sur mer. Une piscine immense avec cinq personnes dans un coin, pourquoi cinq ? Un type tue deux filles sur une route de campagne. Ça ne tient pas debout... Je dois être torturée du bulbe !!!]

Ton rêve n'est pas si déjanté que cela. Un peu violent, mais ta nature reste imperturbable face à quelques corps écharpés, non ? A la fin de l’adolescence, un de mes songes a constitué la base d’écriture du plus long et du plus violent poème que j'avais dû t'envoyer, L’éon et sa lie pure. Là encore, même dans l'atroce, on se rejoint.

La constante tourmente de ton esprit rejoint une sensibilité exacerbée. Réserve ta richesse intérieure aux êtres qui valent. Tu as la capacité de jouer de ton apparence... c'est ta puissance.

[Je suis sur cette planète à cause d’un accident ou d’un incident de parcours...]

Chienne de naissance, rapports aux parents terribles, perdue entre une ombre de père et une impardonnable marâtre. Tu n'es pas gâtée. L'influence de ce sombre tableau sur ton rapport aux hommes, un premier amour raté, et peut-être même une défloration de cochon. L'avantage est d'avoir créé une méfiance salvatrice...

Laisser les noirceurs de la vie, les crasseux et les médiocres de tous poils, et rejaillir comme une Eve vénusienne... un bon programme pour toi, si l'Adam est à la hauteur.

[J’aurais bien aimé avoir un grand frère.]

Si je ne peux être ton galant, je serais honoré de m'incarner en grand frère pour toi, celui à qui tu demanderas d'être son premier témoin à ton mariage. Et là, au moins, frère et sœur ce sera pour la vie !

[J’ai souvent rêvé d’être avec un écrivain, tout sauf un médecin. (...) Mon chat dort sur ma robe, il ne se tracasse pas lui.]

Ton rapprochement du matou et de l'écrivain me suggère, évidemment, la figure de Léautaud sur qui je travaille pour mon mémoire. Il accueillit jusqu'à vingt chiens et trente chats en même temps...

Vivre avec un écrivain, un de tes désirs profonds ? Je ne relèverai pas... hé hé !

[Pourquoi cette peur du sang ?]

J'ai peut-être un peu trop joué le douillet mental avec toi : la vue du sang, des tripes et de la sanie ne me fait pas systématiquement défaillir, mais il est vrai que je ne pourrais pas vivre mes journées dans l'atmosphère hospitalière. [...]

[Ton père a fait beaucoup de dettes pour acheter cette grande demeure ?]

Le château a été acquis par le biais d'une sci dont je suis l'un des associés... ce n'est pas un achat en nom personnel. Une partie cash, et l'autre par le biais d'un prêt...

[Ne te sens-tu pas isolé ?]

Point de sentiment d'isolement dans cette seigneurie, car je reviens toutes les semaines à Paris. Cet équilibre entre la féodalité et mon petit pied-à-terre parisien me convient. 230 habitants à Au, un peu plus à Paris...

[Vous avez des domestiques comme tout châtelain qui se respecte ?]

Un jardinier-homme à tout faire, une femme d'entretien et deux ouvriers.

[Ton amie lyonnaise est de quel quartier ? Ça sera clean comme réception ?]

La future mariée réside Cours de la Liberté et je présume que la réception aura tout le charme nécessaire : ni trop guindé, ni trop débraillé.

[Tu sais comment tu vas être habillé, sans faire de l’ombre au marié ?]

Ma « vêture » pour le grand jour n'est pas encore tout à fait au point, mais mon penchant séducteur ne me fera pas manquer le coche. De là à détrôner le marié... hé !

Un mystère : pourquoi ton clip-clap ou clap-clip, selon le sens, ne peut nous accueillir tous les deux : exiguïté du matériel ou crainte de la demoiselle ?

[L’été, tu te partages entre Laon et Pézénas ?]

Cet été, rien n'est défini. Mes allers-retours se feront plutôt entre Paris et Au, avec un voyage dans le sud.

Je te joins, comme promis, l'introduction non achevée de mon mémoire. Je ne suis pas qu'un fanfaron de la plume.

A te lire, attentivement tiens.

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Lundi 18 mars

Minuit dépassé, dans quelques heures une nouvelle semaine pour se battre sur tous les fronts.

Reprise de contact, la semaine dernière, avec Madeleine Chapsal. Tout va bien. Je devrais participer au Salon du livre de Limoges fin avril. Peut-être y retrouverais-je Sandre R., délicieuse et pétillante jeune fille avec qui j’entretiens une correspondance fournie.

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Paris, le 24 mars 1996

Sandre la terrible,

« Mon petit Loïc » dis-tu ? J'adapte donc mon support à ta perception affective [choix de feuilles au format A5]. A nouveau la plume dressée pour répondre à 95 % de tes interrogations, soigneusement notées. Les 5 % restant se composent de l'illisible ou de « fausses » questions.

[Si je vois une bague mieux que celle de la place Vendôme, je te le dis, c’est promis. Un châtelain qui ne peut pas se permettre cette folie, c’est un avare ou un riche plein de dettes ?]

Le châtelain de Crauze n'a pas encore son aisance financière, je l'avoue volontiers. S'il le faut, j'irais casser de la caillasse pour te l'offrir cette bague. Voilà ce que déclarerait un chevalier courtois.

[Tu connais des étudiantes en médecine à Paris ?]

Non, je n’ai pas eu le temps de faire la sortie des facultés avec mon long imperméable. D'autre part, je suis un ignare dans le domaine médical. Que pourrait donc apporter un juriste lettré comme moi à une poétesse des intérieurs corporels ? Et moi alors, vas-tu me rétorquer avec l'à-propos que je te connais ? Une perle perdue dans cet univers barbare je crois.

[Quelle est ta définition du romantisme ?]

Le romantisme à la XIXe est soit une mièvrerie nian-nian pour puceau blême, soit une manière d'être pleine d'attentions, d'intentions séductrices et de charmes diffus. Tout dépend de la tendance négative ou positive qu'on met dans son analyse.

[Qu’as-tu comme voiture ?]

Encore une déception de plus pour toi Sandre l'accablée. Je n'ai ni permis ni, a fortiori, de teuf-teuf ou vroum-vroum, selon le modèle !

[As-tu une couleur préférée ?]

Cela dépend du support : rouge vif pour les eaux battantes du cœur, jaune éclatant pour l'astre brûlant, noire pour mes haillons.

[Dans quelle boîte as-tu écrit ?]

Comme précisé dans la chronique, la boîte des Putes à Trous et des Bites Molles est une des plus confortables de Lutèce : l'Aquarium. Une belle occasion d'aller barboter en rythme.

[As-tu déjà eu des demandes en mariage ?]

Une demande pour passer devant messieurs le Maire et  Notre-Tout-Puissant ? Une seule fois, dans la perspective d'une vie avec Kate. Pour le reste, je n'ai pas fréquenté assez longtemps.

[Que penses-tu de mon papier à lettres ?]

Ton papier à scribouiller me convient parfaitement au toucher. Evite tout de même le bleu sur bleu...

[J’ai rêvé que tu vendais des bouteilles de champagne au noir, ça veut dire quelque chose, à part que je suis timbrée ?]

Je n'ai pas les qualités de notre feu tonton Freud pour en tirer quelques lumineuses interprétations. T'apparaîtrais-je comme un jeune aristocrate en déchéance, alcoolo et réduit aux escroqueries de seconde zone ? Hé hé, quel tableau !

[Ton papa ne pratique plus du tout la psychologie ?]

Plus de manière professionnelle depuis belle lurette. Mais si tu le souhaites, je peux exceptionnellement t'obtenir un rendez-vous.

[Pourquoi les artères divergent-elles partout dans l’organisme, exception faite du cerveau ? La main de Dieu ?]

C'est toi qui doit tout m'apprendre sur la divergence des conduits. Je ne pourrais moi t'écrire que des niaiseries comme présentement.

[Tu es en train de devenir mon confident, ça c’est ma vision des choses.]

Etre ton confident, chuchotements compris, m'est, je te le répète, très agréable. Vaste programme que de connaître toutes tes contrées psychologiques...

[Qu’aimes-tu bien manger ? Boire ?]

Je suis un gourmand. Hormis les coquillages et les concombres, j'aime à peu près tout. Pour la cuisine simple et rapide, je suis très viande crue, poisson cru et salade composée. Pour la boisson, sodas et eau si je suis tout seul ; vin rouge et Bison flûté (un tiers de vodka à l'herbe de bison, deux tiers de Coca-Cola et un max. de glaçons) en repas convivial.

[Pourquoi cette habitude de l’obscénité ? C’est ton rempart ?]

Ce n'est pas moi qui le suit, ce sont les gens et les situations que je décris. La crasse est le lot de notre civilisation : je ne vais pas la transcrire avec douceur et doigté.

En revanche, j'ai un amour des mots. Et comme dirait Heïm : « J’adore rouler mes contemporains dans le caca. Les mots orduriers ne me font pas peur, je nourris pour eux une passion stendhalienne. Il en est de bien gluants, de bien puants, de bien excrémentiels qui définissent excellemment le petit personnel que je brocarde. »

[Ecris-tu des lettres d’amour ?]

Peu à mon actif. Plutôt des poésies ou des textes en prose intégrés à un ensemble plus vaste.

[Ton affection pour les femmes semble bien relative ; sommes-nous si exécrables ?]

Je ne suis en aucun cas amer sur la femme en particulier, mais plutôt sur l'être en général. Une femme, au sens plein du mot, est pour moi un ravissement sans réserve. Mais combien de temps le sera-t-elle ? Le meilleur de chacun est souvent à durée très limitée.

[Ne pas se souvenir de ses rêves a-t-il un sens ?]

Cela me semble surtout un état psychologique satisfaisant. Pas de tourmente à avoir.

[Les filles de la nuit lisaient-elles tes textes ?]

Ecrire un texte en boîte suscite, en effet, la curiosité, notamment des belles jeunes filles. Il m'est parfois arrivé d'en lire des passages, prétendant que je rédigeais une thèse sur la décontraction humaine dans les milieux de la nuit. Le plus souvent, les donzelles me regardaient avec des yeux ronds...

[La loi du tout ou rien s’applique-t-elle à ta personne ?]

Le tout ou rien comme loi de rapport avec les gens est peut-être une conséquence de mon caractère passionné. En réalité, je suis beaucoup plus conciliant que tu ne le penses.

[A quoi peut bien ressembler ton modèle féminin ?]

Pas de modèle absolu, mais quelques qualités de base à réunir : féminité, beauté, intelligence, sensibilité, pétillement, curiosité et sensualité.

[Passes-tu beaucoup de temps dans ton château ?]

Les séminaires en maîtrise de lettres sont en effet peu nombreux. D'autant plus pour moi depuis un mois : sur trois séminaires, l'un s'est achevé à la fin du premier semestre, le deuxième est interrompu depuis décembre 95 pour cause d'accident cardiaque du professeur (rétablissement le 1er avril ! mais si !) et le troisième a lieu le mardi tous les quinze jours. Voilà mon programme. L'essentiel est dans le travail personnel.

[Karl a lui aussi des parents vivants et une adoption sentimentale ?]

Oui. Sa mère a été longtemps compagne et collaboratrice de Heïm. Son géniteur n'a plus de rapport, en fait n'en n'a jamais eu vraiment.

[Que penses-tu de l’ivg ?]

Progrès incontestable qui doit être utilisé avec discernement et un grand sens moral.

[L’écriture semble une véritable raison d’être chez toi. En vivre est-il ton but ?]

Vivre de mon écriture serait évidemment la plus merveilleuse des situations, mais je n'y crois guère : mon style et le contenu ne peuvent pas passionner grand monde. Et faire dans l'écriture alimentaire n'est pas dans mes cordes...

[Beaucoup de femmes te laissent-elles l’impression d’un rêve perdu ?]

Vrai que certaines jeunes filles, que je n'ai pu courtiser, ont rejoint ce que j'appelais « les fosses insondables de l’irréalisé ». Le lot de toute existence en fait.

[Qu’est-ce qu’un comportement féminin ?]

Le comportement et la psychologie d'une femme telle que je l'espère se caractérisent par la combinaison harmonieuse de toutes les qualités citées précédemment...

[Qui est Monique ?]

Une collaboratrice affective de Heïmerth depuis 35 ans.

[Tu écris ta bio. dans ton journal ou aussi tes impressions au jour le jour ?]

Mon Journal (que je ne tiens pas au jour le jour) a trois directions essentielles : ma vie personnelle, mes activités professionnelles et mon humeur sur le monde.

[Etre mon galant, c’est une bonne blague du cru de crauzien, c’est ça ? Et si je finissais par être moi aussi maudite ?]

Bon, alors je boude et remballe mon matos. Maudite, oui, peut-être ce sentiment germe-t-il en moi à ton égard... Laissons mûrir, hé hé !

Ceci dit, notre conversation a été pour le moins intense en émotions. Je reste totalement disponible et ton attentif complice. Bisous chauds.

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Entre Paris et Au, le 27 mars 1996

Très chère Sandre,

Illuminante révélation et touchante sensibilité que la tienne. Le style et le fond enfin en symbiose, et moi lecteur comblé par ce débordement affectif. Mais garde ! Reste à l’affût de mes propres défauts, car je suis loin du modèle parfait ! Tu as droit à une limpidité dans ma présentation. Je tends vers le meilleur certes, mon rapport à l'être s'est considérablement amélioré, mais ma misanthropie reste nichée dans quelque arcane insoupçonnée.

Pour commencer, l'inaccomplissement de mon objectif sentimental (une seule jeune fille pour l'existence) m'a rendu très méfiant, et ce n'est que récemment que je suis à nouveau sensibilisé pour l'aventure duale.

Notre complicité écrite est bien plus conséquente que nos affinités orales. La confiance est en cours d'épanouissement, mais pas de brusquerie. L'élan passionné ne m'a pas toujours réussi.

Tes qualités, ta richesse d'être sont évidentes, et il ne faudrait pas grand chose pour que je succombe, mais attendons la rencontre et ses imprévisibles influences.

L'équilibre, jusque là, est difficile à s'imposer entre l'obsession délirante et le détachement timoré.

Ton courrier est, en tout cas, une belle preuve de générosité humaine et de ta valeur féminine fondamentale.

J'attends avec délice ta petite musique épistolaire.

Joyeusement, ton ami.

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Du fond du plumard, le 29.03.96, 0h15.

Sandre sans bâillon,

Réconforté par notre conversation de ce soir. Les émotions se succèdent à toute allure. Une pause dans la complicité renouvelée. Tendrement et sans cynisme, sans provoc., sans parano, sans entreprise de démolitions, je te susurre la plus inénarrable des pensées.

[Je suis une « maudite » potentielle et une « perle perdue » à la fois, les deux extrêmes.]

Maudite, toi ? Hormis une mauvaise blague, je ne serai pas l'auteur de la damnation. Le style fait faire les pires folies.

[Tu m’as fait une déclaration, toi ? C’était pas le truc du clip-clap, rassure-moi ?]

Ma déclaration est une constante sous-jacente dans mes courriers. Tu ne me crois pas aussi piètre nature pour me limiter à une séance de « ça va - ça vient » (référence à Orange mécanique ma douce Sandre, même dans l'obscénité je reste culturel, hé !).

Je poursuivrai mes réponses à l'interrogatoire dans une prochaine missive.

Très gros bisous, charnellement.

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Château d'Au., le 30 mars 96.

Alerte Sandre, celle qui questionne plus vite...

Ravi d'être à mon bureau pour répondre, avec naturel et efficacité, à l'ensemble de tes interrogations.

[On peut avoir des amis dans des domaines professionnels différents du sien, non ?]

Je conçois bien évidemment l'amitié avec des gens d'univers divers. Ma curiosité est trop exacerbée pour que je me prive du plaisir d'entrer dans leur domaine. Humour dérisoire, peut-être, ma descente en flamme du milieu médical.

[Je suis très étonnée, mais non point déçue, de savoir que tu ne possèdes pas ton permis de conduire. Tu vas bien te résoudre à le passer, non ?]

J'entrevois la nécessité de passer ce p... de permis. Mon code, réussi du premier coup, est aujourd'hui périmé. Je m'y remettrai bientôt, par nécessité et non attrait pour les tacots.

[Confidents, nous le sommes, même si je le suis plus que toi : au risque de me faire taxer de désaxée obsédée ? Mais des « chuchotements » : on a fait ça ? Pur fantasme de ta part ou amnésie de ma part ?]

Je crois volontiers à ton oubli de nos chuchotements lors d'une conversation tardive. Mais si, mais si ! tu peux être douce et calme parfois ! (hé !).

[Si le meilleur de chacun est à durée limitée, je suis programmée jusqu'à quand ?]

Ta programmation sera, je l'espère, ad vitam aeternam, mais quelle pythonisse (allez, au dico !) peut nous indiquer les impondérables de la vie ?

[Que sous-entends-tu par féminité, c’est vague et flou ?]

La féminité est aussi difficile à définir intellectuellement qu'elle est facile, pour moi, à ressentir dans les premières secondes de la rencontre d'une jeune fille, jeune femme, etc. C'est la combinaison de nombreux critères (le comportement, l'intelligence, la sensibilité, la gestuelle, la parole, le corps, etc.) qui tendent vers une harmonie, une beauté d'être propre au féminin.

[Ne fait-il pas froid dans ta région ?]

On s’y caille plus facilement miches et gonades, j'en conviens. Mais le froid ne m'a jamais vraiment gêné quand un bon feu crépite.

[Que mets-tu comme parfum ?]

J'ai eu deux parfums importants : anciennement Eau sauvage de Ch. Dior, actuellement Eau de Rochas pour homme (un temps aussi M. de Givenchy, je crois...).

[Ne trouves-tu pas que mon écriture s’améliore ?]

Ton écriture varie selon les supports dont tu disposes, mais dans l'ensemble tu as droit à un bon point... A moins que je ne sois en cours de familiarisation.

[As-tu des ribaudes dans ton château ?]

Parmi ma famille affinitaire, aucune ribaude tu l'imagines. Parmi les employés, je ne suis pas niché dans leurs antres pour le savoir.

[A quoi ressemblent tes appartements ?]

Pour l'instant, pas de lieu définitif dans le château en cours de travaux.

[Que penses-tu de l’association travail-famille pour une femme ?]

Difficile de répondre par une généralité. Avant tout, au cas par cas, voir son bonheur. Combien de femmes prétendument « libres et indépendantes » ne ressemblent qu'à de vieilles guenons éperdues. Du cas par cas dis-je.

[As-tu déjà eu le désir d’avoir des enfants ?]

Dans l'absolu, nimbe facile pour philosopher, oui bien sûr pour les enfants. En réalité, je ne me sens pas du tout prêt, et je n'ai pas trouvé la mère de ces futurs bambins.

[Que penses-tu de l’infidélité dans un couple ?]

Cette question se traite à deux niveaux (pour un homme) : moral et physique. Le premier est une intolérable trahison, le second ne peut s'envisager que par accord fondamental et initial de sa femme. Sinon, cela relève du même verdict. A titre personnel, si mon épouse me comble tous azimuts, je préfère la fidélité réciproque sur tous les plans.

[Pourquoi trouves-tu que tous les hommes ont des aspects vils ?]

Point de misanthropie particulière pour la gent masculine, mais il est vrai que les gars, dès qu'ils sont plus de deux, deviennent souvent sans intérêt, cons de fond... Mais, là encore, pas trop de généralités. Par goût je préfère la compagnie féminine.

[As-tu des fantasmes pervers ?]

A priori, pour l'instant, je n'ai point de dérives sexuelles qui pourraient consister, par exemple, à te faire mettre nue sous ta blouse et à te faire violer par les plus repoussants de tes malades, ou à te déféquer dessus... Non, point pour moi ma délicate Sandre...

[Y a-t-il des actrices qui te fassent rêver ?]

Quelques actrices m'ont particulièrement galvanisé. Liste non exhaustive : Ornella Muti avant tout, puis dans le désordre Béatrice Dalle, Mathilda May, Bo Dérek, Faye Dunaway, etc., Carla Bruni chez les mannequins, Sandre R. chez mes correspondantes...

[As-tu déjà rêvé de moi ?]

Je ne m'en souviens pas. Il devait être trop brûlant pour que la décence de mon inconscient le laisse surgir au petit matin.

Bien saisi ton analyse sur notre petit différend téléphonique. Mûrir, toujours mûrir... hé hé !

Merci de ce que tu es, tendrement.

Merci aussi pour la poésie de cette fille d'un riche cordier lyonnais [Louise Labé] (voilà pourquoi tu l'as connais mieux que moi, hé hé !). Impressions dans un prochain courrier... bisous doux.

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Dimanche 31 mars

3h10. Avancement d’une heure pour se rapprocher de l’été.

Point d’entrain pour remplir ces pages.

Synthèse du moment.

Côté cœur : poursuite de mes correspondances avec Sandre R. et Rachelle M. Petit différend avec Sandre, vite dissipé. L’une près de Lyon, l’autre à Nice, elles sont toutes les deux des amies, complices adorables... Et si l’une devenait un peu plus que cela. Je n’ai rien vécu de sentimentalement important depuis la fin de mon histoire avec Kate (octobre 1993).

Passage au Salon du livre de Paris mardi dernier (seconde visite) avec la très séduisante Karine, copine de séminaire de lettres.

Côté pro. : stagnation des dossiers littéraires. Difficulté pour trouver des subventions afin de les financer. La faute aux magistrats casseurs de politiques. Chaque élu tremble maintenant de débourser pour des projets culturels. Dernier homme politique à avoir fait voter un petit achat d’ouvrages, c’est Alain Carignon lui-même ! Et des maniaques en toge l’ont fait moisir en prison.

J’envoie des courriers aux revues d’histoire pour décrocher quelques collaborations. Advienne que pourra.

Poursuite de la mise en forme de mon mémoire. A-y-est, fini !!!

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Paris, le 2 avril 1996.

Très chère Sandre,

A mon tour de t'expédier une inspirante carte [Rembrandt, Le Bon Samaritain], signe d'une nouvelle venue des cieux.

La semaine s'annonce comme une grande vadrouille pour visiter coins et recoins de l'Aisne.

Dans l'attente d'être plus prolixe, tendrement.

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Château d'Au, le 3 avril 1996.

Sainte Sandre,

Je te fête ici, avec retard mais intensité. Très touché par ta petite carte en forme d'écrin poétique. Je vais improviser ci-dessous quelques vers libres prenant leur souche dans les lettres de ton prénom :

Saoul dans la fragrance de ta chevelure,

Attisé par l'élégance de ta cambrure,

Noyé d'émotions au rythme des pures

Déclarations, j'effleure le parchemin sans démesure.

Rire, par ta plume ou par tes cordes, je jure

Ici la jubilation éprouvée par cette sonore peinture

Née des joyeux émois de ta pétillante nature,

En hommage ici aux accents rares de ton humaine carrure.

Voilà ma douce, à très vite.

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Le 5 avril 1996.

Touchante Sandre,

Sitôt arrivé dans notre Big Lutèce, une douceur m'attendait. Ton courrier mérite une longue réponse et une réciprocité dans la mise à nue de sa sensibilité.

J'espère que les Pâques se sont bien déroulées.

Tendrement.

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Aut., le 10 avril 1996.

Douce amie Sandre,

Quel plaisir de lire et relire tes multiples courriers et cartes. Tout cela m'est très précieux. A tel point qu'il ne faudrait pas bousculer cette magnifique amitié épistolaire par un brusque changement de nature. Compter l'un sur l'autre, sur sa présence et son affection intense, sur sa complicité et son pétillement, voilà un objectif rare que nous atteignons.

[Rêves-tu de me bâillonner ?]

Grand dieu non ! Ou alors avec une étoffe de soie. Notre doux rapport me comble amplement.

[La vie sans voiture serait pour moi impossible. Pourquoi ce retard ? Tu aimes quoi comme modèle ?]

Jamais eu d'attirance pour ces engins (même si je reconnais leur praticité) et j'adore me faire conduire, mais j'y viendrais bientôt. Dans les voitures de rêve, les Jaguars ont ma préférence.

[Pourquoi ne te sens-tu pas prêt pour une progéniture ?]

Je ne me sens ni assez mûr psychologiquement, ni suffisamment arrimé matériellement pour assumer un nouveau-né. Mais tout dépend aussi de l'antre magnifique qui recevra ma semence... hé hé ! Je ne me sème plus à tous vents !

[Qu’est-ce que tu as bien pu lire à ton frère ?]

Petit passage où tu me disais des gentillesses... mais rien de compromettant sur toi... Ah ! il faut bien soulager son ego de temps en temps.

[Tu connais les Cranberries ?]

J'adore les Cranberries... je ne vais pas tarder à acheter un cd de leur cru. La femme fait des décrochages vocaux fabuleux. Nous en avons déjà parlé, alors je ne radote pas...

Toutes tes photos sont précieusement gardées dans un album perso. Ta petite photo est dans mon portefeuille. Tu es là...

Pour les questions juridiques, je te donne une première impression : obligation alimentaire entre parents et enfants. Obligation de délivrer quittance de loyer... Envois moi copie de ton bail. Je te réponds plus longuement dans une prochaine. Tendrement et gros bisous.

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Au, le 11 avril 1996.

Touchante Sandre,

Reçu ton courrier petit format mais dense de contenu.

Comme promis, je t’envoie copie de notre correspondance de 92. Tu pourras vérifier combien je n’ai pas joué un beau rôle à la fin.

Par manque de temps, je préfère t’expédier ce courrier aujourd’hui et répondre aux différentes questions laissées en suspens une prochaine fois.

Tendres amitiés.

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Château d’Au., le 12/04/96.

Ma Sandre,

Je viens, enfin !, de parcourir les vers libertins (pour le XVIe siècle en tout cas) de cette délicieuse et dévergondée Louise Perrin, dite Labé.

Un dommage de taille : comme pour Montaigne, il conviendrait de moderniser la langue. Que nous importe la forme ancienne : seules comptent la musique poétique de Louise Labé et les réflexions de Montaigne. Laisser en l’état, c’est du snobisme, je trouve. Enfin, je fustige contre les éditeurs, pas contre toi ma douce. Et merci encore.

N’hésite pas à m’envoyer toutes les photos de toi en robe, en salopette ou sans rien. Ce sera toujours un plaisir pour mes mirettes.

Je ne connais pas les étoffes de chez Kenzo. Si tu as des révélations à me faire, ne te retiens pas un brin. Et je te garde comme unique cavalière de juillet.

Curieuse, à première vue, ta peur de me voir, mais je pense te rejoindre sur le fond. Notre échange est tel qu’il ne faudrait pas le malmener par une entrevue mal assumée. En même temps, si tes sentiments ne tiennent qu’à ma non concrétisation, n’est-ce pas ton esprit qui crée l’attachement ? L’idée d’une complicité fraternelle que tu relances me touche, sœurette adorée ! Et ne t’embête pas à venir à Limoges : je n’en vaux pas la peine... hé hé.

 

[Es-tu très chocolat ? Tu as eu des cadeaux pour Pâques ?]

Le chocolat est une éternelle gourmandise : au lait je préfère. Avec du nougat à l’intérieur : un délice... Je te pique volontiers ta part. Rien eu pour Pâques, si ce n’est ton adorable œuf non comestible...

[Aimes-tu tes parents ?]

Affection certes pour mes parents de sang, mais lucidité et conscience de ce qu’ils ont fait de la famille : un désastre. Jamais ils n’auraient dû se rencontrer... mais je n’aurais pas été là pour m’en féliciter, hé !

Il est minuit dix-neuf du 12 avril... Mes paupières se ferment d’elles-mêmes.

Je t’embrasse et à très vite.

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Le 12/04/96.

Sandre,

Petit complément sérieux sur le plan juridique :

– Problème d’obligation alimentaire enfants-parents (ci-joint photocopie Code civil) ® loi + jurisprudence.

– Obligation de délivrer quittance de loyer par propriétaire : (ci-joint copie de l’article 21 de la loi du 6 juillet 1989).

Je te conseille pour ce dernier problème d’envoyer un courrier en recommandé avec ar au propriétaire en réclamant pour l’avenir que te soit fournie automatiquement une quittance mensuelle du loyer versé. Faire référence à la loi.

Je suis à ta disposition, ma douce, pour te rédiger le courrier.

N’hésite jamais à me demander des renseignements ou à me soumettre tout autre problème.

Ton tendre obligé.

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[Envoi de L’ombilic des Limbes d’Antonin Artaud]

A moi de te faire découvrir ce génial déphasé, détenteur d’une écriture organique, coucheur de pensées pures. Je ne l’ai connu qu’après avoir écrit ma poésie. Une rencontre littéraire comme avec Bloy et Léautaud.

Bonne lecture tourmentée.

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Samedi 13 avril

Passages toujours aussi rares. Je me force à remplir ces pages. A l’origine, j’avais débuté ce Journal pour ne pas perdre le lien avec l’écriture. Il est en effet le seul genre littéraire (hormis l’épistolaire) qui ne se charge pas des difficultés de la créativité. La narration de son existence et la transcription de ses pensées suffisent. L’unité, c’est sa propre vie.

Actuellement, je mobilise ma plume pour mon mémoire de lettres et pour une correspondance abondante avec une délicieuse et pétillante jeune fille : Sandre R.

Je dois aller la voir le week-end prochain.

J’avais eu un bref lien épistolaire avec elle en 1992, mais interrompu de mon fait au bout de quelques mois. Mes vœux envoyés pour 1996 ont permis de renouer avec elle. Je ne manquerai pas le coche une seconde fois.

Evénements familiaux : Line, ancienne épouse de Heïm, a téléphoné à Hermione, agressive envers le château, persécutrice, voulant « sauver » sa fille. Pitoyable !

Après enquête téléphonique, Heïm apprend de Mme C (ancienne belle-mère) que Alice et son mari se rendent depuis huit mois chez eux. Heïm avait annoncé ce danger. Explication de tous les problèmes que nous avons : dernièrement, lettre anonyme envoyée au Crédit foncier qui a financé l’achat de l’immeuble sis avenue Roger Salengro à Chaulnes.

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Château d’Au, le 15/04/96.

Ma bien-aimée complice,

Je viens d’achever mon déjeuner dans le parc du château en cette magnifique journée printanière. Les oiseaux chantonnent de toutes parts autour de moi, quelques croassements plus lointains me rappellent qu’il faudra trucider quelques corbeaux pour qu’ils nous laissent en paix ; le soleil me chauffe les bras et la tête.

Ravissement de notre dialogue d’hier au soir. Fondamental penchant pour toi Sandre, et bonheur immense de venir te voir à la fin de cette semaine. Le bien que tu me fais par ce que tu es va peut-être faire s’évanouir cette méfiance qui ronge souvent mon rapport aux autres.

Je reprends tes derniers courriers pour remplir mon vœu de transparence.

Ta carte des amants enlacés de Klimt constitue-t-elle un appel ? Elle m’évoque la phagocytose plus ou moins digérée de deux humanoïdes en rut. Tu apprécieras mon sens de l’art moderne, sans vouloir te choquer.

[Tu es très mignon quand tu oublies des mots dans ta jolie prose.]

Voudrais-tu me dire où j’ai fait des cochonneries, hé hé... aurais-je oublié quelques mots dans une de mes correspondances ?

[Je vais t’offrir un coffret à missives, tu vas en avoir besoin ?]

Je veux bien d’un joli coffret peint par toi, ma généraliste préférée.

[Tu trouveras dans cette lettre les poèmes dont je t’avais parlé. C’est ma foi bien romantique tout ceci. Décalé par rapport au quotidien barbare.]

Merci pour ces jolis vers que je vais m’empresser d’ingurgiter dès que Chronos m’en laissera le loisir. J’ai au château une panoplie de poètes à ma disposition, et donc à la tienne. Emets tes désirs et je m’efforcerais de les réaliser.

[J’ai eu plein d’œufs en chocolat, je vais devenir une grosse dondon si je les mange tous. Tu ne veux pas m’aider ?]

Je suis à ta disposition pour dévorer toutes tes confiseries, y compris ton délicieux berlingot... (oh le cochon vingt dieu !). (Gros rire gras après une bâfrée de frites...)

[Tu aimes le foot ?]

A crénom de bordel d’enflure de cacatoès de sportifs à la noix véreuse ! J’abhorre le foot...

[Comment s’appellent les chiens du château ?]

Belle la chienne, Théo et Patouf-chien les deux mâles. Moi c’est Loïc, mâle aussi.

[Connais-tu Edvard Grieg, Sibelius ? J’oubliais Debussy.]

Je suis très nul en musique classique, mais je ne demande qu’à apprendre... J’ai une amie à Paris qui est violoniste...

[Connais-tu Saint-Honorat et Sainte-Marguerite ?]

Elles ne m’ont pas été présentées...

A tout de suite ma Sandre.

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Du train Paris-Laon, le 23/04/96.

Immanente Sandre,

Bien calé dans la banquette du monstre d’acier, Sting en rythme dans mes cavités aux trois osselets, j’active la bille, à défaut de plume.

Week-end de révélations pour moi qui n’ait pas de tendance mystique. Ta rencontre m’a fait un bien précieux. Tes qualités fondamentales d’intelligence, de sensibilité, de féminité, de pétillement, de sensualité prête à se dévoiler, de rigueur fleurant bon l’intégrité naturelle, m’ont confirmé dans mes présages. Le désespoir constructeur qui t’anime, attitude typiquement aristocratique, intensifie cette symbiose naissante entre nous. Je sens tout simplement que tu peux me rendre heureux, utilité essentielle donc de notre rencontre, au contraire de ce que tu semblais redouter.

A moi de surmonter mes atermoiements et de modérer les effets d’une quête vaine de l’entéléchie féminine. Ce conflit intérieur se dissipera, je l’espère, face aux belles perspectives que tu pourrais m’apporter. Mon besoin charnel de toi sera un des éléments déterminants, et je devine en toi des potentialités qui n’attendent qu’à s’épanouir.

A toi, aussi, de me dire sans fard ce que tu attends et espères de moi.

La douceur enivrante d’une mélodie, la mélancolie troublante d’instants partagés, et me voilà glissant vers les songes, bercé par le tangage ferroviaire...

A toi, ma tendre, pour le meilleur.

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Le 24 avril 1996.

‘tite Muse, Sandre douce,

Un petit présent pour toi en hommage à toutes les touchantes choses que tu m’as écrites. J’espère que la chute de la dédicace que je t’ai écrite dans ce recueil ne te choquera pas... C’est une coquinerie facile, mais une gourmandise de toi bien réelle.

Par manque de temps, je ne peux t’inscrire tout le bien que tu me fais... mais sache que mes pensées vont intensément vers toi.

Je t’embrasse très tendrement ma douce...

[Dédicace sur un exemplaire de Heïm et les gros niqueurs.]

A toi ma Sandre,

Ce recueil de textes au vitriol, joyeux, turbulents et incisifs ; Heïm et les gros niqueurs va à l’encontre du monde des « mollusques » que tu abhorres...

Très tendrement...

Si j’osais... Ton doux niqueur... avec tout son amour.

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Jeudi 25 avril

17h25, Au. Je prends le train de 19h12 à Marle-sur-Serre pour Paris via Laon. Demain, départ pour Limoges où se tient un Salon du livre pendant trois jours. Je retrouverai Madeleine Chapsal qui a très gentiment accepté de préfacer un ouvrage de référence sur le Limousin que nous allons rééditer. Nous profitons de l’importante manifestation culturelle (500 auteurs invités, 100 000 visiteurs attendus) pour lancer la souscription de cet ouvrage.

Les frais des auteurs, auxquels je suis assimilé, sont pris en charge par la mairie de Limoges (train, hôtel, restauration).

Mon week-end avec Sandre s’est merveilleusement passé. Découverte d’un petit bout de jeune femme adorable et réunissant les qualités principales que je recherche chez une demoiselle.

Elle respire l’intelligence, l’intégrité, la rigueur et le pétillement. Tous ses comportements me sont doux. Sa sensualité et son épanouissement à venir laissent présager un équilibre fondamental sur le plan charnel.

Depuis mon retour dans le nord, ses lettres sont véritablement enflammées. Je crois pouvoir envisager une relation très sérieuse et très joyeuse avec ma Sandre en braise. Enfin, ce bonheur dans l’amour, l’aurais-je rencontré ?

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Train en partance pour Limoges, le 26 avril 1996

Sandre, mon aimée,

Dans mon gros cartable noir, un dossier spécial avec les cinq cartes et lettres reçus depuis lundi, et le nécessaire pour te répondre.

Juste avant mon départ, je trouve dans ma b.a.l. un paquet déjà familier. Merci ma Sandre adorée pour ce joli livre et pour sa tendre dédicace. Mes bagages, déjà au complet, n’ont pu l’accueillir, mais je m’empresserai de découvrir l’histoire de la capitale des Gaules à mon retour.

J’ai donné ta photo prise au château de Blois à reproduire en deux exemplaires : une à découper pour mon portefeuille, l’autre pour mon album. Ainsi, entre tes écrits et ta silhouette, tu m’accompagnes à chaque instant.

Sandre ma ravissante, l’alchimie de tes mots passionnés, la fraîcheur de tes exclamations attentionnées, l’élan sans ambages de chacune de tes phrases m’emplissent d’un bonheur depuis longtemps espéré.

Je vais à nouveau m’adonner à l’un de mes grands plaisirs : répondre à tes multiples interrogations. Dissiper tes angoisses sous-jacentes est aussi un devoir.

Je voudrais en effet que ce rapprochement mutuel, où la fusion serait comme un horizon sans cesse renouvelé, dévoile nos vies, nos tourments, nos pensées, nos saillances existentielles. Belle Sandre, je te désire dans tout ce qui te constitue, dans tes arcanes les plus inénarrables, dans les sédimentations de ton âme et de ton passé, dans ton corps à apprivoiser...

Ne crois pas que je me réduise à l’un de tes songes. Je suis, chaque jour, plus ancré dans ton existence. Persécuteur, oui, pour que notre amour se charge des plus enivrantes couleurs. Ces « germes d’amour », comme tu l’écris, n’ont rien de la pousse éphémère. Prenons exemple sur les cèdres bleus que nous avons vus ma Sandre, et que les années nous rendent magnifiques.

Mon désir de toi se révèle aussi corporel, faire exulter tes antres, boire à tous tes calices, te réchauffer par mon corps et mon fluide... Une correspondance coquine avec toi serait peut-être le moyen d’entretenir nos brasiers charnels... et le plaisir dualiste doit aussi pouvoir s’incarner en discours et en écrits. Nous sommes en cours pour être l’un à l’autre, ne nous refusons pas ce qui est un des éléments importants de notre lien. La géographie nous distancie, mais nous vivrons nos émotions par ce moyen de toujours.

Chaque ouverture de tes enveloppes me réserve un bien supplémentaire, et c’est trois-quatre fois que je lis ta petite musique épistolaire. Et des mots aux gestes, ta sagesse restera celle de ton intégrité humaine, de ton sérieux et de ta morale. Nos ébats rimeront avec don de soi.

Je vais profiter de ce week-end du livre pour me laisser bercer par tes poètes préférés.

[Quelle est donc cette « quête de l’entéléchie féminine » ?]

C’est la volonté de dénicher la muse de ma vie, qui m’inspirera au plus haut point dans sa vie, son âme et son corps. L’existence rabat les recherches d’absolu... Mais peut-être que par toi je rejoindrais ce point de mire...

[En quoi ton « besoin charnel » de moi sera-t-il un « élément déterminant » ?]

Je suis un coquin-né, un gourmand des plaisirs sensuels et sexuels, et j’ai toujours été obligé de brider mes instincts : soit que la jeune fille était moins délurée que moi, soit que je ne la désirais pas assez, soit que le caractère éphémère de la relation privait de l’essentiel tout rapport. Avec toi, je sens que ces trois points ne s’interposeront pas et qu’une dimension supérieure embrasera nos enlacements.

Je commence à éprouver une forme d’enchan­tement. Ta présence, quelle que soit sa forme (tu peux aussi m’enregistrer des cassettes de ta voix) est devenue essentielle à l’équilibre de mes jours. Ton corps reste encore pour moi dans une nébulosité nocturne, mais de ce que j’en ai goûté j’en suis déjà accroc...

[J’aimerais te voir souvent, l’attente est difficile. Pourquoi ne résides-tu pas à Lyon ? (Sourire)]

La distance est certes ennuyeuse, mais je veux que tu achèves tes études. Venir m’installer à Lyon ou toi à Paris, au-delà du bonheur quotidien, ne nous aiderait pas dans les tâches que nous avons à accomplir. Je sais que tu blaguais, mais je sais aussi que nous avons tous les deux profondément envie de cette vie commune... J’essaie de mettre un peu de raison dans tout cela, héhé ! Et la préservation farouche de ton indépendance ?

[Est-ce que nos étreintes te manquent ? N’as-tu pas de limites dans les draps de tes alcôves ? As-tu déjà écrit des lettres d’amour ?]

Oui tes étreintes me manquent, la danse de tes courbes, le nacre de tes jambes, le velours humide et brûlant de ta bouche et de ta petite chatte, les petits cris aigus que tu me réserves... Oh, oh là, on se calme...

Point de limite dans notre alcôve, si ce n’est celle de nos propres plaisirs... Nous avons tant de choses à découvrir ensemble... c’est l’œuvre d’une vie. J’espère qu’à la lecture de ces lignes tu percevras la dissipation de mes incertitudes.

Je n’ai personnellement que peu écrit de lettres d’amour... Je suis d’instinct plus porté au déconnage ou à la réflexion littéraire... Mais je me sens en mutation, grâce à toi.

[Seuls tes tourments intérieurs te font donc peur ?]

Je crois que tu as bien saisi : c’est de moi que je dois me méfier, et non de toi, mais je connais ma capacité à me diriger en état de croissance. Si inquiétudes ou doutes il y a, tu en seras la première informée.

Mon train passe en ce moment à Vierzon. J’espère t’avoir rassuré sur mon penchant et te retrouver dans mes bras très bientôt.

Je vais reprendre les Mémoires interrompus de François Mitterrand, commencés hier lors de mon voyage de Laon à Paris et fort passionnants. Le politique n’est vraiment pas dans mon cœur, mais le destin de l’homme, son amour charnel pour la France et la stature d’homme d’État qu’il a acquise me réconcilient avec celui que je surnommais dans mes chroniques, un peu affectivement ma foi, Fanfan mité.

Sur ce, je pense toujours à toi, Sandre, ma bien-aimée. De brûlants baisers.

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Le 29 avril 1996

[Carte avec le tableau Moisson de Karl François Daubigny]

Sandre braisée,

De retour dans les vieux murs de la nationale, j’ai à mes côtés ta délicieuse et très jolie carte au nœud rouge. Sans écrit nouveau de toi depuis vendredi (non inclus) je commençais à être en manque.

Petit paysage champêtre pour te rappeler nos déambulations dans la bourgeonnante nature.

Je pense pouvoir venir le vendredi suivant, le 8 mai.

Baisers goulus.

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Laon, le 30 avril 1996

[Carte avec le tableau La méridienne (d’après Millet) de Vincent Van Gogh]

Une envie de foin avec toi ma Sandre adorée (pas en deux mots, hé hé) ? P’têt’ ben. Je retourne au bercail et je vais mettre un coup d’accélérateur à la rédaction de mon mémoire.

Limoges nous a reçu comme des princes, mais je me suis senti un peu seul sans ma belle lyonnaise. Une touche de bleu pour toi, aux antipodes des Vents de gogues de mes chroniques.

Tendrement.

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Château d’Au, le 2 mai 1996.

Ma tendre Sandre,

Après un déjeuner du 1er mai qui s’est prolongé une dizaine d’heures, je reviens avec des frissons d’amour vers toi, ma douce.

[Pourquoi ce nom de poisson, par analogie à Sandre ? Ou pour me tendre une « perche » : c’est fin comme ma chair !]

J’officialise l’explication que je t’ai donnée pour le petit nom Sandre. Au-delà de la simple réduction de ton joli prénom, je faisais allusion par homophonie au chat gris que tu as recueilli partiellement, le capricieux Cendre. Mais je ne renie en rien ton propre apport à l’exégèse : la finesse de ta chair et l’excellence des antres valent bien la succulence du poisson acanthoptérygien. Ceci simplement écrit...

[Tu ne pourrais pas m’envoyer une jolie copie de toi ?]

J’essaie, dès que possible, de te dénicher une belle vue panoramique de ma géographie... En espérant que tu n’aies pas le vertige ma Sandre... Faut bien que j’me fasse un peu de bien comme je n’ai pas reçu de parchemin sandré aujourd’hui.

[Connaître quelqu’un à un point x est à mon avis un peu réducteur. Je préfère une vision d’ensemble, version grand angle.]

Pour ne pas cultiver l’opacité de mon passé, je te prêterai la tranche de vie consignée dans mon Journal tenu depuis août 1991. Tu m’auras à l’état brut. Tu découvriras le gâchis exemplaire sur le plan sentimental et professionnel. Que cela ne t’éloigne pas de moi, car je ne suis plus le même qu’en 1993 et 1994...

[Nos « brasiers charnels » ont ils besoin d’être entretenus véritablement ?]

Cet entretien ne doit pas s’envisager comme un devoir mais comme un plaisir. Nous tendons à être l’un à l’autre, ma gourmandise sensuelle et sexuelle t’est donc toute entière dédiée...

Je te crois foncièrement saine et équilibrée lorsque tu es en confiance. Je ne me fais aucun souci pour nous sur le plan de la communion des corps et des esprits. « Aristocrate dans la vie, salope dans mon lit » comme dirait Heïm...

[Pourquoi dit-on Byzance pour l’abondance de quelque chose ?]

Allusion directe à sa puissance commerçante après son indépendance (358 av. J.-C. ). Ce n’est qu’en 330 ap. J.-C. qu’elle est intégrée à l’Empire romain et choisie comme capitale par l’empereur Constantin, d’où Constantinople.

Tu vois que je sais rester sage.

A très vite... toutes mes caresses sur ton corps, tous mes baisers...

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Vendredi 3 mai

0h53. Je quitte à l’instant ma Sandre. Notre rapport est un enchantement : douceur, complicité... Elle est très sévère sur elle et son apparence physique. Même...

Pas très inspiré ce soir...

Dimanche 5 mai

Je reprends mon éloge à Sandre. J’ai eu droit à plus de cinquante lettres, depuis la mi-janvier, et ma rencontre avec Sandre m’a confirmé dans mon penchant pour elle. Un visage fin et sculptural, un peu sévère, un corps d’adolescente, doux et enivrant, et une âme de princesse. Je retourne la voir jeudi prochain. J’ai reçu, sur ma suggestion, deux cassettes de sa voix, ce qui me permet de m’endormir avec elle... J’espère savoir correctement l’aimer, et ne pas céder à mes atermoiements habituels.

Le Salon de Limoges s’est excellemment déroulé. Madeleine toujours aussi affectueuse et attentive ; Julie S., l’interprète de ses poésies, aussi complice.

Plusieurs contacts intéressants : Gonzague Saint-Bris à l’occasion d’un déjeuner au Bœuf rouge, le journaliste et grand reporter Jacques Derogy présenté par Madeleine, de grands sourires d’Eve Ruggieri et beaucoup d’autres moins connus.

Dans le train Limoges-Paris, Louise Longo, femme au destin tragique, s’assoit en face de moi. Bien qu’ayant perdu en 1994 son ex-mari et sa fille de huit ans en pleine mer, elle garde une foi admirable en la vie. Nous échangeons nos coordonnées après deux heures de conversation tous azimuts. Je la sens ému aux larmes lorsque je lui parle de l’intensité de la correspondance amoureuse que j’entretiens avec Sandre. Ses propres souvenirs catalysent ses émotions. Après Jacqueline Kelen, rencontré dans les mêmes conditions, le train Limoges-Paris me porte chance.

L’actualité n’emballe pas vraiment. Rien qui ne mérite une verve au vitriol.

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Le 6 mai 1996.

La suite de mes déambulations ma tendre Sandre. [Journal joint]

Oublié de te dire que tu pouvais écrire sur ces pages toutes les remarques, annotations, questions et réflexions (ou émotions) qui passent par ton esprit fertile.

A très vite ma Sandre d’amour.

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De la B.N., le 13/05/96.

Ma Sandre,

Déjà l’absence de ta silhouette m’est pesante.

Sitôt débarqué à la gare de Lyon, j’ai filé à la Nationale, et me voilà cherchant des localités du Rhône qui pourraient avoir besoin de l’exhumation d’un livre sur leur histoire.

Nous allons chacun reprendre nos rythmes après ces trois jours (et quatre nuits) d’une merveilleuse douceur.

Merci à toi de ce que tu es. De chaudes pensées et de doux baisers.

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Paris, le 14 mai 1996.

[Carte postale : photo d’Auguste Renoir dans sa propriété de Cagnes-sur-Mer, 1915.]

Amour de Sandre,

Renoir comme cordon ombilical de nos lumineuses figures sensuelles. Il aurait fallu saisir ces saillances fusionnelles pour tracer comme un horizon charnel.

La beauté d’être et la fraîcheur d’aimer, voilà ce qui m’incline vers toi.

Older de George Michael berce ma plume.

Ton prétendant.

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Le 14 mai 1996.

[Carte postale : photo de Louis-Ferdinand Céline à Meudon, 1955.]

Pour toi ma tendre Sandre,

Ce cher docteur Destouches et un charmant minou en pleine pose.

Avant de reprendre mon train corail à destination de Laon, les échos de ton touchant message faisant encore frémir mes trois osselets, je t’adresse mes plus déterminés sentiments d’amour, et les baisers des plus frôlés aux plus voraces.

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Quelque part dans un train, le 14 mai 1996.

Ma Sandre,

Plus au calme, je vais pouvoir remplir ces petits carreaux qui te sont dédiés comme autant de pores ouverts pour mieux te respirer.

Avant tout, l’actualité musicale : l’album dernière cuvée de George Michael, Older, est f.a.b.u.l.e.u.x. : la créativité qui s’en dégage, la profonde harmonie des mélodies, le timbre presque mystique de son chant, tout cela inspire au plus haut point. Si un soupçon de désir t’effleure, je peux te faire parvenir un enregistrement sur cassette. Nous aurons ainsi les mêmes musiques pour nous bercer.

Lu ton courrier qui devait m’arriver avant mon départ. J’espère qu’après cet enchanteur week-end prolongé tes angoisses se seront dissipées.

Comme toujours, ta curiosité tous azimuts me contraint (hé hé) à camper le rôle de l’informateur. Ma plume se fait un peu appuyer sur la pointe pour laisser s’écouler la noire, mais je me lance.

Une myriade de choses nous restera à faire lorsque je serai de retour dans ton Lugdunum que je désirerais plus ensoleillé, même si nous brûlons de l’intérieur : un ciel bleu n’a jamais fait ombrage aux truculences amoureuses.

Déambuler dans le musée Saint-Pierre à la recherche de quelques-uns de tes souvenirs, grignoter ensemble bien nichés au coin de l’Orangeraie, s’oxygéner de serre en serre... petit panorama de ce qui nous réunira bientôt.

[Aimerais-tu me voir avec mes lentilles, ou cela n’a-t-il pas une grande importance... à tes yeux ?]

Bien sûr que je préférerais tes yeux sans obstacle, à nu. Je n’ai pas encore eu ce privilège, hormis lors de nos communions corporelles. Réserve leur port, si tu ne les supportes pas pendant de longues durées, lorsque nous sortons, ton charme en sera grandit. Mais tu es aussi adorable avec tes discrètes rondes...

[Tu n’as aucune nouvelle de Alice ? Quel âge a-t-elle aujourd’hui ?]

Je n’ai pas de nouvelles précises de dame Leborgne depuis fin 1994, et je ne m’en plains nullement. Je sais seulement qu’elle a repris contact depuis quelques mois avec sa mère Line., ce qui n’est pas le signe d’un quelconque changement d’attitude. Qu’elle aille au diable, je m’en bas les gonades. J’ai fait mon autodafé de son souvenir. Elle a dû avoir 31 ans en janvier 1996.

[J’aimerais bien voir à quoi ressemble ta chambre ; tu connais mon environnement familier, pas moi.]

Je ne sais si le pied-à-terre parisien vaut le détour pour y trouver quelques traces de ma personnalité. Ce grand placard fonctionnel n’est pas de mon cru pour la décoration et l’ameublement, et je n’y ai laissé que le strict minimum. La plupart de mes affaires sont encore dans des cartons au château. Dans l’attente d’être plus solidement installé.

Hélène T., ma logeuse, ne voit aucun inconvénient à ce que je t’accueille, même si elle est présente.

Voudrais-tu m’expliciter sur quels points les garçons ne te comprenaient pas ? Et pourquoi ai-je moi ces clefs ? La progression de notre relation est-elle à ton goût ? Où trop précipitée ?

[La cassette de la douche t’a amusé et « puis autre chose », c’est quoi donc ? Cela t’a donné envie de moi ? Juste un peu d’eau suffit ?]

La scène (auditive) de la douche m’a en effet permis de passer un très bon moment compensatoire avec un ersatz de ta présence.

[On aura besoin d’une voiture là-bas, pour se balader ?]

Pour notre voyage à l’île de Ré, je crois qu’il serait préférable de disposer d’un véhicule pour nos commodités de déplacement. [...]

Voilà le tour des questions de ta dernière lettre reçue à Paris. Les moments que nous avons partagés sont intensément survivants dans mes fibres. Je nous présage beaucoup de douceurs à venir et l’inexorable rapprochement.

Cette correspondance tempère notre séparation spatiale et enrichit notre découverte réciproque aux bornes inaccessibles.

Je te souffle mes plus fruités baisers voyageurs. Tendrement tiens.

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Château d’Au. le 17 mai 1996.

Ma Sandre,

Très ému par ta carte au coquelicot. Je t’aime mon bébé, et rien de négatif ne doit germer en toi. Je suis aussi là pour t’aider dans les moments difficiles, même si ma réaction à chaud dramatise trop.

Point d’ombre pour moi, juste l’envie que ton combat réussisse.

Je reviens à tes courriers antérieurs toujours, à mon grand plaisir, truffés d’interrogations.

[Je ne t’ai pas parlé des détails concernant ma marâtre de mère : une autre fois.]

Je souhaiterais bien, en effet, connaître ces problèmes : que tu me les révèles au creux de l’oreille ou sur une page.

[J’espère, à l’avenir, devenir aussi coquine que tu le voudrais.]

Je ne doute en rien de tes capacités à la coquinerie. C’est moi peut-être qui veut trop tout de suite... J’essaierais de prendre ton rythme.

[Mad m’a demandé si cela ne t’avait pas trop perturbé de la voir ? Je ne le pense pas.]

J’ai bien évidemment été très heureux de rencontrer ta mad. Je comprends ton attachement profond à elle et la fidélité qui vous lie.

[Trouves-tu chevaleresque de me laisser rentrer seule chez moi cet été ?]

Ce n’est en effet pas très élégant de t’abandonner pour le retour de l’île à Lyon... Nous en reparlerons. Peut-être serait-il plus pratique que je reprenne un train depuis chez toi...

[Allons-nous nous voir que tous les mois pendant ce couple d’années ? Structure rigide dans ton esprit ? Comment vais-je juguler mes ardeurs à ton égard, tendre démon ?]

La fréquence de nos entrevues est pour moi essentielle à équilibrer. Cela, malheureusement, ne dépend pas simplement de nos désirs, sinon je serai toujours fourré (en tout bien, tout honneur) chez toi.

Je t’envoie, comme tu as pu t’en apercevoir, un assortiment de photos... les grandes ont été prises par Madeleine Chapsal lors de notre visite du château du Reynou (cf. mon Journal).

[Par quoi vas-tu remplacer tes séances de spéléo. nocturnes ? (Rires)]

La spéléo. corporelle me manque, en effet, mais je repense souvent aux mouvements délicieux de ton majeur sur... Une danse enivrante.

[Penses-tu que je puisse porter ma capeline noire pour le mariage ?]

Que tu vas être jolie avec... Si en plus tu avais une petite cape pour femme (dans les beiges)... ce serait un délire.

[Tu as quoi comme arbres fruitiers dans ton verger ? As-tu un potager ?]

Beaucoup d’arbres fruitiers que nous avons plantés : chaque arbre donnera une espèce différente de pommes, poires, abricots, mirabelles, cerises, prunes, etc. L’avenir s’annonce fruité.

Nous avons un potager... avec tout plein de choses...

 [J’ai reçu ta tendre carte. Une nouvelle douceur.]

Pour la noce de la carte, ce n’est bien évidemment pas une coïncidence... Rien n’est laissé au hasard ma Sandre...

Je n’ai pas compris de quelle sorte de virginité tu m’as fait présent. Pourrais-tu éclairer ma lanterne ?

Je t’aime, et pas pour de rire ! Tendresses et baisers.

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 Dimanche 19 mai

Le week-end dernier avec ma Sandre (du jeudi soir au lundi matin) s’est divinement déroulé. Un temps de chiottes à Lyon, mais une illumination que de vivre avec elle.

Les jours passant, j’aime davantage cette jeune femme. Elle est au fond tout ce que j’attendais pour une symbiose sentimentale : douceur et pétillement, intelligence et sensualité... Je nous crois bien engagé pour construire ensemble notre avenir.

Oublié d’indiquer la gentillesse de Madeleine Chapsal qui nous invite, Sandre et moi, à venir cet été dans sa maison de l’île de Ré. Nous devrions y filer une semaine après le mariage de Nadette M. les 13 et 14 juillet.

Heïm m’a confié la mise en place et les contacts à prendre pour une œuvre énorme, en sept volumes, de la fin du XIXe, sur le Cher : le fameux Buhot de Kersers. Nous devrions, par ailleurs, lancer un magasine mensuel en septembre prochain intitulé Histoire insolite, tiré entre 10 000 et 30 000 exemplaires et distribué par les nmpp. Je serai chargé des questions juridiques, des contacts avec le diffuseur, les institutionnels pour la publicité et la rédaction d’articles.

Ma correspondance avec ma Sandre d’amour ne se tarit pas. Témoignage fabuleux de l’intensité de notre relation, malgré la séparation géographique.

Elle vient en fin de semaine prochaine pour le week-end de Pentecôte. A Lutèce tous les deux, pour le meilleur et pour le sublime.

Rien de passionnant dans les médias et leur sélection pour l’actualité. A signaler la sclérose à tendance monomaniaque de Canal +, notamment dans ses émissions en clair du midi et du soir. Ça devient de plus en plus une chaîne au service du Pote système : anathèmes prémâchés envers les uns, complaisance systématique envers les autres, copinage intrinsèque.

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Train Laon-Paris, le 20/05/96.

Ma Sandre que j’aime,

Ne lésinons pas, le temps passant mon attachement à toi va croissant. Ma semaine va se tendre vers ce vendredi 23h05 à la gare de Lyon de Paris.

La complicité que nous avons à partager est sans borne. J’espère que tu ne me tiendras pas rigueur de la petitesse du nid-à-dodo et de son aspect qui n’est pas aussi impeccable que ton adorable appartement.

Rôle inversé, c’est moi qui te reçois et je tenterais, si le temps le permet, de te dévoiler les charmes de la capitale. A quand remonte ta dernière venue à Paris, et vers quoi vont tes préférences pour ce week-end ?

A tout de suite ma douce.

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Le 21 mai 1996.

Ma Sandre attendue,

Juste avant de choper mon Tchou-Tchou je te griffonne quelques mots.

Touchantes, de plus en plus, tes lettres, je les découvre avec une gourmandise accrue.

La tradition ne se perdant pas, je calque mes déambulations épistolaires sur tes inextinguibles interrogations.

[J’étais mal hier soir, j’ai pris un somnifère pour m’endormir, as-tu dormi toi ?]

Après notre conversation sur tes tracas médicaux, je n’ai pas été très serein, je dois l’avouer, mais mon sommeil ne s’est pas perturbé, car notre combat nous unira d’autant plus.

[As-tu fini de lire ton gros pavé ?]

Je n’ai pas achevé Renoir, l’ayant laissé dans mon nid parisien. Hélène T. ma logeuse, qui s’intéresse à la peinture, l’a adoré. Je le déguste par petites touches colorées, ce bel ouvrage.

[As-tu bien avancé ton mémoire ?]

J’ai débuté la rédaction de la deuxième partie, et j’espère avoir achevé ce brouillon rédactionnel à la fin juin. Je suis pris également par le lancement d’un mensuel Histoire insolite, dont je te reparlerai.

[As-tu déniché des trésors enfouis à extraire du passé de Lugdunum ?]

Rien encore cherché sur ton Lugdunum...

[As-tu lu mon livre-souvenir ?]

A quoi fais-tu allusion ? Serais-je déjà en liquéfaction neuronale ?

[Tu as des idées pour la fête des mères ?]

Non point. Pour ma maman, le meilleur des cadeaux serait qu’elle retrouve un travail...

[Tu as « massacré » les tampons attenants aux timbres, ça n’a plus de valeur (sourire). Ce n’est pas grave, c’est gentil de me les avoir envoyé.]

Désolé pour les timbres, je suis un peu balourd des paluches dans le découpage...

[Merci pour tes deux cartes même si je préfère, tu t’en doutes, celle de Renoir.]

Céline n’est donc pas dans ton cœur ? Que t’a-t-il donc fait ?

[Tu m’imagines en muse posant pour un inspiré du pinceau ?]

Certes tu n’aurais pas été un bon modèle pour Rubens, mais d’autres apprécient les lianes félines.

[Tu engraisses autant tes chats que celui de la photo ? (Rires)]

Nos chats bougent beaucoup et ne s’empâtent pas...

Désolé ma douce, à 17h30 je dois retrouver mon train.

Tendrement tiens.

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Au, le 22 mai 1996.

Sandre ma radieuse,

Je reprends mon questionnaire d’hier laissé en suspens.

[Pourquoi as-tu les clefs ? Parce que c’est toi, c’est bête, mais c’est juste. Tu n’es pas brusque, mais fougueux, grande différence. Tu as su toucher mon esprit, mon âme, avant de caresser mes courbes. Tu ne privilégies pas l’un au dépend de l’autre. C’est ça la clef : la communion est totale, s’inscrivant dans une globalité, et rien n’est « amputé ». Il n’y a pas le côté égoïste, sans écoute, et il y a un prolongement naturel entre la vie privée et celle de la cité. Tu ne me manifestes pas de l’intérêt que dans un lit. C’est un vrai partage, échange, et non pas un truc « fun ». J’admire la façon dont tu veux conduire ta personne vers un but, ta façon de m’écrire. Tu as la capacité de me troubler que beaucoup n’ont pas. Tu es droit. Ta parole donnée a de la valeur à mes yeux, alors que beaucoup en usent pour un oui, ou un non. C’est ce romantisme impétueux, cette fougue amoureuse, ce soin que tu as de moi, qui forment un tout. Tu ne m’obliges en rien. La transparence et la franchise dans nos discussions, nos paroles. La légèreté de tes caresses. Tu ne dissimules pas, tes sentiments sont réels, et ne sont pas un prétexte pour abuser de moi. Tu ne triches pas. Ce sont toutes ces choses qui font que je t’aime grandement. Je ne peux te dire, de façon précise, pourquoi j’ai le sentiment que c’est toi que j’attendais depuis si longtemps... Tu es le « concentré » de mes rêves depuis l’enfance. Je perçois une noblesse d’âme en toi mon Loïc. Ce Graal... Tu incarnes un esprit chevaleresque.]

Ton portrait de moi est infiniment touchant. J’espère démontrer dans les années qui viennent qu’il se justifie. Tu deviens essentielle ma Sandre, tu reposes mon âme et vivifies mes sens.

Se surveiller toujours, être à l’affût de sa propre médiocrité latente, guetter les chouïas d’affadissement pour, d’un coup salvateur, repartir : tels sont nos devoirs. T’aimer, tel est mon plaisir.

[Le format des photos n’est pas courant, mais c’est bien. C’est à ton image. Je te les rends vendredi, d’accord ?]

Les photos sont pour toi ma Sandre. Je demanderai à Madeleine Chapsal de nouveaux tirages des vues panoramiques. Je possède une très grande photo de moi (prise par Kate) où je trône, tel un corsaire, chemise blanche au vent, devant un navire... d’Euro-disney. Halte au mégalo !!!

[Tu ne voudrais pas que nous fassions des photos ?Au lieu d’avoir chacun des photos de l’autre, avoir une photo de nous. Je préfère le noir et blanc pour les portraits : le côté intemporel. Là, c’est moi qui va trop vite ? (Sourire)]

Je serais enchanté de figurer à tes côtés pour l’éternité en noir et blanc... J’ai une amie photographe qui pourrait nous prendre. Sinon, as-tu l’idée d’une autre personne pouvant acquitter cette tâche ?

[Le week-end prochain je pense que la spéléo va être difficile de réalisation, non ? (Rires)]

La spéléo chez moi est une chose tout à fait possible si tu consens à respecter la loi du silence... S’empêcher d'exploser attise encore plus le plaisir des profondeurs. Rien que d’y penser, j’en salive ma Sandre.

Pour cet été, hormis notre escapade à l’île de Ré, je ne sais pas si je pourrais prendre une autre semaine. Ce sera plutôt des week-ends prolongés. En août nous pourrions aller voir ma grand-mère ensemble.

Sur ce, je t’envoie des myriades de doux bisous.

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Le 23 mai 1996.

Virevoltante (attention, pas au sens figuré !) Sandre adorée,

L’auras-tu, ne l’auras-tu pas avant ton départ ? Seul le Bon et les ptt le savent. Je vais donc m’en tenir à l’intemporalité de mes sentiments pour toi.

J’ai reçu ce matin ta lettre datée du 20 mai où se nichent les « extases murmurées ». Tu deviens une divine poétesse dans tes courriers ma Sandre...

Toujours aussi abondante en questions, je suis toujours prêt pour y répondre. En avant, plume !

[As-tu goûté les petits cœurs en pensant à moi ?]

J’ai mangé, oui je l’avoue, quelques petits cœurs en pensant au tien qui bat avec tant d’élégance... Je fais du Cabrel là, ‘scuse !

[Vendredi prochain, je pense mettre un tailleur noir avec mes escarpins. Je ne pousserai pas le vice jusqu'à mettre un p.j. D’ailleurs, aimes-tu cela ?]

Ta tenue d’arrivée m’a l’air très appétissante ma foi... Je te promets d’attendre notre arrivée au nid avant de la goûter.

Les p.j. comme tu dis... bof, pas vraiment dans mes obsessions. Tu portes très bien le collant, avec ton corps d’adolescente...

[Quel(s) genre(s) de sport(s) regardes-tu à la télévision ?]

Pas vraiment très accroc du sport à la télé... Quand cela m’arrive ce sera plutôt du tennis, de la Formule 1, voire parfois de la boxe comme tu l’as lu dans mon Journal (test d’attention !).

[Quel a été le résultat de ta visite chez l’ophtalmo ?]

Résultat pour mes yeux : stable situation, légère modification pour le gauche et lentille en mauvais état pour la droite... Stable donc, mais changement global nécessaire.

[Que dis-tu concernant nos modalités de rencontre ?]

Pour mes proches, je dis la vérité : 1er temps en 1992, puis reprise de contact en 1996. Pour les accointances je n’en parle pas...

[Tu sais que tu es encore plus mignon quand tu as les cheveux ébouriffés ?]

Je ne savais pas que mon charme s’intensifiait avec le bazar de ma chevelure... Mais oui, ma Sandre, je me décoifferai sauvagement pour toi... dans l’intimité, hé hé !

[As-tu réfléchi aux variations « aquariales » ? Je suis sans cesse effleurée par le désir de toi. Le bâillonnement a-t-il encore des secrets pour toi, cher ange ?]

Pour nos variations en alcôve réduite, nous improviserons... Nos talents se conjugueront au poil... Quant au bâillonnement, heu... nous verrons si tu ne sais pas te tenir (hé !).

[Cette glace à la poire est un délice... et du Loïc glacé, c’est comment ?]

Glacé, le Loïc a une irrésistible tendance à devenir de la crème fondue... surtout en brûlant pour toi.

[Pour le mariage, voudrais-tu que j’ai les cheveux libres, ou attachés comme pour le gala ? Genre chignon sophistiqué ?]

Je préfère tes cheveux au vent, ma douce, sauf si la tenue exige une sophistication...

Je file à table... Je t’embrasse et je t’aime mon enchanteresse...

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Le 24 mai 1996, 16h30.

Ma Sandre,

Dans quelques heures nous nous retrouverons réunis, mais quand tu liras cette carte, nos doux et bons moments passés ensemble ne seront plus qu’un souvenir.

Pour être encore proche de toi à ton retour, mes plus tendres pensées.

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Mardi 29 mai

Week-end de la Pentecôte avec ma Sandre d’amour. Un temps de chiottes, mais une totale symbiose entre nous, et un épanouissement sensuel prometteur. A Lutèce, nous avons visité notamment les musées d’Orsay et du Louvre.

Le lancement du Buhot de Kersers sur le Cher se prépare... Il faut mettre les turbos.

Beau temps au château, j’achève la rédaction de la deuxième partie de mon mémoire... Je suis confiant pour ma soutenance...

Reçu aujourd’hui une carte adorable de Sandre et une lettre de mon ancien professeur de français (en quatrième et troisième), M. Jean R., aujourd’hui à la retraite dans une petite commune de la Haute-Marne (Doulaincourt), visiblement touché que je reprenne contact avec lui.

Dans l’émission Etat d’urgence de Cavada, consacré au foot et à l’argent, un portrait du joueur Cantona et une synthèse de sa carrière. Personnage attachant et plein de reliefs. Hommage d’un qui n’a rien à foutre du monde de la baballe.

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Au, le 29 mai 1996.

Cher Monsieur,

Très touché par votre réponse, et ravi que vous vous soyez retiré dans les belles régions de la Haute-Marne et de la Franche-Comté. Cette Haute-Marne a retenu toute mon attention au troisième trimestre 1995 dans le cadre de mes activités éditoriales. Nous avons en effet exhumé le magnifique ouvrage d’Emile Jolibois (copies de la couverture, du quatrième et du passage traitant votre commune) préfacé pour l’occasion par le président de la Société archéologique de Langres. Ce magnifique dictionnaire des communes de près de 550 pages date du milieu du XIXe s., et il était grand temps que nous lui redonnions une nouvelle vie.

C’est vrai, je l’avoue, vous êtes le seul professeur avec qui j’ai eu envie de reprendre contact. Le souvenir de votre enseignement, l’alliance que vous faisiez entre une curiosité tous azimuts et une juste sévérité, et surtout les encouragements que vous m’avez faits pour l’écriture ont forgé ce besoin de vous rendre hommage.

Je joins également à ce courrier l’introduction et le plan détaillé de mon mémoire de lettres modernes que je rendrai en septembre. Aviez-vous conservé les textes que je vous avais remis il y a quelques années (en 1988 je crois) ?

Le sérieux de ce travail universitaire ne m’enlève pas mon goût pour des textes plus pamphlétaires que je vous enverrai une prochaine fois.

Au plaisir de vous lire et de vous revoir. Très amicalement.

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Le 29 mai 1996.

Ma Sandre d’amour,

Reçu ta carte d’émotions qui m’a beaucoup touché. Je suis, moi aussi, un peu morose de cet éloignement, mais heureux de notre attachement.

Je ne pensais pas que tu cachais tes larmes lorsque nous avons eu le petit stratus... J’en suis désolé... mais comprend ce que j’ai pu ressentir, même si j’ai tout interprété très mal.

Le temps est bleu et rayonnant... c’est rageant d’avoir loupé cela.

Je ne te prends pas trop de temps ma douce... Beaucoup de courage à toi... et plein de baisers, de caresses... et tout ce qui suit...

A très vite.

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Au, le 31 mai 1996.

Ma Sandre désirée,

A nouveau bercé par ta petite musique épistolaire, je suis enchanté. Bientôt, quand tu auras fini tes examens, je t’apprendrai l’enfer (délicieux) sensuel et coquin que nous pouvons créer par l’écriture. Ceci rapprochera nos chairs et nos âmes. A l’émotion de tes douceurs s’ajoutera la passion charnelle dans toute sa folie. J’en salive déjà, et notre jardin secret s’enrichira de nos exaltations.

Pour être sérieux ma Sandre : ancrage d’une envie et d’un besoin de construire avec toi une forme de bonheur...

A toi mon amour éloigné.

Fougueusement tiens.

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Le 3 juin 1996.

Au creux grisant de leur courbure, je goûte à leur ferme rebondi dont la nature les a dotées. Charnues, oui, nous pouvons l’inscrire sans excès et sans délire fantasmatique. Certes, elles ne m’ont pas encore accueilli jusqu’au tréfonds de leur embouchure, mais j’y parviendrai par l’alliance de la douceur et de la détermination.

La teinte nacrée, la texture de soie chaude, elles ont la discrétion des vierges contrées et la complicité d’adolescentes assoiffées.

J’y exerce mes sens exacerbés jusqu'à l’heureuse perdition : je les mire dans leur frémissement, je les sens brûlantes sous mes phalanges, j’ois leur enchanteur ballottement, j’inspire la fragrance de la raie en ébullition et je reprends des saveurs de leur fraîche rose des vents...

Oui, Sandre, je l’avoue, je les aime !

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Laon, l’An 96, un 5 juin ensoleillé.

Sandre mienne,

Comme un écho de tes soupirs dans le crâne, « j’ouïs le feu des orifices » disait une de mes dérives poétiques, avec d’ailleurs une incorrection verbale.

Nous avons presque aboli les contraintes géographiques pour satisfaire nos penchants réciproques. Essentiel à moi, Sandre, que tu continues à te confier, à me conseiller, à susciter ce qui t’enivre, à progresser vers ces instants d’exceptionnelle perdition.

Cette quête d’une symbiose irradiante des corps et des âmes est en voie, peut-être, de réalisation.

Ces frissons immergents que tu m’évoquais hier, en nocturne, me reviennent en flopées d’émotions.

Gageons que nous nous serrerons bientôt...

Bon courage pour tes révisions et vœu de réussite. Tendres désirs d’un fougueux.

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Château d’Au., le 5 juin 1996.

Ma tendre Sandre,

Depuis mon dodo, tes courriers à mes côtés, je vais m’efforcer de rattraper le retard accumulé. Séance réponses donc...

[J’ai pensé à toi en allant à la pharmacie. Il existe une espèce d’urgo qui permet de ne pas ronfler : je n’y crois guère. Tu l’as dit à Karl que j’étais la seule à te l’avoir fait remarquer ?]

Je serais bruyant du tarin... tu confirmes les propos de Karl que je ne croyais pas. Mes ribaudes antérieures étaient soit sourdes, soit hypocrites... C’est tout de même terrible le concert nocturne en deux narines et trente-deux dents que nous allons faire.

[Ce désir de toi est grandissant, terres inconnues. Quand prendrons-nous à nouveau un bain ensemble ? Quelles sensations éprouve-t-on à faire l’amour dans l’eau ?]

Je me rebaignerai volontiers à nouveau avec toi et ta mousse hémorragique... Et pour s’unir, c’est quand tu veux. Je présume qu’une partie de sfouac-sfouac aquatique doit amplifier les sfouac-sfouac !!! Pour le reste, j’attends de le vivre avec toi. Et un soixante-neuf en apnée, ça te tente ?

[As-tu rêvé de moi ? Il y avait une table dans ce rêve ? (Rires)]

Pas de souvenir de rêve érotique avec toi. Pas d’explication à te fournir pour me justifier. En revanche, la proposition de réaliser une rencontre charnelle sur table reste très sérieuse.

[Me feras-tu des cajoleries contre ces arbres centenaires : franchir ces ponts qui mènent au ciel ? Tu sais que tu as un côté sauvage, animal ? (Sourire)]

Un plombage contre l’écorce d’un centenaire me semble plus difficile à réaliser, mais on tentera de se trouver un coin de nature... vierge où se débaucher. Et mon côté animal que tu décèles entre deux draps pourrait trouver là un terrain d’épanouissement supérieur.

[On rentrera dormir chez moi après la soirée à Mépin ?]

Bien sûr, nous retrouverons ton nid... Tu verras que nous vivrons notre propre noce érotico-sensuelle, voire carrément pornographique.

[As-tu mis de nouveaux épisodes à ton Journal ?]

Peu écrit dans mon Journal, peu de temps en fait. Le peu dont je dispose, je te le consacre par cette correspondance... Mais je parle un peu de toi tout de même, et en bien évidemment. [...]

[Tu penseras à m’envoyer des photos de tes petits chatons ?]

J’y pense fortement, mais ce n’est pas moi qui les possède... J’essaie de les récupérer depuis quelques semaines. Courage et patience.

[Cela t’ennuie si Fab est là à Cannes ?]

Si je viens à Cannes, ce qui demeure malheureusement hypothétique, je serais enchanté de connaître ton cousin. Aucun problème pour moi.

[Crois-tu que je serais mieux si j’avais moins une silhouette d’adolescente et plus celle d’une femme ?]

Sur ton corps, tu connais tes défauts, tu sais ce que j’aime chez la femme, mais tu sais aussi combien je te désire... Je crois qu’une détermination fondamentale est là pour transcender nos imperfections réciproques. Je n’ai rien à demander sur ce que tu ne peux pas changer... Par contre, si je sais que sur un élément particulier tu peux évoluer, je te le dirais avec beaucoup de tendresse, et pour ton bien. Voilà ma Sandre aimée. Délicat sujet non ?

[C’est étrange, tu n’as pas un goût amer.]

Pourquoi le sucré de ma semence te paraît-il étrange ? N’est-ce pas là encore une espèce d’alchimie que tu réalises par ton désir et ton amour ?

[Tu te rends beaucoup maître de tes extases, non ?]

Je le crois, bien que l’instinct conduise une partie essentielle de mon comportement sexuel. [...]

[Quelle est cette forme de bonheur dont tu m’as parlé dans ta dernière lettre ?]

Cette idée d’un bonheur à deux ne repose ni sur la passion, ni même sur l’amour. C’est la volonté fondamentale de deux êtres de construire quelque chose, avec ou sans enfants, pour accroître une harmonie faite de concessions, de compromis et surtout d’une moralisation absolue.

[Penses-tu que ce serait une bonne idée pour moi de changer d’appartement à la rentrée (pour prendre plus grand) ?]

Difficile de te conseiller. Si des questions d’économie financière existent, tu as probablement raison. Si cela n’est fondé que sur la taille, je ne vois pas une utilité pressante... Mais tout cela est un avis consultatif, comme on dit en droit, qui ne te lie en rien...

[La maison de ta grand-mère se situe où exactement ?]

Elle réside à Fontès, à une trentaine de kilomètres de Pézénas (ville de Molière) dans l’Hérault. [...]

[Tu sais que je n’avais jamais goûté et a fortiori bu la salive de quelqu’un ? C’est une coutume des amants tu nord ? (Sourire)]

La boisson salivaire est une pure invention de ma pomme. J’aime ta bouche et j’aime y boire. Jamais je n’avais fait cela avant. Et toi, aimes-tu cela ?

[Quand as-tu fait ta mononucléose ?]

En février je crois... à vérifier.

[Loïc, penses-tu que je devrais pardonner à mes géniteurs ? Que je devrais me réconcilier avec eux ?]

Je n’ai pas le droit de te conseiller, ça t’est trop personnel.

[As-tu déjà mangé de la confiture de roses ? As-tu déjà goûté aux pavés roses de Reims ?]

Je crois connaître la confiture de roses... et oui pour les pavés de Reims.

Un peu bâclé la fin, pardonne-moi. Mes bisous sont néanmoins profonds et intenses.

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Le 8 juin 1996, depuis un train.

Ma Sandre,

Je suis parti du château la gorge un peu serrée suite à l’écoute de ton message sur mon répondeur. Alors nous voilà tous les deux sur le pavé, presque miséreux ! Toi qui ne pouvais imaginer de ne pas me voir pendant plus d’un mois, te voilà résignée à une absence de soixante jours, en espérant que nos projets de juillet résistent aux carences financières...

Non ! ma Sandre, je ne me résous pas à ta non venue le 29 juin prochain. Ce serait une trop grande déception (peut-être même un chagrin) pour Heïm, d’autant plus s’il en connaissait la raison. Il m’en voudrait beaucoup. Je te prends donc intégralement à ma charge. Je me débrouillerai.

J’espère que cette nouvelle décision n’était pas liée à une volonté de mise en parallèle par l’annulation des deux voyages.

Journée radieuse au château, mon bronzage se fait de plus en plus coloré.

Premier comité de rédaction pour la revue Histoire insolite que nous allons lancer en septembre. Un travail immense et passionnant nous attend. Je suis plus spécialement chargé des questions juridiques, de la recherche publicitaire auprès d’institutionnels, d’agen­ces, etc., de la recherche iconographique, de la supervision des textes qui doivent être faits (fonction de secrétaire de rédaction) et bien sûr de la ponte d’un ou plusieurs articles. Tu vois le poids de ma charge chère Sandre.

Désolé de cette relative froideur à ton endroit, mais seul un fond de tristesse la justifie.

J’espère que le voile se dissipera vite. Ton bien-aimé.

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Paris, le 10 juin 1996.

Ma Sandre à embraser,

Je te griffonne ces lignes depuis les bords brûlants de la fontaine du Palais-Royal.

Je tenais par la présente à contrebalancer la teneur de mon dernier courrier quelque peu alarmiste et dramatisant.

Nous retrouver au moins une fois en juin m’est indispensable pour ne pas sombrer dans une néfaste morosité.

Nos retrouvailles autour de voluptés verbales, d’abandons aux coquineries (avec le [o] phonétique qui te transporte) téléphoniques compensent certes notre éloignement, mais la carence de toi demeure puissante. L’échange de nos fluides, les frissons d’un serrement de tes reins, mon oreille à l’écoute des secrets de ton nombril, l’inexorable glissement coordonné dans tes niches charnelles...

Voilà pour l’instinct. Une autre fois pour la raison. Très tendrement.

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Depuis un train capricieux, le 11 juin 1996.

Mon amour de Sandre,

S’il convient de se faire une raison de ce manque de toi, l’obsession n’en demeure pas moins oppressante. Ma Sandre avec qui je voudrais tout vivre, tout tenter et qui se fait désirer sans pouvoir assouvir la bête gourmande.

Plus notre harmonie fondamentale sera profonde, nos accroches mentales inexplicablement bienfaitrices, mieux s’épanouiront nos communions sensuelles.

Une réflexion à brut : c’est bien la première fois que je n’appréhende pas une quotidienneté avec une jeune femme, mais que, au contraire, je l’attends avec une sereine plénitude envisagée.

Que ne m’as-tu pas encore raconté sur toi ma Sandre, tes angoisses passées et tes espoirs présents ? As-tu avec moi ces mêmes affinités sur la manière de concevoir une vie à deux que tu sembles commencer à en avoir dans nos intimités charnelles ?

Dans l’attente insatiable d’ouvrir tes lettres et tes cuisses, tes feuilles et ta bouche... Baisers d’amour ma Sandre...

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Le 12/06/96.

Rien que pour ma Sandre

Ma douce envoûtée,

Je sors de la seconde lecture de ton courrier enflammé. Une véritable jubilation du verbe, du mot, de l’expression bien amenée. J’en suis encore tout troublé.

Tu es précieuse ma Sandre, et j’espère t’aimer avec une fougue croissante. Avec toutes ces puissantes images que tu m’as suggérées, je regrette d’autant plus notre éloignement.

Sandre d’albâtre pour la peau, fauve pour l’âme, j’espère que nous incarnerons un parangon de dualité sans retenue.

Quelques petites réponses :

[Tu as ta tenue définitive pour le mariage de Nadette ?]

Pantalon de lin crème, veste noire à acheter et une chemise à déterminer. Nœud papillon ou cravate... En bref : très flou.

[J’aimerais bien me remettre au piano, à la danse, et reprendre mes langues étrangères (anglais, espagnol). Mais où trouver le temps nécessaire ?]

Une bonne idée de te remettre au piano, une touche noire par-ci, un carcinome par-là, un accord de blanches de ce côté, une palpation de l’ampoule rectale de l’autre... Virtuose ma Sandre !!! Hé hé.

[Madeleine Chapsal est sortie avec un ministre dans le passé ?]

C’est avec le fondateur de l’Express, Jean-Jacques Servan-Schreiber que Madeleine a été mariée. Pour le reste (hormis l’écrivain Roger Nimier) je ne connais pas ses aventures.

Dans l’attente de te retrouver, je t’aime à distance.

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Au., le 13 juin 1996.

Courage pour tes révisions ! ! !

Sandre, ma promise,

A l’heure où je t’écris, une petite boule d’angoisse doit germer dans ta gorge ma Sandre. Je suis de tout cœur avec toi. Ne dramatise pas trop tout de même. Dis-toi que tu as largement les capacités intellectuelles pour réussir brillamment tes deux épreuves. Ce qui n’est que la pure vérité.

Je poursuis mon travail tous azimuts. Ma rencontre de lundi avec mon directeur de mémoire s’est très bien passée.

Peut-être, dans une semaine, nos retrouvailles enchanteresses.

Avec mon plus ardent des soutiens... Ai confiance et merdre ! comme dirait l’Ubu !

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Paris, le 15 juin 1996.

Amour de Sandre,

Après les explications torturées, une instinctive réconciliation par les ondes téléphoniques. Belle prouesse, hé hé.

Ton courrier, lu en arrivant dans ma chambrette lutécienne, m’a encore une fois profondément touché. Je t’espère. Ne surtout pas gâcher nos rapports est ma hantise. Je connais mes vieux démons...

S’interroger est une saine approche des aspérités de nos relations. T’ouvrir, corps et âme, me réserve de précieuses découvertes.

Très vite nous allons patauger ensemble dans les eaux cannoises. J’en frémis de plaisir.

Baisers ardents, pensées obsédantes.

Bonne route vers Cannes ma Sandre d’amour !

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Château d’Au., le 16 juin 1996.

Ma Sandre d’une vie,

Je sors d’une journée merveilleuse de la fête des pères. De nombreuses pensées me liaient à toi. Hermione a offert son premier bronze, très impressionnant. Heïm m’a à nouveau dit son bonheur de te rencontrer dans 15 jours. Et moi, quelle fabuleuse chose de te voir deux week-ends de suite... Je te montrerai le parc du château, le village, la ferme et le château Richard... Aimons nous très très fort pour compenser cette lancinante absence.

Tes courriers coquins et adorables me sont d’une précieuse compagnie. Je vais essayer de prendre appui sur certaines de tes images pour participer à ton feu littéraire.

Moi, « félin doux et puissant » ? Un équilibre instinctif qui anime mon désir. Investir ton corps et se laisser envahir par tes élans gourmands.

Ta chevelure et mes mains, mes paumes et tes mèches font bon ménage. Le parfum qui s’en exhale attise ma sauvagerie sous-jacente. Mes doigts, des « lutins malicieux » ? Tu fais de véritables trouvailles poétiques ma Sandre. Je vais devenir jaloux de tes capacités créatrices, hé hé.

Se promener sur tes finesses galbées, sur ton grain de peau, sur les contours humides de ta vulve frémissante, avaler ton petit clito gonflé, sentir ton petit cul frétiller sous mes à-coups libérateurs. Voilà que je fais dans le carrément osé ! J’espère que tu tiendras le choc. Tu m’inspires que veux-tu... [...]

Appel à ma Sandre, retour à 0h04.

Je reviens tout empli d’intensités... Inexprimables sensations d’un attachement sur le fil du rasoir.

La suite au prochain courrier ma douce. Je t’embrasse sans fin.

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Au, le 18 juin 1996.

Chère Sandre mienne,

Est-ce que Sandrie te plairait davantage comme petit nom ?

Te voilà libérée de tes épreuves, et nous voilà au seuil de retrouvailles tant attendues.

La « gaillardise toute païenne » que tu me prêtes est un sel vivifiant de notre rapport. Le propre de notre intimité est de ne point bouder une complicité croissante.

Où peut donc se nicher cette « douceur de mon âme parfumée » ? Je me la brosse à chaque résurgence démoniaque du satyre puant... hé hé ! Je te laisse le soin de décrypter à ma place.

L’irrésistible conquête de l’empire des sens, voilà qui peut-être te comblera. A quand nos délires charnels renouvelés quotidiennement ?

Nos « étourdissantes orgies » ? Tu le ressens vraiment ainsi ? Mais à quoi ressemblera donc notre total épanouissement ? A une innommable perdition ?

Les saisons froides de notre amour sont, je l’espère, très loin, comme un mauvais horizon. Cultivons nos facultés d’étourdissement mutuel, de régénération chaque fois recommencée, et la voie sera la bonne.

Pourquoi cette peur d’être une femme galante sous l’agilité titilleuse de mes doigts ? Cette réserve, même infime, que tu mets en toute chose, est-ce ton secret de préservation ?

Nos accroches sont ridicules, en réalité, comparées aux plaisirs pris et à prendre, à ce bien-être que je ressens à tes côtés. Ce choix de toi, il est le fruit de la raison plus que de la passion, mais il est, je crois, plus solide... [...]

A te baiser... les lèvres... ma chatte sandrée.

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Le 19 juin 1996.

Ma Sandre, cannoise préférée,

Ce petit mot en forme de retour d’émotions de ta carte au coquelicot rougeoyant.

Notre heure approche. Espérons que les cumulus ne nous frustreront pas de l’astre chauffant.

Quelle préférence ma Sandre : nos rapprochements entre deux draps, nos barbotages dans la grande bleue, nos escapades dans les verdoyantes un chouïa aride de l’arrière-pays ou la simple respiration de nos liqueurs mélangées ?

Je te laisse à tes songes et je m’imprègne de ton souvenir. Câlinement.

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Château d’Au., le 19 juin 1996. A 23h08.

Fine Sandre,

Comment va s’opérer notre nouvelle entrevue ? Pas d’appréhension chez moi bien sûr, mais une certaine fébrilité : ce n’est que notre quatrième rencontre depuis six mois de correspondance. Troublante distance entre notre infinie complicité et la rareté des moments partagés dans notre totalité humaine. Bon, je complique tout... désolé hé hé !

Comment peut-on doubler l’intensité d’un instant avec toi ? Je me sens mollement inspiré ce soir, ne trouves-tu pas ?

23h30. Je viens d’avoir ton message sur mon répondeur d’avant sommeil. Je n’ai pas pu t’appeler avant, car Karl s’est occupé du disque dur malade de mon ordinateur. A cette heure avancée, je n’ose pas déranger la Villa Maupassant.

Petite page culturelle pour ma Sandre. Une très jolie citation de Léon Bloy : « La parfaite stupidité de ce jouisseur ithyphallique est surtout manifestée par des yeux de vache ahurie ou de chien qui pisse. » Le jouisseur n’est autre que le pondeur de Boule de suif !!! J’ai eu l’explication des déviances de Maupassant dans le Journal de Léautaud qui rapporte certains de ses écrits, légèrement allumés, du genre : « Je sens le con. J’ai beau me laver je sens le con, et quand je marche dans la rue les gens bandent ! » Citation de tête... si je puis dire.

Heu... pourquoi je te cause de cela... Serais-je autant en manque ?

Un reportage sur la Une traitant des mères prostituées. L’horreur absolue, le gâchis des filles plongées dans ce contexte sordide. Témoignages touchants de jeunes femmes conscientes et terriblement lucides.

Je ne t’ennuie pas plus longtemps ma Sandre pure, et je t’envoie mes plus attentionnés baisers.

Je volerai bientôt vers toi...

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Le 21 juin 1996, 6h30, à Laon pour Lutèce.

Ma désirée,

Une dernière fois avant mon envol, ces quelques tracés d’amour. Comment concentrer en trois jours et trois nuits la tension sentimentale accumulée ? Tu ne liras cette lettre qu’à la fin de mon séjour et nous mêlerons nos langues, nos bras et nos corps une heureuse fois de plus.

Tes adorables courriers reçus cette semaine m’accompagnent. Je pioche çà et là quelques phrases chantantes comme un baume agréablement parfumé. (J’ai noté que tes dernières lettres exhalaient une senteur...)

Je vais retrouver les pages quadrillées de mon brouillon de mémoire. J’attaque la PIIIA3°, « Le sentiment d’une imposture démocratique ». Sensible sujet n’est-il pas ?

Avant cet exercice intellectuel, je te souffle mes plus braisés baisers et t’applique d’inondantes caresses.

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Mardi 25 juin

Du vendredi à lundi, séjour à Cannes, invité par Sandre et sa mad. Délicieuse ma Sandre, sans réserve. Je l’emmène au château dimanche prochain. Un bonheur en perspective. Notre correspondance, toujours aussi fournie, compense l’éloignement.

Le lancement du mensuel Histoire insolite se prépare... Beaucoup de travail passionnant en perspective, mais des combats rudes à mener pour gagner.

Je finis la rédaction du brouillon de mon mémoire de lettres.

Pour la fête des pères, Hermione offre à Heïm son premier bronze.

Le Journal inédit de Léon Bloy (édité par l’Âge d’homme) révèle une image bien décevante de l’écrivain. Peut-être une explication du « faux bonhomme » employé par Léautaud.

Côté actualité, rien de transcendant. A noter tout de même l’élection d’un juif de la droite dure pour mener le destin d’Israël.

Hé hop...

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Le 25 juin 1996.

Ma coquine exclusive,

Curieux effet de passer en un peu plus d’une heure de la chaude compagnie de ma Sandre et de l’ensoleillement cannois aux grisailles humides d’une Lutèce sans attrait.

Quel doux séjour tu m’as offert par ton infinie gentillesse, tes attentions de tous les instants et cette féminité un peu sévère qui intensifie nos rapprochements.

Si nous poursuivons cette entente, je vais de plus en plus désirer une existence quotidienne avec toi. Nous pourrons, je l’espère, nous battre ensemble pour approcher un bonheur dualiste.

Tout ce qui peut subsister encore d’angoisses ne vient que de ma propre nature, et je ne doute pas qu’elles s’amenuiseront irrésistiblement.

A très vite pour te serrer à nouveau.

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Le 26 juin 1996.

O ma Sandre,

J’ai manqué à mon devoir de répondre aux questions de tes deux courriers lus dans l’avion qui me menait à tes bras. Allons-y donc...

[Tu n’as pas le mal de mer ?]

Je n’ai pas d’expérience suffisamment profonde pour déterminer si je suis sujet au gerbage... pas dans mon bain en tout cas.

[Pourquoi, au fait, « château Richard » ?].

Confirmation que le nom de château Richard tient au propriétaire qui a édifié ce bâtiment. Karl a trouvé dans une brocante des cartes postales du début du siècle qui montrent les différents châteaux et le village au début du siècle. Emotions garanties avec cette plongée dans le temps.

Hier des Américains (du grand-père à la petite fille !) ont débarqué en Renault Espace devant le château. Le vieux monsieur, militaire dans la Royale Air Force je crois, avait loué en 1952 le château du vieux Gué (où se trouvent actuellement des débiles) et avait été reçu par monsieur B. (l’ancien propriétaire de notre château) à un somptueux dîner. Il n’était pas revenu depuis cette époque et s’est installé dans l’Etat de Philadelphie.

[Ce n’est pas là que le personnel de la maison d’édition doit emménager ?]

Les employés prendront place, sitôt les travaux finis, dans l’ancienne ferme que François Richard vient d’acheter.

[Tu penses sincèrement que je pourrais habiter sur tes terres ?]

Je crois que tu t’y sentiras très bien ma Sandre, mais avec toute cette pression familiale, en auras-tu encore envie ?

[Tu as peur ou tu redoutes, je ne sais pas le mot juste, que je t’échappe à tout instant. C’est impossible, je me détruirais. Tu ne comprends donc pas que tu es la clé de voûte de l’édifice sandrien ?]

C’est joli et très agréable d’être l’élément essentiel de l’architecture sandrienne... Il ne faut pas que je me baisse trop alors !

[Tu aimes les pistaches ?]

J’adore autant que les noix de cajou que je t’ai piqués à la piscine ma Sandre.

[...]

Je repense à nos rapprochements contenus, pour ne pas exploser, et à ma jolie Sandre, toute fine dans son ensemble crème... jolie Sandre... l’air aristocratique.

Je t’aime, en pensées et en corps. A très vite.

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De mon lit Auois, le 27 juin 1996.

Ma Sandre fragile,

Désolé de mon manque de convivialité au téléphone, mais j’éprouve une réelle fatigue physique après un travail intense dans le parc. Pourtant, sans te le dire, j’éprouvais une envie sans norme raisonnable de te faire une myriade de choses aux dénominations sulfureuses. [...]

A propos du massage que tu désirais dans ta lettre des 19-24 juin, une connasse entendue à la radio tenait absolument à ce que cette activité soit définitivement séparée de la sensualité qu’on y attache. [...]

Le 29/06/96. A-y-est ma Sandre, je me mets aux courriers à épisodes, suivant tes traces.

Pour une fois, je ne suis pas mécontent de retrouver la grosse Lutèce, car je vais y dénicher un adorable bout de Sandre...

Tes angoisses, tes doutes, n’hésite jamais à m’en faire part ma tendre. Je ne suis pas seulement proche de toi pour te câliner, mais également pour t’apporter à tout instant le soutien dont tu as besoin. [...]

Bientôt le mariage de Nadette, puis notre départ, en musique, vers l’Ile de Ré.

Je t’embrasse chastement ma Sandre adorée...

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Le 4 juillet 1996.

Ma chère Sandre,

J’ai reçu ton épais courrier ce matin. Merci pour ton attention. Je lirai les petits textes d’amour ce soir.

Je suis sur la pelouse arrière du château, au-dessus de moi un ciel contrasté, mais à dominante nuageuse. Je viens de terminer mon repas, avec de particulièrement bonnes petites pommes de terre du jardin.

Reçu ce matin un fax de Madeleine Chapsal : elle partait pour Ré sous la pluie.

J’ai imprimé ce que j’ai pu taper hier de mon mémoire, j’en suis à trente-huit pages, sans les notes de renvoi.

De multiples choses à faire tous azimuts.

J’espère que ton retour à Lyon s’est bien passé et que tes journées ne te semblent pas trop longues.

[...]

Je vais laisser ma peau happer les quelques rayons qui s’échappent du ciel floconneux, et je m’en retourne au passionnant labeur.

Je t’embrasse très fort.

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Le 5 juillet 1996.

Ma Sandre,

Ton courrier du 2 juillet me touche et provoque des pulsations contenues. Aimons-nous fort, en confiance, en complicités inventives ; terrassons nos angoisses et libérons nos instincts. J’attends nos instants charnels avec une gourmandise croissante.

Faisons de notre séjour à l’île de Ré un enchantement de tous les instants. La grandeur et la coquinerie, pas d’atermoiement ni de réserve...

Hé hé, mais pas non plus de déchaînements en public...

Douceurs, attentions, grandissement.

A très vite ma Sandre. De grosses étreintes.

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Le 8 juillet 1996.

Ma Sandre apaisée,

Après cette longue mais nécessaire oralité, je reprends la plume et t’envoie un ouvrage précieux qui m’est dédicacé : L’Eternel masculin de Jacqueline Kelen. Je dois avouer ne pas l’avoir lu en entier, non par manque de goût, mais par dispersion dans mon activité.

Après tes appels depuis l’hôpital, je reste très intrigué par ce que tu souhaites me proposer... de non « olé, olé ! » comme tu me le précises. [...]

Je ne sais si, par mes exigences, je peux réellement te rendre heureuse.

La pensée de Han Suyn nous colle bien : deux solitaires en quête d’une dualité bénéfique.

Ma bouche va à toi ma Sandre brûlante.

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Le 11 juillet 1996.

Sandre - 1,

A la veille de te retrouver, je me laisse vagabonder vers nos déjà nombreux souvenirs en commun.

Après un saut à Soissons, pour signature devant notaire d’un acte de vente, je me laisse transporter vers la Lutèce que je présume un peu vidée de ses autochtones.

Je ne suis pas parvenu à taper l’intégralité de mon mémoire avant mon départ, occupé par moult dossiers urgents. Une quinzaine de pages manuscrites patienteront jusqu'à mon retour.

Ton empressement à vouloir dissiper les ombres, après une mini-catharsis au téléphone, me touche beaucoup. J’espère que nous parviendrons à pérenniser notre relation et que mes volontés absolutistes ne te choqueront pas trop.

Nous avons déjà le charnel de notre côté, ce n’est pas si mal comme base. En dualité, tu es un délice de femme... Peut-être est-ce cette recherche légitime de l’indépendance qui entrave l’expression à d’autres que moi de ce que tu éprouves à mon endroit.

Laissons nos penchants s’épanouir sans se focaliser trop systématiquement sur les détails perturbateurs.

La capitale se fait bougrement sentir, le décor grisâtre aux tags avilissants s’impose à mon regard intolérant.

Je niche ici mes plus douces pensées pour toi ma Sandre...

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Le 16 juillet 1996.

Ma Sandre,

Comme promis les deux exemplaires du n°2 d’Histoire locale.

L’action reprend tous azimuts. J’espère que tu retrouveras vite le sommeil.

Je t’embrasse sans retenue.

Et deux photos de moi en prime. Gâtée ma Sandre !!!

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Mardi 23 juillet

0h43. De retour au château après le séjour à l’île de Ré chez Madeleine Chapsal, avec Sandre. Très agréable moment, découverte d’un lieu paradisiaque.

Sans mes lentilles et avec quelques bisons pris ce soir avec Heïm, je ne me sens pas très au point pour écrire ici... Abandon du Journal... Très mal. Reprise quand la clarté pointera...

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Le 24 juillet 1996.

Ma Sandre,

Loin à nouveau de toi, une morosité irrépressible m’envahit. J’espère que ce séjour t’a comblé. J’ai passé une délicieuse semaine en ta compagnie, et les quelques voiles ou discussions un peu tendues n’ont en rien entamé la tendance charmante de notre rapport.

Un seul regret, ne pas avoir pu m’attabler pour cause d’incommodités... Mais je n’en serai que plus gourmand la prochaine fois (décryptage nécessaire ma Sandre).

Quel bilan fais-tu de l’évolution de notre rapport ? Ton amour va-t-il croissant ou change-t-il de nature ?

A te lire, douce Sandre... Baises fougueuses...

[...]

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Le 26 juillet 1996,

Ma Sandre attentionnée,

Un paquet par jour de ma dulcinée, quel plaisir ! Je continue, moi, imperturbable, à te tracer quelques bêtises sur papier blanc.

L’ouvrage Le Vieux Limoges, dont je me suis occupé, est très réussi et l’iconographie qui le complète (des cartes postales de la ville au début du siècle prêtées par un journaliste de La Montagne) est parfaitement reproduite...

Je t’écris tout cela entouré des ondes musicales de l’harmonieuse Mariah Carey, sandrée pour l’occasion.

Pour le Limoges, gros service de presse à m’occuper : journaux, radios (je dois donner une interview par téléphone à Radio-France Limousin) et France 3. Je suis galvanisé et ça compense un peu mon manque charnel de toi, ma Sandre... Ma veuve poignet a du boulot, ‘de dieu ! écrit-il avec élégance.

Pour Histoire insolite je recherche toujours de l’iconographie. Le responsable des archives municipales de Rouen a cru à un canular lorsque je lui ai demandé l‘arrêté municipal sur la réglementation de la circulation des brouettes ! Un nouveau Lafesse ton ange ? Pourquoi pas... Ton fondement me manque, c’est déjà un début non ?

Je peine, je peine pour la correction de mon mémoire... Atla, atla, en revanche j’ai achevé la recherche des références de pages pour la centaine de citations du père Léautaud.

Je ne sais si le Always be my baby de la Carey donne des ailes à ma plume, mais je me sens transporté sur la page comme à ces moments uniques, inexplicables où les idées et l’écriture forment un ballet salutaire pour la création littéraire et l’avancement intellectuel.

Je te fais partager mon direct neuronal, et à ce moment précis je fourre langue, sexe et doigt dans tes antres chaudes et humides ma Sandre.

Un peu sérieux, un peu coquin, le dosage quotidien pour une forme olympique.

Une grosse médaille en chocolat pour toi ma douce. Et toutes mes pensées.

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Samedi 27 juillet

Attentat à Atlanta. Les jeux olympiques sont en deuil. Les médias font un festin de l’événement.

Ma Sandre m’envoie d’adorables lettres d’amour. Elle souffre de mon absence.

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Le 30 juillet 1996,

Sandre à dévorer,

Sitôt fini le gueuleton de midi, je me mets en place pour te répondre avant que l’on chuchote en direct des coquineries... Et que l’on se goûte jusqu'à satiété.

[Nous passons plus de temps à s’attendre qu’à vivre...]

Je ne crois pas qu’attendre l’autre se réduise à une non-vie. Chacun a son avenir à préparer, qui ne peut se résumer à de l’amour et de l’eau fraîche... Et es-tu certaine qu’une quotidienneté avec moi te satisferait ?

[Je sais que tu peux me rendre heureuse. A savoir si la réciproque est vraie, toi qui rêves d’absolu ?]

J’espère que tu sauras me rendre heureux en comprenant ce qui doit constituer la spécificité d’une femme et d’un homme dans un couple... Le temps doit être notre critère d’observation.

[Moi, la farouche, tu m’apprivoises. Pourquoi mon amour changerait-il de nature ? Il est vrai que tes brusqueries verbales sont parfois blessantes. Ne fais pas question-réponse, on s’égare à ce jeu-là.]

Je suis peut-être un peu rude dans mes paroles, mais c’est le signe que des choses me heurtent profondément, et c’est le penchant obligatoire d’un état non « mollusqueux »...

Je n’ai pas le sentiment de faire les questions-réponses ! Je mords ma Sandre... Comprendras-tu ce que je veux de douceur et d’amour infini, d’harmonie et de grandissement ?

[Tu ne trouves pas que je me donne bien plus à toi au fil du temps ?]

Un tendre baiser pour toi. Tu te donnes merveilleusement à moi ma Sandre, mais ne nous reposons pas sur nos lauriers. Parle-moi, sans métaphore, de ces « terres vierges » que tu m’as offertes...

[Je t’avais acheté un petit sachet de confiseries avec dedans des coussins, des quenelles et des roses des sables : as-tu tout aimé ?]

J’ai tout mangé tes confiseries... Ma gourmandise était comme à l’habitude... avant que je t’ouvre ma Sandre...

[Lafesse est vulgaire, tu ne lui ressembles pas.]

Lafesse n’est pas vulgaire, il se sert de la vulgarité sociale peut-être, mais il est incisif, a le sens de la répartie... Enfin je ne vais pas te faire un panégyrique... [...]

Je t’embrasse ta chatte, ta bouche et ton cul ma Sandre.

Au plaisir de te baiser... sans retenue.

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Le 30 juillet 1996,

Ma douce adorable,

Ta lettre me donne l’occasion de préciser quelques points :

Tout d’abord, je croyais t’en avoir déjà parlé mon amoureuse, je ne pourrai jamais me marier à l’église. Je ne suis pas croyant et la cérémonie à laquelle j’ai assisté lors du mariage de Nadette m’a confirmé dans ma position de rejet.

Je ne peux m’entendre dire : « Vous n’êtes pas deux mais trois dans votre couple »... ou alors je prends la vierge Marie comme complice surnuméraire, (hé hé) ! tout gentil que soit le curé.

Certes le mariage civil n’est qu’un bout de papier, mais l’engagement est avant tout moral et je n’ai pas besoin des fastes de l’informe Immanence. [...]

Mon plus grand amour pour toi.

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Le 6 août 1996

Ma Sandre contrastée,

Nous voilà à nouveau dans nos contrées respectives. Doux, non, fougueux week-end passé avec, malheureusement, la fatigue qui a gâché notre dimanche après-midi. J’aurais mieux fait de te proposer de rester au lit, bien qu’étroit, où nous avons si bien évolué.

L’essentiel est que notre amour ait pris le dessus, mais, c’est vrai, je ne saisis pas toujours tes réactions où ta générosité évidente se brésille au moindre coup de barre...

J’espère que nous nous retrouverons bientôt. Je ne suis pas très prolixe, désolé.

Je t’embrasse ma Sandre.

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Château d’Au., le 8 août 96.

Ma mignonne,

Merci pour tes deux ravissantes cartes et leur contenu. A défaut d’une abondance de mots, tu auras la voix de Mariah Carey pour te bercer.

J’essaierais d’approfondir les sujets coquins et sérieux qui transparaissent dans tes derniers courriers, et ceci très bientôt.

Ci-joint aussi la copie de l’article obtenu.

De tendres et profonds baisers... avant de nouveaux chevauchements fantastiques.

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Château d’Au., le 8 août 96,

Ma Sandre à prendre,

[...] Impossible d’incarner l’idéal de quelqu’un. Mais il faut tendre à... Tu sais ce que j’attends de ton amour.

Je ne me sens pas du tout porté à la destruction et au nihilisme, comme tu le fais dans ton courrier du 31 juillet, noir à se pendre. J’adore mon travail et je ne suis nullement « accablé » par ce que j’ai à faire.

[Je me sens faible sans toi, ma source lointaine. Une tristesse cette couche sans toi, mon toit. Mes plus tendres pensées te sont destinées. Prends soin de mon souvenir. Ta tendre.]

Comment dois-je « prendre soin » de ton souvenir ma Sandre ? Faut-il que j’établisse un culte ? Hé hé !

En fait, tu es pleine de contradictions : envie de vivre avec moi, mais tu crains de ne pas être satisfaite... curieux non ?

La femme doit aimer l’homme au-delà de tout et ne jamais se mettre en complicité contre lui. Le grandir dans tout ce que la femme peut offrir. Je ne veux pas d’une mlf.

Tu voudrais que je ne sois pas dérouté par la mise à nue de ton âme ? Je ne peux tout de même pas tout prendre sans réagir...

Pourquoi toujours t’afficher comme un portefaix sacrifié de tes malheurs ?

« Tu incarnais cet espoir » m’écris-tu : l’imparfait signifie-t-il la perte de tes illusions ? Je veux que tu rayonnes de bonheur ma Sandre, et les dernières cartes reçues en sont un témoignage. Je ne veux pas qu’on se suce réciproquement les plaies. Lèche plutôt mon foutre, bois ma pisse, joyeuse, [...]. C’est bien plus épanouissant non ? On se fera une entrevue avec rien que du lit... De l’amour, de la boisson et des aliments, c’est tout... ok ? Quand je viens à Lyon, on ne sort pas... on profite de nos capacités charnelles sans discontinuer...

Mais n’adopte pas la « légèreté ambiante » à laquelle tu te référais dans ton sombre courrier.

Si tu étais à Reims, on pourrait se voir toutes les semaines... mais ne pressons pas... Assure ton avenir et réussis, c’est tout ce qui m’importe.

Ci-joint copie du code civil pour l’adoption, on en discutera.

Une chaude pénétration pour toi, ma Sandre.

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Le 13 août 1996.

Sandre à la pêche,

Ma tendre fruitée, encore une ravissante carte multicolore pour moi. Gâté je suis. Je persiste moi dans le noir et blanc. Pour faire pétarader mes phrases dans un embrasement épistolaire, il me faudrait subtiliser un de ces rares instants où l’inspiration se mêle à l’encre de ma plume.

[..] Avant que je vienne faire la fête à ta délicate peau de pêche... Tout mon amour.

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Le 14 août 1996.

Sandre,

Tu as donc repris ta plume autodestructrice et, par conséquent, néfaste pour notre rapport. Vue la rudesse désespérée de tes propos, qui sonnent comme un glas, je me permets moi aussi de te rudoyer.

Pour résumer ton courrier : tes sentiments pour moi, ô combien fragiles à ta lecture, ne résisteront pas à notre éloignement géographique. Notre relation te rend donc malheureuse et tu es sur la voie de ne plus me désirer sexuellement ! Avoue que tu n’as pas fait dans la dentelle cette fois-ci, et que ton sens de l’amour est pour le moins curieux.

Quelle est, en fait, l’unique cause de ta perdition ? Aucun élément objectif, matériel, n’a changé. Seul le temps passe et ta générosité, ton abnégation sentimentale n’y résistent pas.

Tu m’as écrit à plusieurs reprises que c’est moi qui te quitterait, et jamais toi. Tu viens de prouver le contraire. Ça n’est pas forcément celui qui prend concrètement l’initiative de la rupture qui en est véritablement l’auteur.

Reprenons tes dires :

Tu as des doutes sur ma capacité à te rendre le quotidien heureux et tu souffres de ne pas m’avoir journellement. Contradiction de taille et manque de confiance en moi, donc pas d’amour absolu.

Je resterai (ce que je suis depuis le début, j’en déduis) un « amant épisodique ». Merci pour la dépréciation : je ne suis pas digne de tes sentiments si je ne suis pas plus présent.

Toi qui te reconnais dans le monde moyenâgeux, explique moi comment une belle en cheveux pouvait aimer intensément et se donner à un chevalier constamment sur les routes ? L’intégrité, la fidélité et l’entretien de la force de son amour, ça existe depuis le début des temps.

Tu avoues donc ne pas pouvoir m’aimer de façon « grandiose » tant que perdurera cette distance. Là encore, égoïsme sentimental. Moi qui te croyais du monde du désir et capable d’aimer totalement à distance... Cela constituait pourtant les données de départ de notre rapport. Tu changes les règles du jeu au gré du temps qui passe. Ce n’est pas moi qui agresse l’autre, ma Sandre ; ta négativité est atroce.

Tu as perdu tes « illusions » de concrétisation avec moi : encore une fois, rien n’a changé depuis le départ et, d’un coup, tu perds tout espoir et je ne mérite plus ta confiance en l’avenir. Je me demande de quoi sont constitués tes sentiments. C’est le bonheur de quoi que tu souhaites ?

J’ai la chance de rester une « préoccupation masculine » avec grosse bite et couilles poilues ! Quel pied, mais qui sait si, dans trois mois, je ne vais pas être aussi réduit dans ma sexualité ! Qui sait de quoi tu es capable en état de détresse absolue...

J’ai d’ailleurs des signes de ce détachement. Ton amour est tel que tu ne supportes pas d’être une maîtresse et, pire, tu as l’impression de n’être qu’un objet de sexe !!! Enfin, soyons sérieux... Tu sais bien qui tu es physiquement Sandre... tu n’as rien du parangon de la sensualité... S’il n’y a que cela qui nous unit, je peux trouver bien mieux et sans problème. Désolé de ma cruauté, mais tu m’y obliges dans tes accusations.

Tu me dis d’ailleurs toi-même que ton inhibition sexuelle est en marche, et encore par le fait de la distance, ce qui va à l’encontre des lois fondamentales du rapport amoureux dans l’histoire de l’humanité. La distance a toujours été un amplificateur du désir lorsqu’elle est cultivée coquinement.

Alors quoi, on se verra tous les mois pour jouer au bridge ?!!! Si c’est ce qui nous attend, mon dieu...

Tu ne peux « rayonner de bonheur », tu ne veux plus rien presser, tu n’es pas heureuse...

Que te dire, si ce n’est que tu es la seule responsable de cette entreprise de démolitions...

C’est bien dommage que tu sois si déstructurée.

Je t’embrasse avec chagrin, espérant que tu te reprennes.

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Le 19 août 1996.

Ma Sandre adorable,

Tes angelots, nichés dans leur enveloppe azurée, m’ont délicieusement caressé les tympans de la musique apprise par tes soins... Bon, je me tire les oreilles, car je me trouve lourd de la plume.

Heïm est très content de mon mémoire...

Tu me combles par tes attentions et je te sens chaque jour un peu plus proche de moi. Nous allons bientôt fusionner ma Sandre à dévorer.

Tes coquineries me manquent et toutes tes saveurs me font monter l’eau à la bouche.

Je t’embrasse et t’enlace au-delà du charnel.

p.s. : ci-joint autre copie d’article obtenu pour Limoges.

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Le 21 août 1996.

Ma bien-aimée,

Je suis un peu fripon, j’en conviens. [...] Nous avons chacun nos petits trucs pour supporter l’attente de l’autre. [...]

De toute façon, nous sommes à moins d’une centaine d’heures de nous embrasser, entre tendresse et fougue... Cela passera vite malheureusement... alors délectons-nous et vivons intensément chaque parcelle de seconde.

A te serrer, ma Sandre adorée.

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Le 29 août 1996.

Ma Sandre adorée,

Ma délicieuse, j’ai été enchanté par ce séjour dont je ne conserve que de bonnes choses. Tu m’as gâté et tes sentiments me touchent profondément. Je suis un peu indisponible, tout comme toi, et j’espère que tes épreuves vont bien se passer. Tes deux petites cartes et ta lettre m’ont fait du bien, tes mots sont comme un baume sur les rudesses existentielles.

Désolé, je suis un cochon de la plume et pas très enlevé de style. J’essaierais de t’écrire plus longuement une prochaine fois. Tentons vraiment de nous aimer sans voile et nous construirons du solide.

Que t’a appris mon mémoire, ma douce ?

Au très grand plaisir de te lire, mes plus douces caresses...

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Le 3 septembre 1996.

Mon amour mystique,

Quelques échos de tes baisers et me voilà gonflé à bloc... Demain, dernière action, la plus facile, avant de savoir si je suis maître ès lettres... Toi, ma Sandre, tu es déjà une doc ès amour... Courage pour le reste...

Nous voilà en phase pour l’union, ne reste plus que le passage à l’acte...

[...] Bientôt 27 ans ma tendre... et renaissance je l’espère.

Mes plus profonds baisers.

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Jeudi 5 septembre

Vraiment plus le vent en poupe ce Journal... plutôt devenu un très épisodique carnet de bord. Manque d’envie, d’entrain ? Probable. La correspondance entretenue avec ma Sandre et le mémoire de lettres modernes que je viens de remettre n’ont pas arrangé les choses.

Je soutiens mon travail la semaine prochaine : en fait simple formalité, petit entretien avec Marc D., mon directeur de mémoire.

Confirmation de la publication de mon étude à l’oelh. Peut-être l’enverrais-je aussi à quelques grands éditeurs parisiens.

Toujours au beau fixe avec Sandre qui m’a divinement reçu le troisième week-end d’août. Arrivé le vendredi soir, Sandre en garde, toutes ses attentions m’ont touché : mots adorables (jusqu'à un « Welcome my love » et un gros bisou sur la glace de la salle de bain), petits cadeaux, repas charmants et table magnifiquement dressée, longs et intenses moments d’amour. Pas de contestation possible, elle me fait du bien, et je l’aime.

Le 12 septembre, elle aura 27 ans... nous serons liés à distance.

L’actualité n’a vraiment rien d’emballant. Le nouvel anathème chez Big Média : la pédophilie suite à un drame en Belgique. Le bien nommé Dutrou auteur de crimes divers : séquestration, meurtres, pédophilie et... mensonges ! Et l’inspecteur belge s’appelle : Jean-Marie Boudin !

Eu mon vieux professeur Jean R. au téléphone. Je lui ai annoncé qu’il serait l’un des dédicataires de mon ouvrage. Je le sentais ému. Il a conservé sa vivacité intellectuelle et semble très en accord avec moi sur les problèmes actuels de la société.

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Le 5 septembre 1996.

Ma dulcinée d’amour,

Bercé par le rythme ferroviaire, j’abandonne un instant le Journal de Karl Juliet pour te noircir cette unique feuille vierge qui m’accompagne.

Vers quelles enivrantes contrées tu m’as encore emmené ma Sandre, moi l’initiateur de tes folies... Quel bien de te sentir abandonnée à moi et inflexible aux autres.

J’espère que notre fusion à distance t’aura dopé pour ton épreuve.

Ton petit panier fleuri aux vers sandriens m’a beaucoup touché. Tu es douée ma douce.

Il est parfois terrible de se laisser chacun dans ses désirs satisfaits à distance. La chair, le souffle, le parfum, les sucs d’amour à goûter... tout cela permet une dimension sans égal.

Lions-nous ma Sandre.

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Le 5 septembre 1996.

Ma Sandre préférée,

Sitôt rentré au château, ma barquette présente l’abon­dance de tes attentions : quatre lettres à mon intention. Tu me gâtes, ma tendre.

Tes angoisses ont déteint sur moi hier soir. Je n’étais pas jouasse... Je tiens à toi et je me sens un peu désemparé face à tous tes problèmes.

Ta conception du cadre de l’union maritale me convient parfaitement. Crois bien que la réussite de notre dualité ne dépend pas de formalités administratives ou de circonvolutions religieuses.

Hé hé... tu trouves « navrantes » certaines de mes pensées, mais oui ma Sandre, je ne recule devant rien pour t’étonner.

Nous sommes dans une civilisation chrétienne, les influences sont donc normales... Enfin, je ne m’étendrai pas plus.

Je t’aime bien en femme-fontaine et mes tympans sont tout émoustillés.

Te dire ma manière de penser n’est pas chez moi une volonté de te déstabiliser. Je n’y ai aucun intérêt.

Pour le ski, tu as quartier libre, mais sans moi... Je ne vais pas aller faire le con débutant à mon âge... Comme si j’apprenais les patins à roulettes.

Je ne fêterai pas mon anniversaire, donc pas de convenance familiale pour moi... plutôt financière.

Ta carte The Kiss est magnifique, et les mots inscrits me donnent des envies gloutonnes et possessives... Jamais ne se lasser de nos réunions charnelles.

Pour les ouvrages sulfureux : je te conseille La philosophie dans le boudoir du marquis de Sade. Bien gratiné.

J’aime la tournure coquine de notre relation. Malgré la distance, l’entretien de nos désirs et pulsions attise nos rencontres d’une intensité singulière.

Important de poursuivre notre complicité amoureuse et de reléguer aux oubliettes toute accroche.

Mettons toute la panoplie de nos envies en action. Raconte moi tout ce que tu as au tréfonds.

Tu es en tout cas de plus en plus attachante.

13h48. Je stoppe mon poignet et retourne à mes occupations perverses. [...]

Tendrement dévoreur de Sandre.

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Le 7 septembre 1996.

Ô ma Sandre,

Etendue sur ta couche, je me glisse sous tes draps soyeux. Ton corps brûlant s’ouvre et ta croupe se colle à mon sexe dressé. L’instinct nous saisit et notre danse charnelle s’effectue dans un rythme sulfureux.

Ma Sandre [...], mon imagination t’anime dans toutes les postures.

Sage je suis, sage je reste.

Ô ma sexuellement mienne... [...]

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Le 9 septembre 1996.

Ma Coquine,

Alors je ne suis pas assez déluré pour toi, hé hé. Faut qu’ça mouille, qu’ça jute, qu’ça pisse partout pour commencer à t’émoustiller.

Toi l’indomptable, te voilà sulfureuse en diable.

Tes mots me bercent ma Sandre, et tous tes désirs vont bientôt prendre forme.

Croyons en nous et construisons. Aime-moi avant tout au-delà de toi, fais-moi passer avant tout autre chose.

Cet absolu est ma drogue revigorante.

Gloutonnement tiens.

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Mardi 10 septembre

0h15. Pour rendre service à une copine de fac. Je tape un bout de son mémoire sur une facette de l’écriture de Marguerite Duras. Cet écrivain, que je n’avais jamais lu, me rappelle la sale manie d’artistes-peintres modernes qui prennent pour une évolution l’enlaidissement de l’art. L’avilissement de la forme comme du mot... Et moi de même, trop tard, trop nu...

L’actualité ne retient plus un brin mon attention. Avec un discours aux ficelles de plus en plus voyantes, les politiques fatiguent. La couche de poncifs est trop épaisse pour pouvoir nourrir l’auditoire éclairé.

Ma Sandre au tél. Très doux et coquin moment. Elle me fait du bien. Je dois la retrouver dans son nid le 19 septembre au soir. Nous partirons ensemble en voiture pour Fontès.

Je lis, entre autres choses, le tome I du Journal de Karl Juliet. Beaucoup de choses dans son rapport au monde forment aujourd’hui ma face cachée, et j’y reste très sensible. Une désespérance égocentrique.

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Le 10 septembre 1996.

Tendre Sandre,

Minuit quarante-huit et je n’ai pas encore rejoint Morphée.

Je regarde une fois encore L’Amour et guirlande de fleurs de Carlo Maratta que tu m’as envoyé : couleurs chaudes d’une nuit en transes...

Notre « dimension charnelle » s’est encore une fois magnifiquement révélée, malgré les centaines de kilomètres entre nous. [...]

Grrr... encore en train de me parler bagnoles... Prends-toi un garagiste ‘de dieu ! (hé hé).

J’ai en effet terriblement besoin d’une Sandre constructive, transcendante, joyeuse, grandissante. J’essaie­rais de t’aider au maximum dans les épreuves que tu rencontreras, mais accorde moi ta confiance absolue... et ne voyons pas notre avenir en modèle réduit. Pas de fatalitas qui tienne.

Nous nous entendons merveilleusement, nous sommes aptes à nous faire jouir mutuellement. Que désires-tu de plus ? Peut-être une grosse teuf-teuf... Moi qui pensais que mon braquemart te suffirait.

Mes plus pénétrantes pensées pour toi...

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Le 11 septembre 1996.

Ma Sandre au vingt-sept printemps,

Cette reproduction du château au début du siècle tout spécialement pour toi.

En hommage à ta gentillesse et à ton amour.

Tout mon amour pour toi.

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Paris, le 14 septembre 1996.

Ma Sandre à dorloter,

[Savais-tu qu’il y avait une école monastique renommée à Laon au Moyen Age ?]

Tu m’en apprends sur Laon... je présume qu’elle se situait (logiquement) dans le monastère qui abrite aujourd’hui la bibliothèque : magnifique bâtisse encore imprégnée de la sérénité requise pour la méditation.

[Tu ne fêtes pas ton anniversaire ? Pas de gâteau, de bougies et de cadeaux ? C’est toi qui impose ce choix ?]

Je ne le fête pas vraiment. Enfin, cela dépend des occasions... Je suis un peu en dehors de cela... mais je reçois toujours des attentions diverses.

[J’ai déjà lu Sade (« Justine ») mais c’est trop sado-maso (cela va jusqu’au meurtre !) et ça ne m’excite pas du tout, c’est écoeurant même cette profusion de souffrances.]

Je crois que La philosophie dans le boudoir ne se répand pas trop en hémoglobine. [...]

Je me sens un peu lourd de la plume ce matin... Je ne vais donc pas m’obstiner à gribouiller des bêtises.

Bientôt nos retrouvailles... Comme jeudi prochain je serai à Paris pour voir mon directeur de mémoire, je prendrai un train plus tôt dans la soirée pour nous laisser une nuit plus longue afin de combler nos appétits.

A te lire et à te prendre. Voracement.

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Le 15 septembre 1996.

De mon dodo, ma Sandre, ces quelques notes pour me rapprocher de toi.

Suis-je donc si lourd d’esprit que je n’ai pas décelé les signes qui font de ton amour une primauté avant tout autre chose ? Pardonne-moi... je n’en doute pas un chouïa... Disons que ma plume a dérapé.

Je ne veux te témoigner que mon soutien extrême dans tes soucis divers. T’adoucir au maximum les épreuves qui t’attendent. Voilà ma Sandre... Comment faire... espérer que la délivrance sera positive. Ce sera ta renaissance.

Tout mon amour.

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Le 24 septembre 1996.

Ma Sandre,

En partance pour Laon, c’est à moi de te féliciter de vive plume pour ta réussite estudiantine. Que cela éveille en toi un soupçon de confiance en tes capacités.

Je relis les courriers que tu m’as adressés la semaine dernière : je suis littéralement bercé par l’amour que tu y insuffles. Mais je reste perplexe quant au décalage entre le débordement amoureux qui se manifeste dans tes lettres, dans notre intimité charnelle, et le comportement parfois presque distant qui modèle certaines périodes des rares moments partagés. Cela tiendrait-il à un droit de réserve que tu t’imposes (lequel laisse place parfois à une semi-agressivité en public) ou est-ce le fait de mon attitude t’apparaîtrait insupportable ? Aucun reproche dans cette réflexion-interrogation, juste le désir de te mieux cerner pour mieux t’appréhender.

Je t’embrasse sans retenue.

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Jeudi 26 septembre 1996

Le week-end dernier chez ma grand-mère, à Fontès, avec Sandre. Présence de mon oncle Jean-Louis et de son amie que je n’avais pas vus depuis dix ans. Je n’ai décidément rien à faire avec cette famille de sang. Temps exécrable et atmosphère peu conforme à mes attentes.

Ma grand-mère, très diminuée physiquement, se montre très gentille par rapport à Sandre et moi.

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Le train corail, le 2 octobre 1996.

Ma Sandre,

Je reprends la plume après quelques jours d’abandon. Notre fâcherie avait-elle un sens ? L’échec de ma proposition nocturne tendrait à le confirmer. Il ne faut surtout pas que la morosité gagne notre rapport.

Nous vivons les meilleurs instants de notre amour, selon la littérature qui aborde ce sujet. L’ivresse de l’attente, le désir démultiplié, l’absence de tout ternissement quotidien, etc. Mais peut-être ne dois-je vivre avec toi que des moments de dualité, sans immersion dans quelque monde que ce soit ? Je ne suis peut-être pas capable de t’assumer en public. Ton quant-à-soi restant fort, ta fierté plus puissante que tes sentiments, je ne peux te demander ce devoir absolu de réserve.

Vrai que tu me manques et que je souhaite un renouveau perpétuel de notre complicité, comme celle, très singulière, que nous avions eue pendant quelques semaines en 1992, sans s’être vus, et sans sentiment avoué ouvertement.

A moi aussi de ne pas insuffler de la gravité et de noircir des choses bénignes. A toi, ma Sandre, d’être plus généreuse, non pas dans tes attentions à mon égard qui sont merveilleuses, mais dans le fond. Difficile à expliquer : le propre d’une femme, pour moi, est de savoir effacer, à certains moments, ses désirs d’exister devant son amour de l’être choisi.

Un peu confus tout cela, j’en suis désolé. J’ai hâte de te revoir.

Je t’embrasse partout.

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Le 4 octobre 1996.

Ma Sandre,

Très touché par tes deux cartes magnifiques. La mélodie de tes sentiments m’enchante. J’espère te retrouver très vite avec ces douces attentions.

Les photos de Sandre petiote avec son adorable petite frimousse et ses mignonnes petites culottes : que demander de plus ?

Je me suis mis au bleu [couleur de l’encre utilisée] pour un temps. Le travail se démultiplie... Je ne me trouve pas très créatif dans mes courriers. Je vais devoir me secouer un peu si je veux demeurer attractif.

Mes lettres pourraient également aborder des sujets d’actualité, ce qui remplacerait aisément mon Journal.

Dans l’attente de te serrer, de gros baisers.

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Le 5 octobre 1996.

Ma Sandre,

Fourbu dans le train qui me ramène vers la grosse Lutèce, la journée n’a pas traîné. Karl et moi en vadrouille à Laon, Soissons et leurs alentours pour la mise en place de nos dernières publications : notamment une monumentale Histoire de Soissons, 1176 pages, 348 F...

Demain, visite successive chez pater-mater pour mes vingt-sept ans... pas de quoi pavoiser.

Mon attente devrait être très vite satisfaite. Dans moins d’une semaine nous serons réunis dans mon nid parisien. Promettons-nous que de bonnes choses. J’essaierais de ne pas oublier la bouteille de champagne.

Avec le branle-bas de combat médiatique contre la pédophilie, assimilant d’ailleurs, dans une grande confusion, l’acte meurtrier et le simple abus sexuel, j’ai fait la semaine dernière un cauchemar désagréable, ce qui ne m’était pas arrivé depuis belle lurette. Je te le narrerai de vive voix.

J’ai gardé ton critérium au fond de mon sac : plus la peine de te le retourner.

Les séminaires de dea reprennent le 21 octobre. Je vais probablement réunir mes obligations universitaires les mardi et mercredi. Mme M., qui avait eu à noter mon exposé sur « la critique dramatique de Maurice Boissard dans l’entre-deux-guerres », n’a été qu’en louanges à mon égard auprès de Marc D. Je ne vais donc pas hésiter à la faire profiter cette année encore de mon agréable compagnie, hé hé !

Te voilà devenue la destinataire presque exclusive de mes gribouillis sur papier, dépassant de loin mon Journal qui vieillit dans un coin.

J’ai un sentiment de désintérêt extrême pour l’actualité. Voilà qui ne me poussera pas à reprendre l’écriture de ce témoin scriptural. Pas d’envolée dans cette société qui hésite entre léthargie et barbarie. Ce qui se prépare dans les services de Toubon la girouette me fait frémir : le délit d’opinion renforcé... Voilà peut-être qui vaudrait bien l’affûtage d’une plume, à défaut d’une lame.

Je pense à toi ma Sandre. Merci de ton attention pour mes élucubrations tardives.

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Le 7 octobre 1996.

 Ma Sandre,

Ta venue sera honorée de tout ce que tu souhaites.

Nous irons au musée du Moyen Age, mais j’aimerais que tu m’accompagnes samedi après-midi pour l’achat de vêtements.

Je t’emmènerai au Palet, ou dans un autre restaurant, samedi soir. Passer de doux moments ensemble.

Mon mémoire devrait bénéficier d’un tiré-à-part de trois cents exemplaires au cours du mois.

Te voilà donc rassurée par ton affectation. Nous pourrons continuer le rythme de nos entrevues.

[Est-ce que la santé de ton papa de cœur est stationnaire ?]

Oui, mais elle reste dangereusement fragile.

[Penses-tu rompre avec tes parents ?]

Si mes parents acceptent mon choix d’adoption, pas de rupture... Sinon...

[Viendras-tu me voir, comme tu me l’avais dit au téléphone, le dernier week-end d’octobre ?]

J’espère... mais rien n’est sûr.

Tendres pensées.

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Le 9 octobre 1996.

Sandre d’amour,

Quelle douce lettre j’ai reçu ce matin. Cela me met en appétit pour nos deux jours de réunion.

La cassette de Satie est très agréable. Curieusement, la musique de ce compositeur me rend mélancolique, alors que les titres relèvent presque du grotesque. Très bonne idée que tu te remettes au piano. Mais où vas-tu jouer ? J’ai été moi dégoûté du Conservatoire tout jeune, mais pas de la musique. Mon oreille musicale améliore ma médiocre dextérité au piano.

[Me parleras-tu de ton nouveau mémoire ?]

Mon sujet pour l’Ecole doctorale : Heïm et le pamphlet depuis 1950. Je suis à ta disposition pour t’en parler.

En attendant de nous serrer pour de vrai. Je t’inscris ma voracité.

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Le 18 octobre 1996.

Ma douce attentionnée,

Les abords brumeux du monstre d’acier lancé vers Lutèce irisent la clarté naissante d’une aube bleutée. Voilà pour la note poétique.

J’espère que ta villégiature cannoise, entre grosses gouttes et rayons de belle arrière saison, t’aura apporté le repos mérité et le ressourcement nécessaire.

Le vil pôple s’est encore cru le centre du monde hier. Ces masses de grévistes gueulant leurs inconséquentes revendications et remuant leur puanteur foireuse : double raison de gerber.

Pourquoi l’homme devient-il sous-merde dans tout mouvement collectif ? Sa nature profonde n’a-t-elle rien de plus élevé que ces piètres démonstrations d’anéan­tissement de toute individualité responsable ?

Désolé de cet écart ma Sandre, mais la fureur me submerge. A l’impuissance de l’acte, sauf à adopter les méthodes du flnc, se substitue la violence du verbe.

Comment maintenir en soi un chouïa de passion dans son rapport au monde si ce n’est en n’éludant pas ses germes d’indignation ?

Et la magistrature poursuit son entreprise de démolitions... A quand le premier juge défenestré ?

Je t’embrasse tendrement.

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Le 20 octobre 1996.

Adorable Sandre,

Tu me gâtes. Entre tes très jolies cartes cannoises et l’eau précieuse de Rochas, mes sens sont comblés.

Mon dimanche automnal s’achève. Assis sous un noyer du château, la fraîcheur humide de la terre et des feuilles sous les fesses, j’ai fouillé l’endroit à la recherche des nourrissants cerneaux.

J’espère pouvoir venir dans ton nid lyonnais le week-end prochain. Déguster chaque seconde en essayant de perpétuer l’instant.

Pris par le sommeil, je t’envoie mes plus tendres pensées.

A nos enlacements.

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Le 22 octobre 1996.

Ma douce à nuitée,

Sur un coin de table de la Sorbonne nouvelle, j’entame le défrichage des émotions nocturnes partagées.

Petite anecdote pour le sourire : à une place de moi, dans la bibliothèque rayon littérature, s’est installée une jeune femme qui renifle sacrément des aisselles. L’idée de la nature sauvage, nasaux ouverts, vient de prendre une nouvelle dimension.

Les tiennes sont à lécher, celles du jour me soulèvent presque le cœur. Cela me fascine : comment une demoiselle peut exhaler le vieux bouc de la sorte !

Après ce détour zoologique, je reviens volontiers vers tes antres parfumés... où la saveur charnelle épouse l’enfer jouissif... La tension pour œuvre métaphysique éphémère.

Tu ne t’es donc pas encore révélée dans ta totalité... Si la réserve ne s’ancre pas ad vitam aeternam... je n’en suis pas chagriné.

Les kapos du conformisme préparent une loi sur le délit d’opinion qui nous aurait privé d’œuvres essentielles d’un Céline, d’un Rebatet, d’un Drumont... J’enrage de cette involution... Me laissera-t-on au moins accomplir jusqu’au bout mon travail sur le pamphlet heïmien, l’un des plus éblouissants ?

Je t’enlace ma Sandre.

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Le 29 octobre 1996.

Ma Sandre,

La tempête ne nous a pas fait tomber le ciel sur la tête, mais elle poursuit sa danse bruyante dans les feuillages jaunis.

J’espère que tes douleurs vont passer... bien vaccinée contre tout. [...]

Nous avons achevé les derniers préparatifs pour mon livre : index, table des matières... Me reste le quatrième de couverture.

Je t’embrasse très fort... à vite.

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Le 30 octobre 1996.

Ma Sandre,

Ton courrier du 28 m’a paru bien grave. L’épisode de notre accrochage doit être pour nous l’occasion de se montrer parfois plus adultes dans notre rapport, et de moins songer à notre fierté. Stopper avant de se laisser aller à la surenchère.

Je souhaiterais aussi que, de ton côté, tu comprennes ce que j’attends de toi, dans tes sentiments et ta générosité. Je préfère que tu exprimes ton chagrin, comme une femme sensible que tu es, plutôt que tu le convertisses en agressivité froide. Que tu le sois avec les autres, oui, mais pas avec moi...

Nous avons, en effet, plein de choses à partager... et j’aimerais te retrouver avec une âme constructrice. Notre entente doit perdurer... et ne doute pas de tes sentiments, au-delà des miens.

A t’embrasser.

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Le 1er novembre 1996.

Ma douce, tendre... (et moelleuse...)

Revenu au château, le parc est recouvert d’une épaisse couche de feuilles. Les teintes t’enivreraient.

Ta lettre du 29/10 m’a touché. Ta capacité d’analyse est sans doute une garantie qu’un gâchis stupide n’aura pas lieu. Etre à la hauteur de tes rêves, voilà qui doit inspirer ton action et tes comportements. Je ne doute pas un instant de tes sentiments à mon égard... j’espère seulement que la forme de ton amour me donnera envie de me battre, de construire, et n’aura aucune influence néfaste sur mon caractère... Je souhaite bien évidemment la même chose pour toi.

Je tente, tant que je peux, de comprendre cette préférence que tu as à cacher tes larmes derrière une agressivité... Combien nos nuages passagers disparaîtraient plus vite si j’avais tes yeux à sécher plutôt qu’à réagir à ta froideur apparente.

Cette énergie destructrice risque d’enliser tes désirs fondamentaux. Je veux bien t’aider de tout mon cœur.

Je viens d’entendre ton message sombre... curieux. En arrivant, cinq messages de toi : les quatre premiers attentionnés, le dernier détaché et inquiet... Parce que je t’ai parlé dans un état de fatigue prononcé ?

Cette allusion à mon tél... est-ce vraiment sérieux, n’est-ce pas une pique blessante ? Tu ne vas pas me redire que notre attache dépend de questions financières... ce serait la plus terrible absurdité... Je n’aurais dû rien évoquer. Ça n’avait pour objet que d’essayer de réfréner mes ardeurs nocturnes. C’est tout.

Comprends que j’ai à me battre tous azimuts, que chacun à ses obligations, mais que cela ne doit pas entacher notre amour.

Je te serre ma Sandre.

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Le 6 novembre 1996.

Ma Sandre à croquer,

Minuit passé : alors que tu es blottie dans ton dodo, le sommeil probablement profond, je veille encore pour te témoigner mon attachement. Apportons-nous que du bien et de la sérénité de vie.

Ce soir, vu la fin de l’émission de Delarue consacrée à l’euthanasie. Exemple d’un couple magnifique qui met fin à ses jours avant que la déchéance de la vieillesse maladive ne l’atteigne. Que penses-tu de cela, comme médecin ?

Ta chatte chaude me manque ma Sandre, et ta bouche à mon gland gonflé m’enivrerait... Petite note du pornographe, hé hé...

Je t’enlace sans retenue...

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Le 10 novembre 1996.

Ma Sandre,

De retour du Croisic, après quelque six heures d’intense bonheur. Déjeuner au restaurant l’Océan avec Heïm et Vanessa... Un bar en croûte à faire saliver un mort, notamment. Découverte de quelques coins de la côte sauvage. Vu la grosse maison que Heïm souhaiterait acquérir... Combien il serait bon que par notre travail cela se concrétise.

Cette côte, avec ses rochers aux lignes tourmentées, les quelques mouettes ayant survécu au massacre pour cause de fientes trop nombreuses, ces multiples petits ports plus ou moins fréquentés, cette couleur transparente (malgré les nuages présents), cet air à l’iode enivrant (je patouille, je patouille...). Il faudrait que je te fasse découvrir cela.

Es-tu prête à me suivre dans mon désir profond de perpétuer l’œuvre de Heïm, de sauvegarder le château, d’intensifier les combats pour que toujours l’intérêt général (familial) prime sur les égoïsmes individuels ? Jusqu’où puis-je compter sur tes sentiments, quel est le degré de ton ralliement à moi ? De profondes interrogations qui dépassent de loin la simple angoisse d’une fragilité relationnelle.

Suite : le 12 nov.

Ce matin, par hasard, en discutant avec une jeune fille de mon séminaire de lettres, l’opportunité d’emménager rue Mouffetard (rue commerciale pavée très animée) dans deux petites pièces meublées (avec un grand lit) pour 850 F/mois, charges comprises. Pour ne pas mettre ma logeuse au pied du mur, je lui verserai fin décembre la moitié du loyer de janvier.

Avantages de ce ministudio : l’indépendance et le coût. Les inconvénients : au cinquième sans ascenseur, douche commune avec la voisine (sœur de la jeune fille) et toilette à la turque commune (mais possibilité d’installer dans un recoin de l’appart des toilettes chimiques...

Voilà une bonne nouvelle pour nos entrevues dans la capitale.

A très vite ma Sandre.

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Le 2 décembre 1996.

Ma Sandre,

Quel enchantement d’entendre ta voix pétillante, apaisée, aux accents régénérés. Cela m’a changé de ces derniers jours où l’accumulation de la tension nerveuse et de la fatigue physique et psychique donnait des envies de se foutre à l’eau.

Lutèce revêt peu à peu ses brillances de fêtes. Cadeau par Gilles, le mari de ma mère, d’un casque coton-tige d’une qualité exceptionnelle : circuit turbo V2 (presque de la formule 1), diaphragme en saphir, écouteurs ergonomiques, fiche stéréo plaquée or. La Rolls Royce des casques discrets. Une merveille à l’écoute...

J’aurais un service à te demander ma Sandre pour les mois qui viennent. Il faudrait que je consulte des thèses, en rapport avec le pamphlet, soutenues dans des universités de Lyon. Si je t’en fournis la liste, pourrais-tu me les réserver à la consultation pour un jour à déterminer, lorsque je serai présent ?

Dans cette attente, je t’envoie mes plus tendres baisers. A très vite.

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Le 6 décembre 1996.

Ma Sandre à embrasser,

Je vais donc répondre aux questions déchiffrées.

Dans ta carte de l’ange à l’arc point d’interrogation, mais beaucoup de touchantes résolutions.

[Je me sens encore entre deux eaux, te trouvant plus distant avec moi que je ne le voudrais. Ne peut-on s’aimer tout simplement ?]

Reste à savoir si l’amour est simple... et si la construction nécessaire à la pérennisation n’est pas plus mobilisatrice.

[J’ai pensé que voyager ensemble serait peut-être plus agréable que de rentrer seule de Nantes jusqu'à Lyon, non ?]

C’est en effet plus agréable de retourner ensemble vers la capitale. J’approuve sans réserve.

[Où allons-nous dormir en Bretagne ?]

Un gîte doit être réservé ou des chambres d’hôtel, je ne sais plus. Mais ne t’inquiète pas, nous ne resterons pas faire dodo sous les embruns de la côte sauvage.

[Si seulement nous pouvions nous voir tous les 15 jours. Est-ce vraiment utopique ?]

Ce serait évidemment formidable, mais je ne peux te promettre la régularité. Nous avons chacun nos impondérables. Point positif : je pourrai, à partir de janvier 97, te recevoir plus facilement.

[Pourrais-tu demander à Madeleine les photos de l’île de Ré ? Je n’ai presque pas de photos de toi et moi réunis. J’aimerais avoir une petite collection que je regarderais les soirs de solitude.]

Je lui demanderai les photos par courrier lorsque je lui enverrai Le Limousin qu’elle a préfacé.

[...]

[Dis-moi franchement, tu ne souhaites pas vraiment envisager une réunion ? Venir près de toi te semble trop envahissant ?]

Mais bien sûr que je veux une réunion, si tu viens à moi. Quand t’ai-je dit le contraire ? Il faudra bien tester nos sentiments à la quotidienneté d’une vie.

[La sauvage, sauvageonne que je suis n’est pas encore totalement apprivoisée.]

Et bien j’espère que tes sentiments n’en sont pas amoindris. [...]

[Ce serait bien d’avoir notre nid à nous. Une jolie demeure et non une case dans un bloc de béton.]

Je n’ai pas l’intention de vivre dans une case de béton, mais plutôt dans un château.

[Ne trouves-tu pas que ce format de papier ressemble à celui d’une ordonnance ?]

Je ne fréquente pas assez les médecins pour faire le rapprochement.

[Si tu as envie de quelque chose de particulier ce week-end, dis-le moi.]

Je n’ai besoin que de toi, et de quelque boustifaille.

Viens m’embrasser ma Sandre.

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Le 9 décembre 1996.

Ma Sandre,

Dans l’attente du thé au lait et du croissant chaud, je réalise avec un peu d’avance ton rêve : le tracé de quelques mots. Vais-je réunir suffisamment de ressort pour m’élancer vers la créativité épistolaire ? Je dois te l’avouer : je me sens plutôt lourd de la plume... l’effet sans doute de te laisser à regret dans le froid rejoindre les cacochymes égrotants du Mont doré.

Notre ultime réunion charnelle de ce matin fut particulièrement enivrante : galvanisés par l’étreinte matinale et pressés par le temps qui nous manquait. La bonne disposition des cœurs et des corps intensifia l’irrigation de notre imbrication libératrice.

Voilà ma Sandre, je vais rejoindre de plus sobres écritures.

A nos doux enlacements.

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Décembre 1996.

Sandre, ma courageuse,

Je ne sais quoi t’écrire après tout ce que tu m’as conté, si ce n’est l’intensité de mes pensées pour toi. Cette société de chiasse a une curieuse manière de récompenser ceux qui réussissent leurs études. De bien féroces pamphlets seraient à écrire contre cette merdeuse organisation médicale. Seul point positif : te donner le sens du combat et démultiplier tes connaissances pratiques.

Je sais que tu vas faire tout ton possible pour être libre le 24 décembre, mais sache que ce serait terrible pour moi si tu ne pouvais pas être là.

Espérons donc.

Et de très tendres choses ma Sandre.

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Vendredi 13 décembre 1996

Une résurrection ? Je ne sais. Ce mode d’écriture semble ne plus m’attirer, mais le temps s’écoule très vite et la correspondance que j’entretiens avec ma Sandre ne suffit pas à jalonner avec suffisamment de précision mon existence personnelle, estudiantine, professionnelle et les soubresauts de l’actualité.

Mardi de novembre, attentat des islamistes à la station Port-Royal du rer parisien. Grosse émotion. Les fêtes de fin d’année vont-elles être entachées de ces explosions à l’aveugle ? Le plan Vigipirate est immédiatement réactivé.

Parution de L’aristocratisme libertaire chez Léautaud et Heïm tiré de mon mémoire de lettres modernes. Premier volume de la collection Etudes universitaires de France, dix ans après la publication de mon recueil poétique. Angoissante perspective temporelle.

Argumentaires de présentation envoyés aux différentes relations tous azimuts, aux universités de France (iep et ufr de lettres), aux dirigeants de certains journaux non conformistes, etc.

J’espère que ce tiré-à-part de trois cent quarante exemplaires ne moisira pas dans des cartons. Edith Silve m’a promis la parution d’extraits dans plusieurs numéros des Cahiers Paul Léautaud. Le bulletin célinien devrait y faire allusion, tout comme L’homme nouveau de Renoulet. Marc Laudelout l’a demandé en service de presse pour sa chronique littéraire dans Polémique, une revue belge.

A l’heure actuelle, commande de l’ouvrage par : pater, mater, grand-mère, Gérard Lecha, Guy Onfray, Maguy Vautier, J. Renoulet, Renata Lesnik (écrivain d’origine russe, amie), Sophie B. (amie, violoniste), Isabelle T. (une copine minitelliste), Kate. Ça fait pas bésief.

Lettre de Jacqueline Kelen (sans commande) qui se porte bien. Courrier de Christophe D., copain de collège dont je n’avais plus de nouvelles depuis dix ans (il est marié et professeur de lycée ou collège).

Exemplaire donné gracieusement aux destinataires de mon épître dédicatoire : Marc D. (pour son courage et sa bienveillance) que je vois mardi prochain, ma Sandre (pour son attentive tendresse) à qui je l’ai remis le week-end dernier, et à Jean R., mon vieux professeur de collège en retraite, s’il prend un peu de temps pour répondre à mon dernier et déjà ancien courrier. Voilà le bilan.

Ma Sandre vit très mal notre éloignement et les pressions de son internat. Le tableau qu’elle me brosse des relations professionnelles qu’elle a donne des envies de grands coups de pied dans cette infecte tanière (une clinique lyonnaise) : une chef de service peau de vache à qui il faudrait déféquer une grosse chiasse sur la gueule pour qu’elle cesse ses injustices, ses brimades, etc. ; des médecins se prenant pour le centre du monde... mon dieu ! s’ils avaient cons­cience...

Chirac s’est exprimé chez Big Média-TF1. Peu de luminosités entraînantes dans le discours.

Les socialos n’ont pas retenu la leçon de 1981, ou tout juste. La nouvelle promesse-paillettes : la création de 700 000 emplois de jeunes dans l’année de leur arrivée. Il est bien vite oublié le million de créations promis par Fanfan décomposé, et le fiasco qui a suivi.

On s’acharne à faire reluire les concepts fondateurs de notre régime, alors qu’il se lézarde de partout, et que plus aucune perspective ne motive. Une époque est achevée, mais ceux qui en profitent soufflent sur les braises déclinantes, pour faire croire.

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Le 13 décembre 1996.

Ma tendre Sandre,

Surtout ne flanche pas ma douce, nous trouverons une solution pour ne pas rester éloigné l’un de l’autre pendant encore deux ans.

Le temps m’est compté, tout comme le tiens, mais je tenais à t’inscrire cette chose et t’envoyer mes plus tendres pensées.

Comme un soutien. De gros bisous, et repose-toi.

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Le 15 décembre 1996.

Ma douce attentionnée,

Quel plaisir de t’entendre ce soir avec ta chantante voix complice. Que de préparatifs pour ton nid accueillant. Combien tu es adorable dans tes élans constructeurs.

Te sens-tu prêtes pour une vie quotidienne avec moi ?

[A quand nos fiançailles, un projet fou ?]

Hé hé, rien de fou, ce serait une suite logique... Je préférerais un lien puissant entre nous à tout autre symbole.

Eh bien il ne restait qu’une seule question, voilà transparence faite.

Lettre un peu courte, je tenterais plus développée la prochaine fois.

Beaucoup de courage à toi pour ta semaine. Tendrement.

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Le 16 décembre 1996.

Ma bien-aimée,

Me voilà de nouveau dans un de ces gros ter rouges destination Big Lutèce. A nous bientôt Le Croisic, la côte sauvage et, j’espère, de très doux moments à passer et d’excellentes choses à manger. Il faut que je pense à te lire la carte par tél. avant la fin de la semaine, car certains mets (les oursins, par exemple) doivent être commandés à l’avance.

Que t’évoque la perspective que nous soyons réunis, par exemple, pour la rentrée 97 ? Es-tu prête à m’accueillir ? Profiter l’un de l’autre au quotidien, et faire défi au temps. A moi de me battre pour poursuivre mes études, ma collaboration éditoriale et un travail d’appoint (aux droits d’auteur par exemple). Prendre et assumer sa vie en totale responsabilité, il est peut-être grand temps à vingt-sept balais.

Tendrement proche de toi.


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